Mathilde et Isabelle

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Pauline BRAQUAVAL

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

I

 

 

LES DEUX AMIES.

 

 

C’était par une belle et calme soirée d’automne. Le soleil se couchait lentement derrière les montagnes, et projetait ses pâles rayons sur la robe encore toute verte des prairies. De nombreux troupeaux de moutons descendaient de la colline, et de jeunes pâtres les suivaient, en chantant une ballade du pays. Deux charmants villages se détachaient dans la vallée ; ils étaient distants entre eux d’un quart de lieue environ. Le premier était Sainingen, remarquable par son magnifique château princier ; le second était Masstetten. Celui-ci n’avait d’autre charme que ses maisons toutes blanches, entourées de vignes, et qui lui donnaient l’aspect d’un bouquet de lis et de verdure. Un étroit sentier conduisait de Sainingen à Masstetten.

Au moment où commence ce récit, une petite fille le parcourait d’un pas leste et joyeux. Rien n’était plus charmant que son visage rose, encadré de boucles soyeuses et blondes. Son regard et son sourire étaient si doux, qu’en la voyant on se sentait pris d’affection pour elle. Ses vêtements, extrêmement simples, étaient de bon goût, et d’une admirable propreté. L’enfant portait avec précaution un sachet appendu en sautoir ; et souvent, elle consultait des yeux la plaine qui s’étendait au loin, comme si elle eût été préoccupée de l’arrivée d’un être cher à son cœur. Peu à peu elle ralentit sa marche, et parut réfléchir.

Enfin elle s’arrêta, et alla s’asseoir dans l’herbe qui bordait le sentier.

– Isabelle ne peut tarder à venir, dit-elle ; je veux rester ici : en sortant de Masstetten, elle m’apercevra sans peine.

Après ces paroles, la petite fille se mit à chanter et à cueillir les rares fleurs qui croissaient çà et là autour d’elle ; puis, se ravisant tout à coup, elle dit de sa gentille voix, devenue mélancolique :

– Oh ! je suis bien insouciante ! Je chante, alors que la pauvre Isabelle est si malheureuse ! C’est très-mal à moi ! Et cependant, Dieu le sait, je songe constamment à elle. Que je voudrais rendre la santé à son bon père ! Mais, hélas ! cela est impossible : Meinrad ne saurait guérir : il a trop de chagrin. Privé de l’emploi qu’il occupait depuis si longtemps, voyant souffrir sa femme et ses enfants, comment cet excellent père pourrait-il se rétablir ?

L’enfant se tut, quelques larmes brillèrent dans ses yeux, et roulèrent, ainsi que des perles, le long de ses joues vermeilles.

– Sainte Vierge Marie, dit-elle encore avec un tendre accent de prière, venez au secours de cette famille éprouvée. Oh ! ne l’abandonnez pas, je vous en conjure.

À peine eut-elle dit ces mots qu’elle fit une exclamation de joie : l’enfant avait reconnu son amie, qui venait en toute hâte vers elle.

Isabelle paraissait avoir environ seize ans ; c’était une svelte et douce jeune fille ; ses traits portaient l’empreinte de la tristesse, et une mortelle pâleur disait évidemment combien elle avait déjà souffert.

L’enfant se leva avec empressement, et courut à la rencontre de l’adolescente.

– Isabelle, ma chère Isabelle ! dit-elle, en lui pressant les mains, que tu as l’air affligée ! ton père serait-il plus malade ?

– Hélas ! oui, Mathilde, répondit la jeune fille en penchant la tête. Pauvre père ! il a passé une si mauvaise journée !... Et puis, ce qui m’accable encore, mon amie, c’est que la misère se fait toujours sentir davantage. Bientôt nous n’aurons plus de quoi subsister. Et aller mendier... Ô Mathilde ! comment nous résoudre à le faire ? Nous qui n’avons jamais connu le besoin ; qui avons été élevés dans une modeste aisance.... Une seule chose nous reste, et j’en bénis le Seigneur, c’est notre belle chèvre. Son lait abondant soutient mon père ; bien souvent, on en réserve pour les petits enfants. Ma mère et moi, nous nous en passons volontiers ; mais pourrons-nous résister longtemps à toutes nos privations ?...

