Du vif et du mort

 

 

Quand tu te complais en toi, homme hautain,

Va, mets ton esprit devant la sépulture.

 

Et, là, fixe un peu ta méditation

Et réfléchis bien que tu dois retourner

En cette même forme où tu vois rester

Cet homme qui gît dedans la fosse obscure.

 

Ore me réponds, toi, homme enseveli,

Qui si lestement de ce monde es sorti !

Où sont les draps fins dont tu te vêtissais ?

Orné je te vois de bien sale parure. –

 

– Ô toi, frère mien, point ne me réprimande,

Car ce qui m’échoit te peut être leçon ;

Mes parents m’ayant fait à nu dépouiller,

D’un vil cilice me firent couverture.

 

– Où donc est ce chef toujours si bien peigné ?

Qui t’a tant rossé, qu’il te l’a si pelé ?

Est-ce eau bouillante, qui t’a rendu si chauve ?

Tu n’as, certes non, plus besoin qu’on te peigne. –

 

– De ce beau chef à moi, que j’avais si blond,

La chair est tombée avec son auréole ;

Je n’y pensais pas quand j’étais dans le monde

Qu’alors à la ronde faisais l’élégant.

 

– Où sont donc tes yeux jadis si transparents ?

Hors de leur logement ils sont expulsés ;

Je crois que les vers les ont tous deux mangés ;

De ton ancien orgueil, ils n’ont pas eu peur. –

 

– J’ai perdu mes yeux, avec quoi je péchais,

Regardant les gens, d’un clin d’oeil faisant signe.

Pauvre moi dolent, je suis dans le malheur,

Car mon corps est rongé, mon âme en brûlure. –

 

– Où donc est le nez qui te faisait sentir ?

Quel est donc le mal qui te l’a fait tomber ?

Tu n’as pas bien su te défendre des vers ;

Combien a baissé ton ancienne éminence ! –

 

– Ce qui fut mon nez pour flairer les odeurs,

Est allé tombant avec grand puanteur,

Je n’y pensais pas quand j’étais plein d’amour

De ce monde faux, rempli de vanité. –

 

– Mais où est ta langue si bien affilée ?

Ouvre donc la bouche : Tu n’y as plus rien.

Fut-elle tronquée ? Peut-être est-ce tes dents,

Qui te l’ont si bien tout entière rongée. –

 

– Perdu j’ai la langue, avec quoi je parlais

Et force discorde avec elle tramais.

Je n’y pensais pas lorsque j’engloutissais

Le boire et le manger sans garder mesure.

 

– Mais joins donc les lèvres, pour tes dents couvrir !

Il semble à qui te voit que le veux railler ;

Grand peur tu me fais, rien qu’à te regarder ;

Les dents te vont tomber, si ne les retiens. –

 

– Comment fermer les lèvres, que plus n’en ai ?

J’avais peu réfléchi à cet avatar.

Pauvre moi dolent, hélas comme ferai-je,

Quand mon âme et moi nous serons en brûlure ? –

 

– Mais où sont tes bras, qui avaient tant de force,

Menaçant les gens, et montrant ta prouesse ?

Gratte-toi le chef, si cela t’est facile,

Caresse tes cheveux et fais l’élégant ! –

 

– Mon élégance gît-ci en cette fosse ;

Coulé a la chair, restés seuls sont les os.

Toute vanité de moi s’est éloignée,

De toute misère en moi est plénitude. –

 

– Mets-toi donc sur pied, car trop tu fus gisant !

Prépare tes armes, empoigne ton écu !

En état trop vil tu me parais venu ;

Ne supporte plus un tel abattement ! –

 

– Comment donc pourrais-je me mettre sur pied ?

Peut-être qui t’entend parler peut le croire.

Est complètement fou qui ne pense pas

Dans le cours de sa vie à sa fin dernière. –

 

– Crie à tes parents, qu’ils te viennent aider,

Te gardent des vers, qui partout te dévorent !

Ils furent plus lestes à te dépouiller,

À eux fut ton domaine et son contenu. –

 

– Ne les peux appeler, car je suis bridé ;

Mais fais les venir, qu’ils voient ma récompense,

Que me voie gésir celui tant attardé

À grandir ma terre et faire grand clôture.

 

Contemple moi donc, ô toi, homme mondain !

Pendant qu’es au monde, cesse d’être vain,

Dis-toi bien, ô fou, qu’aujourd’hui ou demain

Tu seras placé en très étroite place ! –

 

 

 

Jacopone da TODI.

 

Traduit de l’ombrien par Pierre Barbet.

 

 

 

 

 

 

 

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