Sainte Zette

 

 

– Où je vais ? Un vieux mal guéri

« Est là, madame, qui grelotte :

« Je vais lui porter la culotte,

« Dam ! de monsieur votre mari.

 

– Mais pour qui cette coiffe est-elle ?

« Ce bon vieux, si je m’y connais,

« N’a que faire de mes bonnets,

« Ni de ce fichu de dentelle.

 

– Dame Gilette, vous riez :

« Car si ce vieux, faites excuse,

« N’en use pas, sa femme en use :

« Ces pauvres gens sont mariés.

 

– Et ne vas-tu pas, tout à l’heure,

« Leur porter aussi mes bijoux ?

– Leur petit n’a pas de joujoux...

« Et pourquoi pas ? Cet enfant pleure.

 

– Puis voyez-vous ce poulet fin,

« Et ces grosses parts de galette !

– Ne grondez pas, Dame Gilette :

« Ces pauvres gens meurent de faim.

 

« Ils ont soif aussi. Pour bien faire,

« Dans ce panier je leur ai mis

« Du vin, non pas du vin d’amis,

« Mais celui que Monsieur préfère. »

 

Cependant, quand Zette eut conté,

Innocemment, ayant pour elle

Sa simplicité naturelle,

Qu’en outre encor, par charité,

 

Elle avait, sans penser déplaire,

Logé ces gens dans la maison,

La Dame, avec quelque raison,

Finit par se mettre en colère.

 

« Il ne manquait plus que cela ! »

Cria-t-elle à Zette, inondée

De pleurs dont on n’a pas l’idée.

« Où sont-ils ? – Madame, ils sont là,

 

« Ils sont là tous les trois ensemble

« Dans votre beau salon doré :

« Je n’ai rien fait que le curé

« Ne prêche en chaire, ce me semble. »

 

Et voilà-t-il pas qu’en entrant,

Servante et maîtresse, ô merveille !

Au lieu du vieux et de la vieille

Et du pauvre petit pleurant,

 

Virent de leurs yeux, je vous prie,

Sur un fond d’or miraculeux,

Joseph et, dans ses langes bleus,

Jésus souriant à Marie.

 

 

 

Robert de BONNIÈRES.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1892.

 

 

 

 

 

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