Vers chrestiens

 

 

                                          I

 

Seigneur, si de ta vigne un des rameaux je suis,

Dont toujours verdoyant est le branchu feuillage :

Ne permets que mon cep sèche en son bel ombrage,

Mais humecte l’humeur où triste je languis.

 

Fais que le beau soleil, ô Seigneur, dont tu luis,

Ravive les drageons qu’une greffe sacage :

Et de tes beaux rayons écarte le nuage

Qui me trouble la vue et me charge d’ennuis.

 

Nous sommes tes provins comme toy notre vigne ;

Fais que je porte un fruit qui puisse en être digne,

Ayant déjà promis qu’avec nous tu seras :

 

Sois donc avecque moy, ma faiblesse supporte :

Fais reverdir ma plante et la rends assez forte

Pour porter le bon fruit dont tu la chargeras.

 

 

                                         II

 

Seigneur, je n’ai cessé, dès la fleur de mon âge,

D’amasser sur mon chef péchez dessur péchez :

Des dons que tu m’avais dedans l’âme cachez,

Plaisant je m’en servais à mon désavantage.

 

Maintenant que la neige a couvert mon visage,

Que mes prez les plus beaux sont fanez et fauchez,

Et que déjà tant d’ans ont mes nerfs desechez,

Ne ramentoy le mal de mon âme volage,

 

Ne m’abandonne point : en ses ans les plus vieux,

Le sage Roy des Juifs adora des faux dieux,

Pour complaire au désir des femmes étrangères.

 

Las ! Fay qu’à ton honneur je puisse ménager

Le reste de mes ans sans de toy m’étranger

Et sans prendre plaisir aux fables mensongères.

 

 

 

Jean VAUQUELIN DE LA FRESNAYE.

 

 

Recueilli dans Anthologie de la poésie catholique

de Villon jusqu’à nos jours, publiée et annotée

par Robert Vallery-Radot, Georges Grès & Cie, 1916.

 

 

 

 

 

 

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