À la gloire des cieux

 

 

L’infini tout entier transparaît sous les voiles

Que lui tissent les doigts des hivers radieux,

Et la forêt obscure et profonde des cieux

Laisse tomber vers nous son feuillage d’étoiles.

 

La mer ailée, avec ses flots d’ombre et de moire,

Parcourt, sous les feux d’or, sa pâle immensité ;

La lune est claire et ses rayons diamantés

Baignent tranquillement le front des promontoires.

 

S’en vont, là-bas, faisant et défaisant leurs nœuds,

Les grands fleuves d’argent, par la nuit translucide ;

Et l’on croit voir briller de merveilleux acides

Dans la coupe que tend le lac, vers les monts bleus.

 

La lumière, partout, éclate en floraisons

Que le rivage fixe ou que le flot balance ;

Les îles sont des nids où s’endort le silence.

Et des nimbes ardents flottent aux horizons.

 

Tout s’auréole et luit du Zénith au Nadir,

Jadis, ceux qu’exaltaient la foi et ses mystères

Apercevaient, dans la nuée autoritaire,

La main de Jéhovah passer et resplendir.

 

Mais, aujourd’hui, les yeux qui voient scrutent là-haut,

Non plus quelque ancien Dieu qui s’exile lui-même,

Mais l’embroussaillement des merveilleux problèmes

Qui nous voilent la force, en son rouge berceau.

 

Ô ces brassins de vie où bout en feux épais

À travers l’infini la matière féconde !

Ces flux et ces reflux de mondes vers des mondes,

Dans un balancement de toujours à jamais !

 

Ces tumultes brûlés de vitesse et de bruit

Dont nous n’entendons pas rugir la violence

Et d’où tombe pourtant ce colossal silence

Qui fait la paix, le calme et la beauté des nuits !

 

Et ces sphères de flamme et d’or, toujours plus loin,

Toujours plus haut, de gouffre en gouffre et d’ombre en ombre,

Si haut, si loin, que tout calcul défaille et sombre

S’il veut saisir leurs nombres fous, entre ses poings !

 

L’infini tout entier transparaît sous les voiles

Que lui tissent les doigts des hivers radieux

Et la forêt obscure et profonde des cieux

Laisse tomber vers nous son feuillage d’étoiles.

 

 

 

Émile VERHAEREN,

La Multiple Splendeur.

 

Paru dans Toutes les lyres,

anthologie critique des poètes

contemporains, 1911.

 

 

 

 

 

 

 

 

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