– Isabelle, interrompit Mathilde d’un ton d’affectueux reproche, combien de fois déjà je t’ai demandé de ne pas t’abattre ainsi ? Peux-tu douter de l’assistance de Dieu ? Vois, ma chère, c’est au moment où tu sembles désespérer que des secours te viennent : ce sachet est rempli de provisions ; il s’y trouve aussi de l’argent, avec lequel tu pourras te procurer le nécessaire. Le pain, la farine, le beurre et le thé viennent de maman ; l’argent, c’est notre vénérable curé qui me l’a donné pour toi ; il y a ajouté ce beau petit crucifix, et il te recommande de le garder avec soin. Maintenant, que dis-tu, Isabelle ? Doit-on se laisser aller au découragement, alors qu’un tendre père veille sur nous du haut du ciel ?

Isabelle considérait tous ces secours qui lui étaient envoyés : la pauvre enfant restait muette d’attendrissement.

– Ô Mathilde ! s’écria-t-elle enfin, en fondant en larmes, comment pourrai-je t’exprimer ma reconnaissance ? Mathilde, que tu es bonne ! Nous aurons à manger ce soir... Puisse Dieu te récompenser, généreuse amie !...

– Chut ! dit Mathilde en posant sa petite main sur la bouche d’Isabelle, et en rougissant de modestie ; je ne veux pas que tu me donnes des louanges : je n’en mérite aucune. Que puis-je par moi-même ? Rien absolument. On m’a chargée de tout ceci pour tes parents ; et s’il m’est permis de te l’apporter, mon cœur n’en éprouve-t-il pas une jouissance assez intime ?

– Chère Mathilde, insista la jeune fille, ne me défends pas de te remercier : je sais avec quelle sollicitude tu veilles à notre bien-être. Tu nous rappelles au souvenir de ta charitable mère ; tu fais, à ton digne pasteur, un tableau touchant de notre infortune, et voilà comment tu parviens à nous procurer des consolations et des douceurs. Mathilde, dis aux bienfaisantes âmes dont tu es la messagère, dis-leur que je prie Dieu afin qu’il leur rende tout le bien qu’elles nous ont déjà fait.

Les amies ne se séparèrent que lorsque le crépuscule les avertit qu’il était temps que chacune reprît le chemin de sa demeure. Elles s’embrassèrent avec effusion, et se promirent mutuellement une prochaine réunion. Toutes deux sentaient au fond de leur cœur une bien douce émotion : l’une s’en retournait consolée, et joyeuse du bonheur qu’elle allait causer à ses parents ; l’autre emportait le témoignage d’une bonne action, et l’ineffable jouissance d’avoir séché des pleurs.

 

 

 

 

 

II

 

 

LA POÉSIE.

 

 

Une grande fête se préparait dans le château et dans le village de Sainingen. L’auguste souveraine de cette partie de l’Allemagne venait, sous peu de jours, visiter son domaine et l’habiter pendant quelques semaines. Les autorités civiles et ecclésiastiques voulaient donner à sa réception le plus d’éclat possible. Depuis plusieurs années, la princesse n’avait plus été vue dans cette modeste contrée ; et, néanmoins, le souvenir de sa bonté, de sa justice, de sa touchante piété, était resté gravé dans toutes les mémoires. Les gardes forestiers, les sujets du château, disposaient le bois, le parc, les appartements avec un véritable luxe d’ordre et de propreté ; le bourgmestre veillait à l’embellissement des rues, des allées ; le digne pasteur organisait des chants de bienvenue, que le vieil instituteur enseignait à ses élèves. Tout marchait avec cet heureux entrain qu’imprime le mouvement du cœur, si ingénieux toujours, quand une sincère affection le dirige.

