Marguerite

 

HISTOIRE AUTHENTIQUE

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

J. d’ALSACE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Elle avait six ans, mais n’en paraissait que cinq, tant elle était chétive. Elle appartenait à une de ces familles honnêtes, mais indifférentes au point de vue religieux, comme on en rencontre tant dans les faubourgs de Paris. Le père, terrassier de son métier, n’avait pas remis les pieds à l’église depuis sa première communion, si ce n’est le jour de son mariage. La mère, qui, autrefois, allait encore quelquefois à la messe, s’était peu à peu laissée gagner par l’indifférence de son mari, et avait, elle aussi, abandonné complètement le chemin de l’église.

Comment Marguerite était-elle venue au catéchisme ? Élevée à l’école communale, elle avait entendu un jour ses compagnes parler de la réouverture des catéchismes, et, poussée un peu par la curiosité et aussi par la grâce, elle était venue ce jeudi-là à la Sainte-Enfance, sans en rien dire à ses parents. En la voyant si petite, je lui demandai son âge.

– J’ai six ans, Monsieur l’abbé.

– Mais vous êtes trop jeune, mon enfant, il faut avoir sept ans.

À ces mots, une tristesse envahit soudain son minois si gentil, et une larme faillit perler au coin de sa paupière. Elle ajouta néanmoins d’un ton suppliant :

– Oh ! je serai bien sage, allez.

Il y avait dans ses veux et dans sa voix une prière si ardente, sa figure éveillée respirait si bien l’intelligence, que je me sentis gagné et que je l’acceptai.

Quand elle rentra chez elle, elle s’empressa d’annoncer à sa mère qu’elle était admise au catéchisme. Celle-ci, tout étonnée, essaya bien quelques observations ; mais, habituée à satisfaire les moindres volontés de sa fille, elle céda bien vite. Et depuis ce jour, Marguerite fut l’une des plus assidues aux réunions ; le dimanche, à la, messe, elle était d’une piété angélique, et, lorsqu’elle voyait les fidèles communier, un désir ardent embrasait son cœur, et ses yeux, rivés sur l’hostie sainte, semblaient dire : « Quand donc aurai-je le même bonheur ? »

Ses progrès furent si rapides, son application si satisfaisante, qu’au mois de mars, je lui annonçai que si ses parents y consentaient, elle pourrait être admise à la première communion privée à la fin du mois d’avril, avec ses compagnes. Quelle joie pour la chère enfant ! mais il fallait le consentement de ses parents...

Lorsqu’elle rentra, son père était justement à la maison, contraint au chômage par une grève. Quand sa fille, grimpant sur ses genoux, lui annonça la grande nouvelle, il resta tout interloqué. Cela renversait toutes ses notions traditionnelles ! Hé quoi ! sa fille, qui venait d’avoir 6 ans 1/2, allait déjà faire sa première communion ! Et lui ne l’avait faite qu’à 12 ans bien sonnés, et encore, M. le curé avait trouvé qu’il n’était guère préparé et avait faillit le retarder. Ah ! non par exemple, et puisqu’il fallait son consentement, eh bien ! il le refusait !

À cette réponse, à laquelle elle ne s’attendait pas, Marguerite se mit à pleurer, et cacha sa tête blonde sur l’épaule de son père. La mère alors intervint et reprocha à son mari de contrister ainsi la petite. Oh ! ce n’était pas qu’elle fût partisane de la communion précoce, mais elle ne pouvait pas voir pleurer son enfant, et, à la première larme, elle cédait toujours. Enhardie par ce renfort inespéré, Marguerite revint à la charge, et elle sut si bien cajoler, implorer, que son père finit par lui dire, d’un ton qu’il voulait rendre bourru : « Ah ! et puis, après tout, fais ce que tu veux ; je m’en moque. »

La partie était gagnée, et l’enfant commença à se préparer de son mieux. Dieu seul sait tous les efforts, tous les sacrifices qu’elle s’imposa en vue de la première visite de Jésus. La transformation était si visible que, le soir, le père et la mère ne pouvaient s’empêcher d’en parler avec attendrissement.

Enfin, le grand jour arriva ! Les parents, qui n’attachaient pas grande importance à cette cérémonie, puisque l’enfant n’avait pas de robe blanche et qu’on ne faisait pas la fête, la laissèrent aller seule à l’église comme les autres dimanches. Cette messe du 30 avril fut une vraie vision du paradis. Marguerite, en particulier, paraissait un ange égaré parmi nous. L’esprit uniquement fixé sur son Jésus, rien ne vint la distraire de cette pensée. Que lui dit-elle pendant son action de grâce ? Nul ne le sait, mais sa conversation avec Jésus était si intime qu’elle ne s’aperçut pas de la fin de la messe et qu’il fallut la tirer de son extase intérieure.

Elle se hâta de rentrer chez elle. En arrivant elle se précipita vers son père, et, lui prenant la tête entre ses mains, elle l’attira sur sa poitrine en lui criant : « Tiens, papa, Il est là, embrasse-Le. » Et le brave homme, appuyant ses lèvres sur le cœur de son enfant, l’embrassa longuement, tandis qu’une grosse larme roulait dans sa rude moustache.

Et depuis, tous les dimanches et tous les jeudis, les fidèles peuvent voir communier, avec une piété angélique, une petite fille, si petite qu’elle est obligée de rester debout à la Sainte Table pour recevoir son Jésus.

 

 

 

J. d’ALSACE.

 

Paru dans L’Ange gardien en 1922.

 

 

 

 

 

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