La perdrix apprivoisée

de saint Jean l’Évangéliste

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Henri BOURGEOIS

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La première des légendes sur les animaux que nous offre l’ère chrétienne est celle de saint Jean l’Évangéliste, et il va sans dire qu’elle est tout en faveur de la bonté et des égards que nous devons à nos frères inférieurs. Le disciple bien-aimé, demeuré le modèle par excellence de la douceur, était tout naturellement désigné pour être le premier protecteur des créatures du bon DIEU.

Un jour que le Saint rentrait d’une de ses longues courses apostoliques, il rencontra sur son chemin une perdrix blessée. La pauvre petite bête, à moitié morte de froid, traînait péniblement l’aile et semblait implorer la pitié de l’apôtre. – Un indifférent eût passé sans prendre garde à l’infortunée. Combien même, plus cruels encore, se fussent empressés de profiter de cette aubaine pour achever l’oiseau et lui faire prendre le chemin de la cuisine ! – Saint Jean, lui, n’était ni indifférent, ni cruel : touché de compassion, il prit doucement la petite blessée, la mit dans son sein, la réchauffa et l’emporta chez lui, où, après avoir pansé de son mieux ses blessures, il lui donna à manger.

La perdrix, bientôt guérie, devint tout de suite apprivoisée et se prit d’une grande affection pour son sauveur. Saint Jean, de son côté, aimait beaucoup sa petite compagne. Lorsqu’il rentrait de ses courses, la perdrix s’empressait de venir au-devant de lui et le comblait de caresses, que le saint lui rendait à son tour. C’était avec sa perdrix que le doux apôtre, lorsqu’il avait bien travaillé, bien prié, aimait à prendre ses récréations, lui donnant à manger dans sa main et prenant plaisir à la voir voleter autour de lui. Lorsqu’elle mourut, il la pleura, et ce fut pendant longtemps un grand chagrin pour lui de ne plus trouver à ses côtés la mignonne petite bête à laquelle il s’était attaché.

La tradition ne nous a point conservé d’autre souvenir des relations entre saint Jean l’Évangéliste et les animaux, mais ce touchant exemple nous permet de supposer que, s’il avait sa petite préférée, le disciple bien-aimé devait être également bon et affectueux pour tous les autres animaux. On aime à se le figurer, de longs siècles avant François d’Assise, apprivoisant, caressant et réunissant autour de lui les petites bêtes de la création, et mettant en pratique les paroles de son divin Maître, auquel il avait entendu dire que le bon DIEU a soin de pourvoir lui-même à la nourriture des petits oiseaux !

Quoi qu’il en soit, sachons tirer un enseignement pratique de l’histoire de la petite perdrix du bon saint Jean. Au lieu d’imiter ces orgueilleux et ces cruels, qui traitent de fausse sensiblerie l’affection pour les bêtes et accablent ces dernières de mauvais traitements, apprenons, à l’exemple du grand apôtre, qu’on peut parfaitement allier la charité envers le prochain, laquelle passe avant tout, bien entendu, avec certains égards pour les animaux, qui sont des créatures du bon DIEU, destinées par lui à être nos auxiliaires, mais nullement nos victimes. Certes, personne ne serait tenté d’accuser saint Jean d’avoir manqué aux devoirs de la charité envers ses semblables, lui qui fut l’apôtre de la charité par excellence ! Et cependant cet apôtre de la charité aimait et caressait sa petite perdrix ! Bien avant la Société protectrice des animaux et M. de Grammont, il avait compris que les habitudes de cruauté envers les bêtes sont une mauvaise préparation aux devoirs de charité envers le prochain, et il avait proclamé et mis en pratique à l’avance ce beau précepte de Montaigne « que nous debvons la justice aux hommes et la grâce et la bénignité aux aultres créatures ».

 

 

 

 

Henri BOURGEOIS,

Les saints et les animaux, 1900.

 

 

 

 

 

 

 

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