Recueillement

 

 

N’est-il pas de ces jours où, las du bruit que font

D’autres hommes plus vains, l’homme éprouve, au profond

De son cœur, un besoin de silence et de calme ?...

Qu’un bel ange élevant une funèbre palme

Nous mène alors vers ceux que nous avons perdus,

Morts bien-aimés à qui nos hommages sont dus !...

S’ils ne voient plus leurs fils, ils peuvent les entendre ;

Leur esprit, tel un feu qui couve sous la cendre,

S’éveille à notre souffle, et flambe et brille clair

Pour réchauffer encor les enfants de leur chair,

Lorsqu’ils ont froid et qu’à des doigts – comme on est lâche ! –

Plus glacés que les leurs, pèse la moindre tâche,

Et que sombre est le front face à l’azur si beau...

Quel étrange colloque au-dessus d’un tombeau !

L’un parle et se souvient, l’autre paraît se taire.

Celui-ci, de son long étendu dans la terre,

Ne s’est-il point couché pour l’éternel repos ?

Son sommeil n’est pas plus troublé par ces propos

Que par le bruit furtif d’un feuillage qui tremble,

Un murmure d’abeille... ou, du moins, il le semble...

Car, sourde et cependant profonde, c’est sa voix,

Celle qu’on entendait aux beaux jours d’autrefois,

Mais plus persuasive en ce lieu solitaire,

L’écho de l’au-delà lui donnant son mystère...

 

Toi qui souffres de vivre et, parfois, t’en repens,

Te voici, front plus bas et l’haleine en suspens ;

Flot amer qui, du cœur jusqu’aux lèvres, remonte,

De tes maux, vrais ou faux, tu lui faisais le compte...

Et c’est à toi, vivant, de te taire !... La paix

De ce lieu – le vent meurt aux feuillages épais.

Et c’est comme à regret qu’une rose s’effeuille –

Est si grande que l’homme à loisir s’y recueille...

Que dit-elle, la voix du mort ? Et quel conseil

Te donne-t-elle, à toi, qui jouis du soleil,

Mais qui n’en vois que l’ombre, et sombre, et las, et morne,

Dans la route des jours t’assieds sur chaque borne,

Et qui laisses tomber les outils de ta main,

Et trouves sans rayons et sans but le chemin ?...

Elle te dit qu’il faut avoir le ciel en vue...

Montagne de la foi, haute, mais non ardue,

Que vers elle tes pas te portent d’un élan !

D’autres te soutiendraient serais-tu chancelant :

Les âmes qui s’en vont vers Dieu sont fraternelles ;

Même un ange au besoin t’aiderait de ses ailes.

Rien n’appesantira ta marche... Alors, là-haut,

Du chant des bienheureux tu percevras l’écho.

– Cette montagne au pur sommet, ils l’ont gravie ! –

Seule l’éternité donne un sens à la vie...

Des pierres rouleront sous tes pieds. Quel bruit vain

Pour le croyant en proie au vertige divin

Qui, dans chaque caillou, voit une heure éphémère !...

 

Voilà ce que te dit ou ton père, ou ta mère,

Celui qui t’a guidé, celle qui t’a bercé...

 

Pense à ceux dont le nom se perd dans le passé,

Et qui voulaient leurs fils toujours fils de l’Église...

 

Va vers l’enclos où tout voisine et s’égalise ;

Le riche monument de marbre ou de granit

N’écrase pas – chacun a droit à l’infini –

L’humble tombe. – Il en est recouvertes d’orties,

Barques dans quel oubli, noir naufrage, englouties,

Mais dont la croix penchante évoque un mât qui tient

À montrer que le passager fut un chrétien.

Vers elles sans bouquet, d’une tombe fleurie,

Sur laquelle, à genoux, fidèle, quelqu’un prie,

Un pétale s’envole, emporté par les vents :

Les morts font leur aumône à défaut des vivants...

 

N’est-ce pas qu’il te rend plus courageux, plus calme.

Le bel ange funèbre avec sa haute palme ?...

 

 

 

Gabriel VOLLAND.

 

Paru dans Le Noël et la Maison en janvier 1939.

 

 

 

 

 

 

 

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