L’âme vagabonde
Je ne sais quels aïeux m’ont versé dans les veines
Ce goût passionné pour les terres lointaines
Et les rivages étrangers,
Ce désir inquiet d’aventureuses courses,
Et cette soif de boire à de nouvelles sources
Dans de mystérieux vergers.
Pourquoi ne puis-je voir se perdre au loin la route
Ni bleuir l’infini des flots, sans frémir toute ?
Quel sortilège quand le vent
Remplit le ciel profond de sa plainte secrète,
Me montre au loin tout ce que j’aime et je regrette,
Tout ce que je pleure souvent ?
Quel est donc ce pays de lumière et d’arômes
Où m’appelle sans cesse un essaim de fantômes
Dont mon cœur écoute la voix ?
L’odeur de l’herbe qui repousse au bord des sentes,
Comme le souffle frais des vagues mugissantes,
M’enivre et m’apaise à la fois.
Mes soucis gémissants, je les force à se taire
En m’en allant par la campagne solitaire,
Pleine de chansons et de bruits ;
J’accompagne au verger l’abeille qui maraude,
Une source me tend sa coupe d’émeraude,
Et les treilles m’offrent leurs fruits.
En vain j’ai dû passer par mainte dure épreuve,
Je sens en moi renaître une espérance neuve
À chaque détour du chemin ;
Malgré combats, deuils et revers, je ne puis croire
Que je ne marche pas dans la nuit vers la gloire
De quelque bonheur surhumain.
Sur une rive vierge et superbe quand j’erre,
Heureuse d’être libre, inconnue, étrangère,
Je redeviens comme jadis
Une enfant qui sourit, soupire, espère et tremble,
Et le soir, quand le ciel s’illumine, il me semble
Être au seuil de mon paradis.
VÉGA, L’Ombre des Oliviers.
Recueilli dans les Suppléments à l’Anthologie
des poètes français contemporains, 1923.