Ballade des aventures cédées

 

 

Dans la cage à deux dimensions

Toute béante sur le ciel

Obstinés sans rémission

À défaut d’ailes salutaires

Liés aux rondes de la terre

Qui nous agrafent par deux pieds

À ses péchés à ses regrets

À ses caprices à ses destins

À son amour immodéré des fantassins

De quel sourire se maintenir

Pareil à son moi

Futile d’autrefois

 

J’ai bu la lie des sources souterraines

Le goût de cadavre des eaux

À l’hystérie des plaines

Livré mes chairs et mes os

Dans les forêts sanguinaires

Ma démence affronta les meutes des colères

Je me suis accroché aux factices tempêtes

Des ongles et du souffle

 

Or dans l’île des forfaitures

Où j’échouai piteusement

Un traversin de roc écoute mes blessures

Si j’échappai au croc-en-jambe de la terre

Je n’en suis pas des mieux-portants

 

Cette vie que vous m’aviez narrée

Le jour des fonts-baptismaux

La dame chargée de fleurs inconnues

Qu’est-elle devenue

Depuis cette excursion dans les Flandres

Non je vous assure enfants qu’il n’y a pas dieu d’être fiers

Qu’il y a des vents plus forts

Que la chétive flamme de vos illuminations

Et que tout se confond

Le fard et le visage

La jambe et le pansement

La sagesse du fol et la folie du sage

Le marbre et la statue

Dans un même asservissement

Aux puissances confondues

Des lumières et des ténèbres

 

Voici les fruits de nos routes

Pétrifiées tant de douleurs qu’elles ne sont plus prises en cause

Tant de bouches closes

Sur un mot inachevé de candeur

Arrêtée pile tant de ferveur

Tant de fronts marqués du cachet rouge

Scellant identifiée la mort

Jusqu’à la Résurrection des Corps

Tant de fronts modelés des doigts de Dieu et d’une mère

Minéraux hermétiques dispersés dans les talus

Strictement butés sur un dernier problème de mystère

Tant et tant de morts ligotés de neige

Et nous voici rompus

À ce jeu de filous

Voici si peu de nous

 

Ce qui reste de nous des marches d’aventure

Des glaises des frayeurs pétries à la chaussure

De nos harnachements d’épouvante

De nos pluies d’étoiles filantes

De nos ciels fracassés

Des plaines enjambées des vertus à rebours

De nos déplacements sur le ventre

De nos poitrines en tambour

Quelque image d’occident

Grignoteuse de cerveau

La patine sans gloire des uniformes

Souillés aux boues de Waterloo

Nos bras dévêtus de pouvoir

Guerriers inavouables que nous sommes

Guerriers des pages omises de l’Histoire

Anonymes d’exploits placides de remords

 

Prince ô prince du Suprême Mirador

Veillez sur la pureté de nos regards intérieurs

Éclairez nos paysages

Gardez leur transparence à nos paupières

Qu’elles ne retombent pas telles des éteignoirs d’âme

À cause de cette constellation du Désir

Dans notre univers clos

De ces bonds violents de quelque chose en nous

À cause de nos charités en puissance

À cause du pire et du meilleur

De l’agneau et du serpent

À cause du Beau à cause du Laid

De Vos créations d’étrangeté

À cause de Vous

surtout

 

Quand avec Votre connivence

Le bruit discourtois de nos godillots

Ébranlera Vos nues

Vous jugerez à cela de notre innocence

Vous direz simplement Voilà les enfants qui reviennent de guerre

Bien mal vêtus bien mal casqués

Comme dans ces chansons de naguère

Arborerons pourtant notre cœur en cocarde

Nos haines au talon

Nos joues comme lanternes de papier

Notre cuir bien brossé

Étincelant comme le métal étrange de la Clé d’Infini

Qui brille ici à Votre ceinture

 

Attentifs éblouis par Votre royaume des ultimes Accords

Des universelles Harmonies

Sont les ex-soldats de la France

 

J’écris cela pour qu’il ne soit pas dit

Que nous ayons cédé un pouce d’Espérance.

 

21.8.42

 

 

 

James THÉVENET, stalag III B.

 

Paru dans « Cahier des prisonniers »,

Les Cahiers du Rhône, 1943.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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