L’âme antique

 

 

L’âme antique était rude et vaine

Et ne voyait dans la douleur

Que l’acuité de la peine

Ou l’étonnement du malheur.

 

L’art, sa figure la plus claire,

Traduit ce double sentiment

Par deux grands types de la Mère

En proie au suprême tourment.

 

C’est la vieille reine de Troie :

Tous ses fils sont morts par le fer.

Alors ce deuil brutal aboie

Et glapit au bord de la mer.

 

Elle court le long du rivage,

Bavant vers le flot écumant,

Hirsute, criarde, sauvage,

La chienne littéralement !...

 

Et c’est Niobé qui s’effare

Et garde fixement des yeux

Sur les dalles de pierre rare

Ses enfants tués par les dieux.

 

Le souffle expire sur sa bouche,

Elle meurt dans un geste fou.

Ce n’est plus qu’un marbre farouche

Là transporté nul ne sait d’où !...

 

La douleur chrétienne est immense,

Elle, comme le cœur humain.

Elle souffre, puis elle pense,

Et calme poursuit son chemin.

 

Elle est debout sur le Calvaire

Pleine de larmes et sans cris.

C’est également une mère,

Mais quelle mère de quel fils !

 

Elle participe au Supplice

Qui sauve toute nation,

Attendrissant le sacrifice

Par sa vaste compassion.

 

Et comme tous sont les fils d’elle,

Sur le monde et sur sa langueur

Toute la charité ruisselle

Des sept blessures de son cœur.

 

Au jour qu’il faudra, pour la gloire

Des cieux enfin tout grands ouverts,

Ceux qui surent et purent croire,

Bons et doux, sauf au seul Pervers,

 

Ceux-là, vers la joie infinie

Sur la colline de Sion,

Monteront d’une aile bénie

Aux plis de son assomption.

 

 

 

Paul VERLAINE, Sagesse.

 

 

 

 

 

 

 

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