Hymne Ier

 

 

Viens à moi, ô lyre harmonieuse ; après les chants du vieillard de Téos, après les chants de la Lesbienne, dans tes hymnes plus majestueux, fais entendre, sur le mode dorien, un chant non consacré au voluptueux sourire des jeunes filles, ni aux charmes séduisants des jeunes hommes.

Seul, que l’enfantement de la divine sagesse me fasse accorder la lyre et fuir la douce invitation des voluptés de la terre.

Que sont, en effet, la force, la beauté, les richesses, la gloire, les pompes royales comparées à la pensée assidue de Dieu ?

À un autre de bien conduire un coursier, de tendre un arc avec habileté, d’entasser des monceaux d’or et d’argent, de placer sa vanité dans une chevelure qui flotte sur ses épaules, d’être admiré des jeunes hommes et des jeunes femmes pour la beauté remarquable du visage !... Qu’une vie douce, tranquille, ignorée de tous, connue de Dieu seul, soit mon partage.

Que la sagesse, précieuse compagne du jeune âge et des vieux ans, que la sagesse, bonne gouvernante des fortunes, vienne habiter en moi ! Joyeuse, elle supporte sans peine la pauvreté, qui n’a point d’issue aux inquiétudes amères de la vie.

Que je possède assez pour ne pas m’abriter sous la chaumière du voisin, pour que la nécessité ne m’attriste pas de sombres pensées.

Écoutez le chant de la cigale qui se désaltère à la rosée du matin. Vois, les cordes de ma lyre ont résonné d’elles-mêmes. Un souffle divin m’entoure et voltige près de moi ! Oh ! comment chanterai-je l’enfantement divin ?

Il est, principe né de lui-même, conservateur, père de tous les êtres, et, Dieu incréé, assis au plus haut des cieux, heureux de sa gloire immortelle, il repose immuable.

Sainte unité des unités, monade première des monades, qui, dans un enfantement surnaturel, engendres et réunis ensemble les grandeurs éternelles, de toi jaillit, sous la forme primitive, l’unité répandue d’une manière ineffable dans une triple puissance.

La source surnaturelle se couronne de la beauté de ses enfants, qui sortent de son sein et se groupent autour de lui.

Silence, silence, ô lyre audacieuse, ne révèle pas aux mortels le plus saint des mystères ; chante les merveilles de la terre : sur les merveilles du ciel, ô ma lyre, silence.

Mais mon âme ne te porte déjà plus que vers les mondes intellectuels, d’où descend sans partage le principe de la pensée humaine.

Cette âme incorruptible, enfermée dans la matière, est une parcelle bien petite, mais réelle pourtant, de Dieu, notre Seigneur et notre père, dont l’âme toujours une, indivisible, toute entière en toutes choses, met en mouvement la vaste immensité des cieux, conserve l’univers, existe et paraît sous mille formes.

Elle est dans les cours des astres ; elle est dans les chœurs des anges ; elle est aussi dans la forme humaine, séparée de son principe, que nos ténèbres lui font oublier, et, saisie d’admiration pour les lamentables séjours des noirs soucis, pauvre âme, Dieu qui s’attache à la terre !

Cependant il y a encore un peu de lumière dans ses yeux voilés ; il y a dans ceux qui sont tombés ici-bas, il y a encore une puissance qui les ramène au ciel, lorsque, quittant les écueils de la vie, ils prennent la voie sainte, qui conduit dans les tabernacles du Père.

Heureux qui n’écoute pas les désirs insatiables de la matière, s’envole de la terre, et, rapide, s’élève vers Dieu.

Heureux qui, après les épreuves, les travaux, les inquiétudes cruelles de la vie, pénétrant les sentiers de l’âme, aperçoit tes hauteurs d’où brille la lumière divine.

Toi, raffermis cet effort par l’inclination qui t’entraîne vers les régions de l’intelligence, et Dieu, paraissant plus près de toi, te tendra sa main paternelle.

Un rayon viendra au-devant de toi, illuminera le chemin et te montrera les domaines de l’intelligence, source de la beauté.

Courage, mon âme, va te désaltérer aux sources éternelles, et, suppliante, demander secours à celui qui t’a créée ; va, que rien ne t’arrête ; laisse à la terre ce qui est à la terre, ou plutôt réunis-toi au Père, Dieu : tu trouveras ta réjouissance en Dieu même.

 

 

 

SYNÉSIUS.

 

Traduction de Pascal Darbins.

 

Paru dans La France littéraire,

artistique, scientifique en 1859.

 

 

 

 

 

 

 

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