De l’amour divin

et sa louange

 

 

Ô amour, divin amour,

Amour qui n’est pas aimé !

 

Ô amour, ton amitié

Est toute pleine de liesse ;

Ne choit jamais en tristesse

Le cœur qui t’a essayé.

 

Divin amour amatif,

Ô amour consumatif,

Ô amour conservatif,

Du cœur qui t’a hébergé !

 

Ô blessure bienheureuse,

Blessure délicieuse,

Blessure toute joyeuse

Pour qui de toi est blessé !

 

Amour, par où es entré,

Que si occulte es passé ?

Aucun signe n’as montré,

Par où tu as pu entrer.

 

Ô amour sur tout aimable,

Amour toujours délectable,

Amour pour nous impensable,

Au-dessus de tout penser.

 

Amour divin, divin feu,

Amour de ris et de jeu,

Amour, ne donnes à peu,

Riche es démesurément.

 

Amour, avec qui te poses ?

Avec personnes aimées,

Et laisses les grands barons,

Car ne fais pas leur affaire.

 

Ne semble pas que tu vailles,

À te voir, une médaille,

Car presque comme la paille,

Tu te donnes en échange.

 

Qui te croit avoir saisi

Et par sa science acquis,

Dans le cœur ne peut sentir

Ce que peut être ton goût.

 

Science qui est acquise

Mortelle donne blessure,

Si elle n’est revêtue

De l’humilité du cœur.

 

Mais amour, ton magistère

Informe notre désir,

Nous enseignes l’évangile

Par ton bref enseignement.

 

Amour qui toujours ardent

Les tiens de courage enflammes,

De leurs langues fais des dards

Qui transpercent tous les cœurs.

 

Divin amour gracieux,

Amour tout délicieux,

Amour de suavité,

Qui le cœur as rassasié.

 

Amour qui enseignes l’art,

Qui nous gagnes notre part,

Du ciel tu nous fais les chartes,

En gage nous es donné.

 

Amour, compagnon fidèle,

Si mal payé de retour,

De larmes me fais baigner,

Pour que pleure mon péché.

 

Ô amour doux et suave,

Du ciel, amour, as la clef,

Jusqu’au port mène la nef,

Qui échappe à la tempête.

 

Amour qui donnes lumière,

À tout ce qui paraît luire,

La lumière n’est lumière

Mais lumière incorporée.

 

Lumière illuminative,

Lumière démonstrative,

Nul ne vient à l’amative

Si n’est de toi éclairé.

 

Amour divin, ton effet

Donne lumière à l’esprit

Et lui démontre l’objet

De l’amatif bien-aimé.

 

Amour, ta divine ardeur

Si bien enflamme le cœur,

Qu’il l’unit par son amour

À son objet incarné.

 

Amour qui est la vie sûre

Et richesse sans souci,

Plus que l’éternité dure,

Est ultra démesuré.

 

Amour qui donnes la forme

À tout cela qui a forme

La forme tienne réforme

L’homme qui est déformé.

 

Amour divin pur et monde,

Amour sage et réjoui,

Amour très haut et profond

À qui s’est à toi donné.

 

Ô amour large et courtois,

Amour aux larges dépenses !

Amour à la table ouverte,

Pour qui à toi se confie.

 

Luxure laide et puante

Sais expulser de l’esprit

Tout brillant de chasteté,

De pureté adorné.

 

Amour tu es cet appât,

Qui appelle notre amour ;

Altérés et affamés

Deviennent tes amoureux.

 

Amour, passion véritable,

Aux maux tu es médecine,

Guéris les fièvres malignes,

Si ne sont trop aggravées.

 

– Mais toi, ô langue insolente,

Comment as-tu pu oser

Te mettre si en avant

Et parler de tel état ?

 

Or pense à ce qu’en as dit

De l’amour divin béni ;

Toute langue est en défaut,

Qui de lui a pu parler.

 

Même la langue des anges

Qui chantent dans le grand chœur

Voulant de cela parler

Parlerait en balbutiant.

 

Donc comment ne te vergognes ?

Dans ton parler tu le poins,

Sa louange ne peux joindre,

Bien plus, tu l’as blasphémé.

 

– En ce ne peux t’obéir,

Que l’amour je doive taire,

L’amour je veux proclamer,

Tant que me reste le souffle.

 

N’est pas une condition

Qui s’accorde à la raison

Que ne soit plus la saison

De proclamer mon amour.

 

Clament la langue et le cœur :

Ô amour, amour, amour !

Qui veut taire ta douceur

Le cœur lui éclatera.

 

Et bien crois que crèverait

Le cœur qui t’éprouverait,

Si l’amour ne proclamait,

Se trouverait étouffé.

 

 

 

Jacopone da TODI.

 

Traduit de l’ombrien par Pierre Barbet.

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net