Si c’était croire pourtant !

 

 

Mon Dieu ! Si c’était vrai pourtant !...

Que je doive sans faiblir voir les choses comme elles sont

Horribles avec leurs chairs sanglantes,

Ou repoussantes avec leurs excréments !

Que, sans espoir ni récompense,

Il me faille endurer l’existence,

Sans savoir si la branche refleurira ;

Si l’aube à la nuit survivra ;

Si, de la mort, la vie demeurera triomphante !

Mon Dieu ! Si cela, c’était croire pourtant !

 

Sur mon visage,

Un jour, j’ai senti passer votre souffle divin.

Plus tard, j’ai connu la douleur et la disgrâce.

Du Golgotha aux Forts de Verdun,

J’ai vu des terres et des races

Ravagées par votre malédiction ;

J’ai vu des hommes, créés de vos propres mains,

Répandre et faire régner sur leur passage

L’injustice et l’affliction ;

J’ai vu l’océan charrier des cadavres

Et le sol s’abreuver de sang.

Et cependant, dans mes artères,

Circule toujours la joie frémissante

Qu’exalte le combat ardent et inégal,

Et se réchauffe au soleil des morts et des vivants.

Quoi ! Moi, votre humble servant,

J’accepterais la souffrance et le mal ;

Moi, je serais prêt à défendre

D’un cœur valeureux un idéal,

Et pour lui, s’il le faut, périr en combattant ?

Mon Dieu ! Si cela, c’était croire pourtant !

Qu’importent alors la noirceur du caveau,

La solitude et la putréfaction dans la fosse ?

Si, alimentant la vie de mon cerveau,

Animant chaque nerf, chaque fibre et chaque os,

Mon sang dans mes veines coule et me réchauffe ;

S’il transmet son ardeur, sa gloire et son phantasme,

Et d’un corps épuisé fait un corps conquérant ;

D’un être usé, un homme que soulève un saint enthousiasme,

Qui tombe et se relève, s’abat et fonce encore,

Et persiste, et défie le sort,

Voulant malgré tout, contre toute espérance,

Retrouver sous les mots et la vaine apparence,

Ce qui est vrai, ce qui dure, et fait ma croyance

Que, tout de même, le droit prévaut toujours sur la force,

Le juste est sacré de tout temps !...

Mon Dieu ! Si cela, c’était croire pourtant !

 

 

 

Robert Louis STEVENSON.

 

Traduit de l’anglais par Félix Rose.

 

Recueilli dans Dieu et ses poètes, par Pierre Haïat,

Desclée de Brouwer, 1987.

 

 

 

 

 

 

 

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