Comment les anges s’émerveillent

du pèlerinage du Christ sur terre

 

 

– Ô Jésus-Christ tout-puissant,

Où êtes-vous envoyé ?

Pourquoi misérablement

Allez-vous en pèlerin ?

 

– Une épouse me suis pris,

À qui ai donné mon cœur,

De joyaux l’ai adornée

Pour en recevoir honneur ;

M’a laissé à déshonneur,

Me fait aller tout en peine.

 

Je l’ai si bien adornée

De joyaux comme d’honneur ;

Ma forme lui assignai,

À ma propre ressemblance ;

Pourtant m’a fait trahison,

Me fait aller tout en peine.

 

Je lui donnai la mémoire,

Dans ma toute complaisance,

Et de la céleste gloire

Lui donnai l’entendement,

Et la volonté, au centre,

Dans le cœur lui imprimai.

 

Puis lui ai donné la foi,

Qui supplée l’intelligence,

À la mémoire donnai

La véridique espérance,

Et l’amour de charité

Au vouloir bien ordonné.

 

Afin que son exercice

Se fasse complètement,

Le corps mis à son service

Lui donnai pour ornement.

Fort beau serait l’instrument,

Si ne l’eût désaccordé.

 

Afin qu’elle pût avoir

De quoi se bien exercer,

Toutes autres créatures

Pour elle voulus créer ;

Ce dont me devrait aimer,

M’en a guerre déclaré.

 

Afin qu’elle pût savoir

Comment se doit exercer,

Des quatre grandes vertus

Aussi la voulus vêtir ;

Par sa grande trahison,

Toutes a adultérées. –

 

– Seigneur, si nous la trouvons,

Et que veuille retourner,

Veux-tu que nous lui disions

Que Tu lui veux pardonner ?

Que la puissions retirer

De son détestable état. –

 

– Dites-lui, à mon épouse,

Que vers moi doit revenir ;

Telle mort si douloureuse

Que ne me fasse pâtir ;

Pour elle je veux mourir,

Tant en suis enamouré.

 

Avec grande complaisance

Lui accorde son pardon,

Lui rends tout son ornement,

Lui donne mon amitié ;

De toute sa trahison

En rien ne me souviendrai. –

 

– Ô pauvre âme pécheresse,

Épouse du grand mari,

Comment gît en cette ordure

Ton visage qui fut beau ?

Comment t’es de Lui enfui,

Qui tant d’amour t’a porté ? –

 

– En pensant à son amour,

Oui bien, suis morte et confuse ;

Me plaça en grand honneur,

Ore en quoi suis enfermée !

Ô mort, ô mort douloureuse,

Comme tu m’as entourée ! –

 

– Ô ingrate pécheresse,

Retourne vers ton Seigneur,

Ne sois pas désespérée,

Car pour toi se meurt d’amour ;

Pense bien à sa douleur,

Comment l’as d’amour blessé. –

 

Moi qui l’ai tant offensé,

Qui sait si me revoudra ?

L’ai tué et affligé ;

Coupable est ma triste vie !

Ne sais même plus où suis,

Tant m’a d’amour ligotée. –

 

– Ne dois conserver doutance

Du bon accueil qui t’attend ;

Ne fais pas plus de retard,

Tu n’en as nulle raison ;

Clame lui ton intention,

Avec une plainte amère. –

 

– Ô Jésus-Christ pitoyable,

Où te trouver, mon amour ?

Ne reste pas plus caché,

Car me meurs à grand douleur.

Qui donc a vu mon Seigneur ?

Le dise qui l’a trouvé ! –

 

– Ô âme, nous, le trouvâmes,

Haut sur la croix appendu ;

Trépassé là le laissâmes,

Roué de coups, tout battu ;

Pour toi mourir a voulu,

Combien cher t’a acheté ! –

 

– Et moi, je commence la plainte

D’une douleur très aiguë :

Amour, et qui t’a tué ?

Tu es mort pour mon amour ;

Ô ivresse de l’amour,

Où as-tu Christ attaché ?

 

 

 

Jacopone da TODI.

 

Traduit de l’ombrien par Pierre Barbet.

 

 

 

 

 

 

 

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