Mon regard se voile...

 

 

Mon regard se voile aux choses du monde ;

Il s’est fait une ombre entre elles et lui ;

Chaque heure a rendu ma nuit plus profonde,

Et je ne vois plus quand le jour a lui.

 

Si, – dernier bonheur ! – je pouvais encore

Suivre d’un ami le doux entretien,

Au chant des oiseaux saluer l’aurore...

Mais je ne vois plus ! je n’entends plus rien !

 

Ténèbres ! prison où l’âme se traîne !

Pour la délivrer, mieux ne vaut-il pas

L’affranchir de vivre, et briser la chaîne

Qui la tient ainsi captive ici-bas ?

 

Non ! car, dès l’instant qu’il lui donna l’être,

Aux ordres de Dieu l’homme est un soldat :

Il doit obéir, et n’est pas le maître

De quitter le rang au jour du combat.

 

Puis, si long que soit le temps de l’épreuve,

Sur tel océan qu’il soit ballotté,

De telles douleurs que l’âme s’émeuve,

Tout finit bientôt à l’éternité.

 

Ayez donc courage, et si votre oreille

Est au bruit humain sourde désormais,

Écoutez la voix de Dieu qui s’éveille

Et dans votre cœur fait naître la paix ;

 

Et, si vos regards, éteints et sans flamme,

N’aperçoivent plus l’horizon mortel,

Voyez se lever, au fond de votre âme,

Les premiers rayons du jour éternel.

 

 

 

Henri VILLARD.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1891.

 

 

 

 

 

 

 

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