Le bal

 

 

Heureux temps, où j’aimais la danse pour la danse ;

Où la veille d’un bal, durant la nuit, mes yeux

Voyaient, demi-fermés, se former en cadence

                   Mille groupes joyeux !

 

Ou mon réveil était un bonheur, un délire,

Où la première alors j’étais toujours debout,

Où mon cœur battait d’aise, où par un long sourire

                   Je répondais à tout.

 

Où, sans savoir encor, si j’étais laide ou belle,

J’ornais mes noirs cheveux d’une riante fleur,

Sans que mon front gardât, riant et pur comme elle,

                   Des traces de douleur !

 

Car j’ignorais alors que le ciel à la femme

Eût dit : « Tu grandiras pour aimer et souffrir ! »

Et qu’aimer et souffrir fût même chose à l’âme,

                   Et fit toujours mourir.

 

Heureux temps, où mes pieds, dans leur folle vitesse,

Semblaient ne pas poser sur le parquet glissant ;

Où mes regards, n’ayant ni langueur ni tristesse,

                   Trouvaient tout ravissant ;

 

Où je ne cherchais pas, jalouse et soucieuse,

Du regard un regard, d’une main une main ;

Où le bal le plus beau, pour mon âme oublieuse,

                   Était sans lendemain ;

 

Où jamais, au retour, une pensée amère,

N’ayant entremêlé de pleurs un court adieu,

Je m’endormais, donnant un baiser à ma mère,

                   Une prière à Dieu !

 

Car j’ignorais qu’il compte et nos jours et nos larmes,

Avant de leur donner de la réalité,

Et je n’avais alors, étrangère aux alarmes,

                   De foi qu’en sa bonté !

 

Heureux temps, à jamais retranché de ma vie,

Jours, dont je garde encore un si doux souvenir ;

Oh ! que vous promettiez à mon âme ravie

                   D’autres jours à venir !

 

Et que je savais peu, dans mon insouciance,

Que l’amour se jouait de nous, comme l’enfant

Fait des fleurs qu’il rejette avec impatience,

                   Et cueille triomphant.

 

Que l’on m’eût dit alors : Tu deviendras rêveuse,

Puis triste, toujours triste ; et j’aurais ri longtemps,

Sans comprendre qu’on pût se trouver malheureuse

                   Plus de quelques instants !

 

Car ma jeune âme était paisible comme l’onde

Sur laquelle un beau jour avant l’orage a lui,

Et souriait au monde, hélas ! tant que ce monde

                   Pour moi n’avait pas lui !

 

 

Mélanie WALDOR.

 

Recueilli dans Souvenirs poétiques de l’école romantique, 1843.

 

 

 

 

 

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