Panorama d’Auvergne

 

 

Vers un octobre, – époque où la bécasse émigre, –

Nos sous-bois auvergnats sont tout soie et velours.

Aux arbres des brocarts flottent, dorés et lourds ;

Le sol est moucheté comme une peau de tigre.

 

Des champignons gonflés de ferments vénéneux,

Dans les mousses, aux tons fanés de chrysanthèmes,

– Aigues-marines, verts jaunis, roses vineux, –

S’étalent, purulents comme des apostèmes.

 

Dégageant un relent de feuillage moisi,

Avec des plis moelleux de dentelles légères,

Et l’éclat somptueux du satin cramoisi,

Majestueusement se meurent les fougères.

 

Et, dans l’ombre des bois, trouant leur dais vermeil,

Parfois, le long d’un tronc, au flanc de quelque roche,

– Javelot qu’une main invisible décoche, –

Glisse, oblique et vibrant, un rayon de soleil.

 

Ainsi que d’un fourreau de velours une dague,

D’une touffe de mousse une vipère sort ;

À travers les taillis un merle noir zigzague ;

Un renard passe, un geai criard prend son essor.

 

Une vache, d’un front hardi brisant les branches,

Apparaît ; sa clochette a des sons de cristal ;

Le bois s’éclaire : un pré verdoie ; et le Cantal,

Au fond de l’horizon, hausse ses cimes blanches

 

Mur géant, où la neige a mis son badigeon,

Il fait songer à quelque énorme forteresse ;

Et le Puy-de-Griou, qui fièrement s’y dresse,

Conique et pointu, semble en être le donjon.

 

Au second plan ce sont des champs creusés d’ornières ;

Des buttes, des hameaux dans chaque pli du sol,

Et des châteaux : Leybros, Cologne, Espinassol ;

C’est Vielles, gris et rouge, au flanc de ses marnières ;

 

C’est le Mons, haut perché comme un nid de busard.

Dans des feuillages d’or, au creux d’une colline,

Dont le penchant herbeux vers le Midi s’incline,

Messac se chauffe en plein soleil, comme un lézard.

 

Le vallon s’élargit : sous le saule et le vergne,

Le ruisseau d’Authre, clair et frais, court mollement,

Et transforme en un gai paysage normand,

Très vert et plantureux, ce petit coin d’Auvergne.

 

Poussant des bœufs pourprés dans le brun des labours,

Et tranchant le genêt, déracinant la brande,

Les bouviers du pays partout chantent la Grande 1

À pleins poumons. – Ils ont, comme les guerriers boers,

 

D’épais colliers de poil tout autour des mâchoires.

Ils s’attachent aux reins un tablier de peau ;

Et, sur leurs crânes ronds de Celtes, un chapeau

Ouvre, énorme et velu, de larges ailes noires.

 

À leurs chants, que nota quelque vieux ménestrel,

Ils mêlent par instants de sonores vocables ;

Et les bœufs entendant : Yé Bourro ! Yé Queirel !

Font saillir des tendons aussi gros que des câbles.

 

Des pastoures au teint brun comme du pain bis,

Et dont le soleil baise à même l’encolure,

Filent, tout en gardant leurs troupeaux de brebis,

Un lin flave et soyeux comme une chevelure.

 

Midi sonne : à travers landes, bois et palus,

Les cloches de Saint-Paul, d’Ytrac et de Crandelle

Chantent toutes ensemble ; et c’est à tire-d’aile

Que monte vers le ciel un essaim d’Angélus.

 

Et pour mieux exalter Notre-Dame la Vierge,

Ayant pris comme assise un très haut pic, Nieudan

Darde, là-bas, en plein azur, vers l’Occident,

Son clocher cylindrique et tout blanc comme un cierge.

 

Au loin, une buée aux contours sinueux

Marque la gorge à pic, rocailleuse et bourrue,

Par où, tel un galop de dragons monstrueux,

La Cère, hennissante et baveuse, se rue.

 

Plus loin, ce sont des bois au feuillage jauni,

Puis d’âpres coteaux ; puis, à plus de trente lieues,

Noyés dans une mer de brumes toutes bleues,

La Corrèze, le Lot, l’Aveyron, l’infini...

 

Et les rudes bouviers, contents, heureux de vivre,

Songent obscurément, en face du Cantal,

Devant ce décor d’ambre et de pourpre et de cuivre,

Que nul pays ne vaut leur paradis natal.

 

 

 

Arsène VERMENOUZE, Mon Auvergne.

 

Recueilli dans les Suppléments à l’Anthologie

des poètes français contemporains, 1923.

 

 

 

 

 

 



1Mélopée montagnarde.

 

 

 

 

 

 

 

 

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