Madeleine au désert

 

 

Maintenant, c’est le grand silence,

Le travail et la pauvreté,

C’est le désert illimité,

C’est la douce mort qui commence.

 

Où sont, reine du fol amour,

Les diamants de ton corsage ?

Quelle ombre sur ton beau visage

Rose comme le point du jour !

 

Qu’as-tu fait de ton âme étrange

Qui vibrait comme un violon ?

Qu’as-tu fait, belle Madelon,

De tes yeux fous de mauvais ange ?

 

Depuis la nuit de ses aveux,

Son front blanc s’est couvert de cendre.

Elle a meurtri sa gorge tendre,

Elle a coupé ses longs cheveux.

 

Dans une grotte de feuillage

Elle est seule au pied de la croix ;

Elle mange les fruits des bois

Et l’eau de pluie est son breuvage.

 

Parfois un oiseau bigarré

Vient se poser à côté d’elle ;

Elle regarde une hirondelle

Qui traverse le soir doré.

 

La mésange et le hoche-queue

Enchantent souvent son réveil ;

Elle aime à voir en plein soleil

Une fleurette jaune ou bleue.

 

Mais comme tout va lentement !

De quel pas traînant marche l’heure !

Quand donc s’ouvrira la demeure

Où l’attend l’immortel amant ?

 

Elle regrette ses folies

Et le trésor de sa beauté,

Un âcre goût de volupté

Remonte à ses lèvres pâlies.

 

Et puis elle pleure. – « Pitié,

Pitié, maître, pour mes faiblesses.

C’est donc vrai que tu me délaisses ? »

Et son cœur se brise à moitié.

 

Voici qu’à l’heure où le soir tombe

Dans la paix du firmament bleu,

Apparaît un ange de Dieu

Dont la main porte une colombe.

 

« Ô Madeleine aux cheveux d’or,

Que diras-tu du temps qui passe ? »

« Seigneur, seigneur, je suis si lasse ! »

« Tu resteras sept ans encor. »

 

La douce image est envolée

Et soudain tout s’est assombri ;

Sur le paysage fleuri

Tombe la neige désolée.

 

Quels cris d’angoisse à l’horizon !

Comme il éclaire et comme il vente !

Madeleine, en son épouvante,

A presque perdu la raison.

 

Et, tandis que tout se lamente,

La terre et l’eau, le ciel, les bois,

On entend rire à pleine voix

Au plus épais de la tourmente.

 

Toujours brûlants, jamais lassés

Sous les étreintes qui les pressent,

Apparaissent et disparaissent

Des couples d’amants enlacés.

 

Un œil brille, une gorge éclate ;

Il passe des mots embrasés ;

On entend le vol des baisers

Parmi les bouches d’écarlate.

 

Un chacun chante : « Maudits, maudits

Les fronts tristes, les cœurs moroses ;

Le vrai bonheur est dans les roses,

L’amour est le seul paradis. »

 

Un souffle de l’aurore emporte

Toutes ces âmes de langueur ;

Madeleine, le trait au cœur,

Reste blanche comme une morte.

 

Que lui sert de s’agenouiller ?

Pauvre brebis sans assistance,

Au livre de sa pénitence

Tous les mots semblent se brouiller.

 

Voici qu’à l’heure où le soir tombe,

Dans la pourpre du ciel en feu,

Elle rêvait l’ange de Dieu

Qui tient en ses mains la colombe.

 

« Madeleine du vert printemps,

Que dis-tu, belle pécheresse ? »

« Ô Seigneur, voyez ma détresse. »

« Tu resteras encor sept ans. »

 

Et de nouveau chaque heure passe

D’un pied traînant comme l’ennui,

Et le jour succède à la nuit

Du même pas que rien ne lasse.

 

Les yeux tournés vers l’orient,

Madeleine voit chaque année

Jeter sa couronne fanée

Au vent qui l’effeuille en riant.

 

Sous le soleil et sous la pluie,

Au souffle gelé des hivers,

Comme la fraîcheur des prés verts,

Sa beauté s’est évanouie.

 

C’est fini de sa chair en fleur,

Si délicate et diaphane ;

Comme une rose qui se fane

Son doux visage est sans couleur.

 

Sa bouche, heureuse, fraîche et gaie,

A perdu son rire éclatant ;

On voit en son œil pénitent

S’alanguir l’âme fatiguée.

 

Mais Jésus n’est plus si lointain,

Il lui sourit au fond des nues ;

Les larmes lui sont revenues

Comme la rosée au matin.

 

Sa jeunesse qui fut si blonde

A bien fini par s’endormir ;

Elle regarde sans frémir

Le vain simulacre du monde.

 

Parfois un vent délicieux

Vient se mêler à son haleine.

C’est l’odeur de la marjolaine

Qui fleurit au jardin des cieux.

 

Voici qu’à l’heure où sous les branches

Pointe l’aube, timide un peu,

Paraît encor l’ange de Dieu,

La colombe dans ses mains blanches.

 

« Madeleine, le jour a lui,

Veux-tu voir le Maître en sa gloire ? »

« Oh non, Seigneur, je n’y puis croire,

Mon cœur est indigne de lui. »

 

« Comment m’aimerait-il encore ?

J’ai si peur et j’ai tant péché !

Mon cœur est un oiseau caché

Qui chante de loin pour l’aurore. »

 

« Madeleine, l’époux charmé

Qui voit tes yeux sait toute chose ;

Viens refleurir, ô blanche rose,

Dans le palais du Bien-Aimé. »

 

L’ange, ayant dit cette parole,

Sourit comme un adolescent,

Et, dans l’azur éblouissant,

La colombe plane et s’envole.

 

 

 

Gabriel VICAIRE.

 

Paru dans La Grande Revue en 1888.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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