Fournaise d’amour

 

 

Amour a mis mon cœur en fonte,

Pour le former à son plaisir,

Afin de m’enlever la honte,

De vivre trop à mon désir ;

Il a commencé son ouvrage,

Me disant, aie bon courage,

Il a préparé son fourneau,

Son bois, ses moules, son flambeau.

 

Doncques, d’une main diligente,

Il a dressé son appareil,

Mille beaux desseins il invente,

Pour me faire un bien sans pareil.

Il met le bois dans la fournaise,

Il fait une fort bonne braise,

Puis, par un secret inconnu,

Il prend mon cœur, le met à nu.

 

Dans le creuset de sa puissance,

Il me fait entrer à son gré ;

Pour me mettre sans résistance,

Ses feux m’ont partout pénétré ;

Mon cœur se fond, le métal coule,

Tout se fait ainsi qu’une boule ;

Lors il dit arrêtons ici,

Car l’amour pur te veut ainsi.

 

Un globe mis sur une table,

N’a pente vers aucun côté,

Allant comme il est agréable,

Partout avec facilité,

Comme on le mène, on le ramène,

Ainsi qu’on veut on le promène,

Son repos se trouve partout,

Son allure n’a point de bout.

 

Je veux aussi de même sorte

Avoir ton cœur indifférent,

Selon que mon esprit le porte,

À tout bien, soit petit ou grand,

Tout ainsi que mon cœur désire,

Sans en rien me vouloir dédire ;

C’est là le point le plus parfait,

D’être partout comme il me plaît.

 

Je veux que ton âme se meuve,

Au moindre signe de mon cœur,

Que fort contente elle se treuve,

Si je la tiens dans ma rigueur,

Que de ma volonté remplie,

À tout moment elle se plie,

Au branle de tous mes vouloirs,

Esclave de tous mes pouvoirs.

 

Après, Amour prenant ses moules

M’a formé d’une autre façon,

Laissant là le discours des boules,

Il m’apprend une autre leçon,

Il me fait court comme un Pygmée,

Il me fait grand comme Tiphée,

Il me met haut, il me met bas,

En paix, et puis dans les combats.

 

Il me fait aussi beau qu’un ange,

Puis me noircit comme un démon,

Il me rend digne de louange,

Puis méprisable et sans renom ;

Il me met au Ciel dans un trône,

Après on me décrie au prône,

Il me fait long et puis petit,

Avec estime, et sans crédit.

 

Après, rompant toutes ses formes,

Il me jette dans son brasier,

L’enfer m’y fait des maux énormes,

Mais il m’y garde tout entier,

C’est là qu’à mon aise je brûle,

Le monde de moi se recule,

Ce feu c’est mon doux élément,

J’y vis dans un heureux tourment.

 

Ce brasier m’est plus délectable,

Que le lit du roi Salomon ;

Son séjour bien plus désirable,

Que le tronc où vivait Simon.

C’est là que Dieu parle sans cesse,

C’est là que l’Amour me caresse,

De jeux, de plaisirs, de festins,

Et d’embrassements tous divins.

 

Dans ce cabinet de délices,

Mon bonheur ne finit jamais,

On y fait mourir tous les vices,

Là le cœur s’établit en paix,

C’est là mon jardin de plaisance,

C’est là ma corne d’abondance,

Lieu des plus doux contentements,

Tombeau des fidèles amants.

 

 

 

Jean-Joseph SURIN.

 

Recueilli dans Anthologie religieuse des poètes français,

t. I, 1500-1650, choix, présentation et notes d’Ivan Gobry,

Le Fennec éditeur, 1994.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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