Celui qui frappe

 

 

Par une triste nuit sans lune,

Noire ainsi qu’un vilain péché,

Sur ma chaude couette brune

Dans mon lit-clos j’étais couché ;

Tout à coup, j’entends sur ma porte

Heurter d’une brutale main :

– « Holà ! qui frappe de la sorte ? » –

– « C’est un pauvre chercher du pain ! –

 

« Il est tard et ma huche est vide,

De mon seuil il faut déguerpir ! »

Et, dehors, dans la nuit livide,

J’entendis comme un gros soupir...

Mais, quand vint l’aube, avec surprise,

Sur ma porte, en me réveillant,

J’aperçus une tache grise :

C’était la main du mendiant !

 

 

                      *   *   *

 

La nuit suivante, à la même heure,

– Je venais de fermer les yeux –

Sur la porte de ma demeure,

On heurte un grand coup furieux...

– « Qui donc es-tu, gâs imbécile,

« Qui hier déjà, m’as demandé ! »

– « C’est un gueux qui demande asile

Sans vouloir être interrogé !...

 

– « Voudrais-tu donc que je me lève

Par ce froid, pour aller t’ouvrir ? »

Et tout en pleurant, vers la grève

J’entendis le gueux s’encourir...

Mais quand vint l’aurore vermeille,

Sur ma porte, tout frémissant,

Près des cinq doigts gris de la veille,

J’aperçus une main de sang ! !

 

 

                      *   *   *

 

Et, la troisième nuit, ma porte

Fut heurtée encore une fois,

Pendant que, douloureuse et forte,

Dehors, me parlait une voix :

– « Ouvre-moi, ouvre à l’âme en peine

D’un pécheur qui voudrait prier

Jusqu’à l’aube, déjà prochaine,

Sur la pierre de ton foyer !... »

 

À peine eus-je le temps de dire :

– « Mon foyer n’est pas un autel ! »

Que j’entendis un rire... un rire

Qui me glaça d’un froid mortel ;

Et, sur ma porte toujours close,

Toujours close à l’infortuné,

Je vis à l’aube, affreuse chose !

Les cinq doigts de feu d’un Damné !!!

 

 

                      *   *   *

 

Celui qui me voulait pour hôte

Fut meurtrier, puis se périt,

Et, sans prière, – et par ma faute –

Fut entraîné par le Maudit !

Las ! mes amis, quel deuil je porte

Depuis, dans mon cœur, en tout lieu ;

Ouvrons bien grande notre porte

À qui frappe au nom du bon Dieu.

 

 

 

Théodore BOTREL, Les Chants du Lit-Clos.

 

Recueilli dans Répertoire poétique,

poésies et monologues recueillis

par Camélienne Séguin,

Montréal, 1937.

 

 

 

 

 

 

 

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