De l’amour selon le christianisme

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Charles STOFFELS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tu écraseras la tète du serpent.

 

 

L’amour de Dieu, s’il n’est tempéré par celui de la femme, qui, le mêlant à toutes les affections et les poésies de la terre, l’incline à une prochaine réalisation, tend, sinon par sa nature, mais par celle de l’homme, dont la faiblesse exalte jusqu’à l’exclusion tous les sentiments, à le ravir, dans d’excessives contemplations, à ces affections terrestres, saintes aussi, et qu’il ne doit qu’orienter.

 

Et l’amour de la femme, s’il se sépare de cet autre amour qui devait l’alimenter incessamment et le purifier, ne deviendra bientôt plus qu’une fugitive ivresse ; il se matérialisera dans la volupté, ou se stérilisera dans d’idolâtres adorations ; et l’homme, dévorant en quelques baisers ces frivoles passions, cherchera inévitablement dans le changement et la variété, qui n’auront plus de terme alors que l’épuisement et le dégoût, une monstrueuse satisfaction à ses inquiètes et intarissables ardeurs ; satisfaction que pouvait seul lui donner un pur et vaste amour pour Dieu, pour l’humanité, pour la nature et pour l’ange pur qui aurait déplié de son aile et fait épanouir sous son souffle les célestes corolles de cet amour en son âme.

 

Ô vous qui avez l’âme ouverte bien plus que la nôtre aux purs rayons de l’amour divin, et plus prompte aux nobles dévouements et aux généreuses sympathies, ô femmes, si vous avez été, en méconnaissant votre haute destinée, la cause de la chute et de la perte de l’homme, vous avez, par une assez longue infortune, expié votre faiblesse. Il est temps de vous réveiller de votre voluptueux sommeil, pour étouffer en de plus fortes étreintes le génie du mal, pour écraser sa tête qu’il a relevée plus orgueilleuse que jamais en nos jours de ténèbres !

 

Oh ! tremblez d’une religieuse terreur à la pensée que Dieu s’est dépouillé, pour en investir la liberté de l’homme, de sa Providence sur ce monde ; que toutes ses forces et ses facultés immenses s’inspirent de l’amour qu’il trouve déposé dans son cœur, et que c’est vous, êtres faibles de corps mais puissantes de toute la puissance de l’homme, dont vous disposez d’un regard ou d’un sourire, que c’est vous qui faites bon ou mauvais cet amour !

 

Tremblez d’accorder un aveu tant désiré à celui qui laisserait votre flamme céleste se dessécher dans son âme égoïste !

 

Tremblez d’incliner votre tête sur l’épaule chérie et de vous assoupir dans cette molle langueur, avant d’avoir pensé à ceux qui n’ont que la pierre pour reposer la leur, et d’avoir rendu pour eux votre paupière humide, pour qu’après avoir bu cette larme divine, votre bien-aimé, à votre réveil, vous apprenne qu’il en a été tarir la source !

 

Oh ! tremblez, pures et saintes étoiles que Dieu a fait rayonner sur notre tête pour tracer à notre regard plus voilé sa voie dans les nuées ; tremblez de passer de trop longues heures à jouer et vous bercer dans les fantaisies de leur azur ! oh ! tremblez d’un saint et religieux effroi !

 

 

 

Et toi, ô le plus beau des enfants des hommes, penses-tu, don Juan, quand une vierge, sœur de Marie, aura associé l’amour pur qu’elle t’inspirera à l’amour de celui qui remplit les espaces sans limites, que cette affection à laquelle la femme prêtera toute l’énergie de la passion, et Dieu toute son immensité, suffira à étancher la soif que tes grossières voluptés n’ont fait qu’irriter ? Ton vaste cœur sera-t-il rempli quand, ému d’un sympathique frémissement, cet amour infini en aura fait comme un écho sonore, un centre de rayonnement universel, où viendront aboutir tous les mouvements qui se font, toutes les idées qui fleurissent, et gémir toutes les douleurs qui saignent, mais pour les endormir dans les chants de fête et de joie qui s’élèvent de toutes parts de ce vaste concert, de cette magnificente symphonie de la création ?

