Forêt d’hiver

 

 

Sous les arceaux de tes vieux chênes,

Forêt d’hiver, encor en deuil,

Tu dois me faire bon accueil,

Car je viens te conter mes peines !

 

Je n’ai pas de larmes aux yeux,

Et mon chagrin est un mystère :

Mais lis sur mon visage austère

Qu’on en meurt et que ça vaut mieux !

 

On en meurt, le sourire aux lèvres,

Le verbe haut, l’esprit moqueur,

Pour laisser croire au chroniqueur

Que c’est d’une balle ou des fièvres !

 

... Et c’est de l’Amour ! Qu’il se nomme

Instinct, sacrilège ou pitié ;

Qu’on le prenne pour l’Amitié,

Fleur de printemps ou fruit d’automne.

 

On en meurt, et très sûrement !

En attendant, il faut bien vivre ;

Feuilleter jusqu’au bout le livre

Du Destin, qui promet et ment !

 

Puisque tu dois bientôt renaître,

Vieille forêt, temple des nids

S’ouvrant aux amours infinis

Pour obéir au divin Maître ;

 

Dis-moi le secret de la Mort !

Dans cet Au-delà tutélaire,

Le régime est-il cellulaire,

Et serai-je tout seul encor ?

 

Tout seul, sans l’âme fraternelle

En qui mon âme se confond,

Comme la sainte hostie au fond

Du calice, – ô joie éternelle !

 

Non ! puisque c’est le Paradis,

Que l’on voit Dieu parmi ses anges,

Et que l’on chante ses louanges

Cœur contre cœur, comme jadis !

 

« Fais comme moi », m’a dit un chêne

Que le lierre avait entouré :

« De ton vieux cœur énamouré

« Laisse, en paix, reverdir la chaîne ! »

 

Et, comme aux pieds d’un confesseur,

Faisant devant lui ma prière,

J’ai pris cette feuille de lierre,

Pour la mettre à ton front, ma sœur !

 

 

 

J. de VILLEURS.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1897.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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