Heure d’après-midi

 

 

C’est la bonne heure où la lampe s’allume ;

Tout est si calme et consolant, ce soir,

Et le silence est tel que l’on entendrait choir

Des plumes.

 

C’est la bonne heure où, doucement,

S’en vient la bien-aimée,

Comme le brise ou la fumée,

Tout doucement, tout lentement.

Elle ne dit rien d’abord – et je l’écoute ;

Et son âme, que j’entends toute,

Je la surprends luire et jaillir

Et je la baise sur les yeux.

 

C’est la bonne heure où la lampe s’allume,

Où les aveux

De s’être aimé le jour durant,

Du fond du cœur profond mais transparent

S’exhument.

 

Et l’on se dit les simples choses :

Le fruit qu’on a cueilli dans le jardin ;

La fleur qui s’est ouverte

D’entre les mousses vertes ;

Et la pensée éclose, en des émois soudains,

Au souvenir d’un mot de tendresse fanée

Surpris au fond d’un vieux tiroir,

Sur un billet de l’autre année.

 

Voici quinte ans déjà que nous pensons d’accord ;

Que notre ardeur claire et belle vainc l’habitude,

Mégère à lourde voix, dont les lentes mains rudes

Usent l’amour le plus tenace et le plus fort.

 

Je te regarde, et tous les jours je te découvre,

Tant est intime ou ta douceur ou ta fierté :

Le temps, certes, obscurcit les yeux de ta beauté,

Mais exalte ton cœur dont le fond d’or s’entrouvre.

 

Tu te laisses naïvement approfondir,

Et ton âme, toujours, paraît fraîche et nouvelle ;

Les mâts au clair, comme une ardente caravelle,

Notre bonheur parcourt les mers de nos désirs.

 

C’est en nous seuls que nous ancrons notre croyance

À la franchise nue et la simple bonté ;

Nous agissons et nous vivons dans la clarté

D’une joyeuse et translucide confiance.

 

Ta force est d’être frêle et pure infiniment,

De traverser, le cœur en feu, tout chemin sombre,

Et d’avoir conservé, malgré la brume ou l’ombre

Tous les rayons de l’aube en ton âme d’enfant.

 

 

 

Émile VERHAEREN, Les Heures.

 

Recueilli dans Les poèmes du foyer.

 

 

 

 

 

 

 

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