Prière à Notre-Dame de Boulogne

 

 

Ô Vierge nautonière à la douce légende,

Dont le dôme béni protège au loin la lande,

Ayez pitié de ceux qui naviguent en mer,

Et qui sont si petits dans l’océan immense,

Livrés aux éléments transis et sans défense,

Pareils à des damnés projetés en enfer.

 

Ayez pitié de ceux qui s’en vont dans la brume,

Dans le froid et la nuit : à l’heure où l’on allume

La lampe au coin du feu, l’heure d’intimité

Dans la maison tranquille au bord de la falaise,

Eux debout, secouant le sommeil qui leur pèse,

Penchés sur le tillac, scrutent l’obscurité.

 

Ayez pitié de ceux qui savent l’amertume

D’une vague fouettant la figure d’écume,

La cuisante âpreté qui vous mord jusqu’au sein,

Du vent glacé geignant à travers les cordages,

Quand par les durs hivers il faut sur les bordages

Hisser le lourd filet où se blesse la main.

 

Ô Vierge ! épargnez-leur les subites rafales

Qui balayent les ponts, ruissellent dans les cales,

Et les paquets de mer se ruant sur l’avant,

Qui font pencher la barque et mouillent la voilure

Et jusque sous les flancs font craquer la membrure

Où l’on entend gémir chaque saute de vent.

 

Épargnez-leur aussi la rencontre soudaine

Des vapeurs effrayants, hurlant de leur sirène :

Brusquement, devant eux ils surgissent la nuit,

Vision d’épouvante, ombres noires qui passent

Les sabords éclairés, contre les barques basses,

Dans un sillage blanc de lumière et de bruit.

 

Soyez propice aux mots qui sortent de leur bouche,

Mots attendris, à l’heure où le soleil se couche ;

Écoutez-les rêver à ceux qu’ils ont laissés

Lorsqu’ils songent, le soir, penchés au bastingage

Après le dur labeur, qu’il n’est plus au village

Que des femmes en deuil et que des cœurs blessés.

 

Car ils sont bons et doux : ils pensent à leur mère

Qui leur apprit jadis à dire leur prière,

Ils songent à leur femme, à leurs petits enfants,

À leur promise errant anxieuse, attristée,

À tous ceux qui viendront les voir sur la jetée

Au jour encor lointain des retours triomphants...

 

Ô Vierge de Boulogne à la douce légende,

Dont le dôme béni domine au loin la lande,

Ayez pitié de ceux qui naviguent en mer

Et qui sont si petits sur l’océan immense,

Livrés aux éléments, faibles, nus, sans défense,

Pareils à des damnés qui tombent en enfer !

 

 

 

Pierre VALDELIÈVRE.

 

Recueilli dans Rosa mystica :

Les poètes de la Vierge,

du XVe au XXe siècle, s. d.

 

 

 

 

 

 

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