Amour conjugal

 

 

Ne craignons pas d’aimer notre amour tel qu’il est.

 

Je sais... Deux vieux époux, sur qui le crépuscule

                Jette un pâle et dernier reflet,

                C’est chose fade et ridicule...

Je sais... Nous n’avons rien des tragiques Amants,

                Rien d’une rare et folle flamme :

                Un vieil homme au bras de sa vieille femme

                N’a jamais orné ni vers ni romans.

Je sais... Je n’ai plus droit à dire encor : je t’aime !

Les « Vingt-ans » souriraient si je baisais ton front.

Je sais... Dans la splendeur d’un immortel poème

La jeunesse et l’amour toujours se confondront.

Et cependant, à deux, trente ans, d’un même songe,

Heure par heure, ensemble, avoir – souvent meurtris –

Fortement composé l’œuvre humaine sans prix ;

Fidèles, bravement, avoir, sans un mensonge,

                Ensemble souffert, ensemble espéré,

                              Ensemble pleuré ;

                          Sur la même côte gravie

Avoir trente ans traîné le même fardeau lourd,

                    Mais joyeux, semant chaque jour,

De nos deux cœurs mêlés avoir donné la vie,

 

Femme, qu’est-ce que c’est, si ce n’est pas l’amour ?

 

                                      *

 

    L’amour des vieux époux fleurit en gratitude.

 

                        Avant la longue et tendre étude

                        Du cher Cœur qui m’a réjoui,

                        J’aime à célébrer le prélude

                        De ce beau matin ébloui

                        Où tu signas ta servitude

                        Sans avoir peur de dire : Oui.

 

              Où tu dis Oui, prête à l’offrande

              De tes biens les plus glorieux,

Oui pour ta main, Oui pour ta lèvre et pour tes yeux,

Tout ce qu’à la Beauté l’ardent Désir demande,

              Oui pour le suprême abandon

              De ta jeunesse – jusqu’à l’âme,

Oui pour l’oubli de toi jusqu’à perdre ton nom,

Pour n’être qu’à moi seul, dans tous les temps, MA FEMME

              Ou tu dis Oui, te renonçant,

Pour répandre en secret sous l’écorce la sève,

              Oui pour la vie et pour le rêve,

              Pour l’amour et ce qui l’achève,

              Pour la douleur – jusqu’à l’Enfant !

 

Et depuis, à mon souffle, à tout mon sang mêlée,

Tu glisses à travers mes jours chargés de fruits,

              Inlassable source voilée,

Ton flot mystérieux qui féconde sans bruits.

              Tu vis dans mon ombre effacée,

– Mais de quelle tendresse et de quelle ferveur ! –

              Dans tous les coins de ma pensée,

              Dans tous les pas de mon bonheur,

              Dans l’étoffe où rit ton labeur,

              Dans la fleur – du vase élancée,

              Dans la page au rythme songeur :

Les plus doux de mes vers sont fils de ta douceur.

              Ah ! si tu devais disparaître,

Soudain me laisser seul dans le cachot étroit,

              Que mon cœur, sans flamme, aurait froid !

Quel grand frisson de mort secouerait tout mon être !

Mais non ! Vous êtes là toujours, malgré les ans,

              Leur fatigue et leurs meurtrissures,

              Prompte à prodiguer vos présents.

              À vous charger des soins pesants,

              À verser le baume aux blessures.

Et comme au premier temps vous dites Oui sans fin,

              Oui ! pour la gêne et la contrainte,

              Oui ! pour la table et pour le pain,

              Pour le réveil de l’âtre éteint,

Oui ! pour l’effort des jours pareils, revêche et vain,

              Oui ! pour les soirs en demi-teinte,

              Pour le blâme essayé sans plainte,

          Pour le pardon du mot brusque et chagrin,

Oui ! toujours Oui ! jusqu’à devenir notre Sainte !

 

 

 

Gustave ZIDLER, La Gloire nuptiale.

 

Recueilli dans Les poèmes du foyer.

 

 

 

 

 

 

 

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