 

Fier et ardent jeune homme, écoute bien ceci :

 

Tu te sens du ressort et de la vigueur dans tes neufs artères, tu entends dans tes veines bouillonner ton sang chaleureux et impatient, et tu te dis : j’ai assez de force pour la vie, si grande que me la fasse le sort ; vienne donc le plaisir me rendre moins longue l’heure de l’attente.

 

Et tu te trompes, mon frère !

 

Tu ne sais pas encore, comme le vieillard dont tu te ris, que chacun de tes soupirs est compté, comme chaque goutte de ton sang, comme chaque heure de ta vie, et que ta pensée qui s’évapore dans tes frivoles rêveries, est à jamais perdue, et que les ardeurs de ton âme que tu as jetées en de folles étreintes, sont autant de pris sur l’énergie de ton vouloir.

 

Si tu ne te fais, jusqu’à en être avare, ménager de ta vie, quand il te faudra prendre quelque forte et généreuse résolution qui soulèvera de nombreux obstacles, tu sentiras défaillir ton cœur dans ton flanc fatigué ; ton bras tremblera quand il voudra saisir la foudre dont il faut briser le traître et le pervers en autant d’éclats que sa vie recèle de perfidies et de lâchetés. Et quand l’heure sera venue où l’épreuve te visitera, ta chair se trouvera molle sous ses aiguillons, tes lèvres seront promptes aux paroles de désespoir ; ta tête que tu n’auras pas élevée assez dans l’air pur et vivifiant des hautes régions, se courbera ; et si tu es poète, tu te rejetteras sur la patrie céleste qui t’appelle, ton orgueil se nourrira de banales élégies sur les mélancolies de ton exil, et te disant que la vie ne vaut pas les sueurs qu’elle fait répandre, tu croiras fuir ses épreuves en la rejetant loin de toi.

 

Et tu te tromperas encore !

 

Car c’est le moment où le malheur allait te faire homme, que tu choisiras pour cesser de l’être.

 

Oh ! combien de nobles cœurs et de puissantes pensées se sont ainsi abîmés dans la débauche ! combien d’auréoles sont venues s’y éteindre obscurément ! combien de tristes offrandes le génie a faites à la volupté !

 

Je te le dis, ce sera de tous tes jours le plus noir et le plus funeste, celui où tu cesseras de croire à la femme pure, où tu ne sauras plus l’aimer saintement en ton cœur ; car l’amour de Dieu et l’amour de la femme sont les deux chants, l’un du ciel, l’autre de la terre, qui doivent les fiancer l’un à l’autre, qui doivent faire vibrer tous les sons, toutes les cordes de l’universelle harmonie.

 

Quand les mauvaises passions auront sali en ton sein cette source de toute poésie, de toute haute affection, il ne demeurera plus dans ta vie assombrie que des intérêts, des instincts, et toutes les tristes réalités de l’égoïsme.

 

Si tu n’as eu le bonheur de recevoir les mâles enseignements de la religion, que la terrible expérience de tous ces hommes qui nous entourent, et qui fait à cette heure sinistre pâlir de honte tous nos fronts, t’en puisse au moins tenir lieu.

 

Leur jeunesse a sucé le sang corrompu du matérialisme ; ils ont sans retenue gorgé leurs sens grossiers, et vendu sans nulle pudeur leur âme aux sales passions.

 

Eh bien, ils n’ont de l’orgie de leur premier âge conservé de souffle que pour supputer le prix dont ils vendent leurs enfants, leur conscience, leur honneur ; mais aussi, grâce au Dieu juste de ce monde, ne leur reste-t-il de forces et de jours que pour s’y creuser une tombe, qui certes ne sera aussi ténébreuse que l’a été leur vie, si morne et tant silencieuse que leur cœur.

 

Or, quand il nous faudra descendre sur la place publique, frère, il ne faut pas, comme eux, y arriver avec des os cariés, un sang appauvri, et une volonté déshéritée de toute noble et généreuse puissance.

 

Grande et forte sera notre tâche, fais ta solitude sévère pour t’y préparer.

 

 

Charles STOFFELS.

 

Paru dans L’Austrasie,

revue du Nord-Est de la France,

en 1837.

 

 

 

 

 

 

 

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