Un soir, Mathilde était assise avec ses parents, sous un large marronnier, qui se trouvait non loin de leur habitation. La naïve enfant faisait force questions sur le prochain évènement qui préoccupait alors tous les esprits. Oh ! combien il lui tardait de voir l’illustre et bienveillante princesse dont son père l’entretenait si souvent ! Mais, cependant, combien elle se serait tenue à l’écart, dans la crainte qu’un regard de la souveraine ne vînt la troubler jusqu’au fond de l’âme !

Le père de Mathilde était écrivain du receveur général ; on lui confiait, en grande partie, l’administration des biens de Sainingen ; et ses fonctions lui avaient procuré, plusieurs fois déjà, l’honneur d’être admis auprès de la princesse. Il avait reçu de cette dernière des marques d’estime et de confiance ; et, bien qu’il les méritât sous tous les rapports, l’excellent homme n’en avait pas moins conçu une profonde reconnaissance ; et il professait un dévouement sans bornes pour sa noble maîtresse. On comprend donc facilement qu’il avait inspiré les mêmes sentiments à sa fille, et que la douce enfant éprouvait une indicible joie en voyant les préparatifs de la fête.

La famille se disposait à rentrer pour aller goûter le repos ; déjà Mathilde avait pieusement récité sa prière du soir, lorsqu’une visite inattendue vint les surprendre. Barthélemi, le respectable instituteur, qui souvent, à cette heure, trouvait, dans un paisible sommeil, la réparation de ses forces affaiblies par une longue et consciencieuse pratique, Barthélemi vint s’asseoir auprès de l’écrivain. Contre son habitude, le vieillard était soucieux et paraissait vivement préoccupé.

– Mes amis, dit-il, une circonstance bien fâcheuse se présente pour notre fête. Vous savez que la jeune Frédérique, fille unique du receveur général, est désignée pour réciter une poésie à notre souveraine. Plusieurs fois elle l’a répétée devant moi ; et l’enfant y mettait un véritable talent. Mais voici qu’elle vient de tomber subitement malade ; et, bien que son indisposition n’offre aucun caractère alarmant, le médecin est cependant d’avis qu’elle devra tenir le lit pendant trois jours au moins. Vous pouvez juger de notre embarras : c’est après-demain qu’arrive la princesse ; il nous reste si peu de temps ; et le receveur général tient essentiellement à ce que ce poème de circonstance ait sa place au programme. Après avoir bien réfléchi, nous avons trouvé que Mathilde pouvait seule remplacer Frédérique en cette occasion solennelle. Je viens donc vous prier, de la part du receveur et de celle de notre pasteur, de permettre que votre enfant complimente la souveraine.

La mère avait tout d’abord jeté un regard sur Mathilde, qui se tenait pâle et tremblante à côté d’elle. Comment cette timide enfant aurait-elle jamais pu se résoudre à élever la voix en présence de l’auguste femme ? Le père, qui remarquait aussi le trouble extrême de sa fille, dit à l’instituteur :

– Vous devez savoir, mon ami, que nous vivons bien modestement, et que notre enfant n’a point de vêtements convenables pour se présenter devant la princesse.

– La dame du receveur général y obviera : Mathilde a la taille de Frédérique : une simple robe blanche lui ira très-bien. Ne vous arrêtez pas, je vous prie, à ces détails : nous y avons songé avant vous. Consentez seulement à ce qu’elle étudie le poème, que j’ai pris avec moi.

– Mathilde, poursuivit le bon père, d’une voix émue, chère enfant, on te fait un grand honneur aujourd’hui : tu es désignée pour être l’interprète des sentiments de tous. La princesse est douce et bienveillante : elle t’écoutera avec bonté. Tâche de vaincre la timidité de ton caractère, et dispose-toi à répondre au vœu de ton instituteur.

Mathilde se précipita au cou de son père, et lui promit de faire tout ce qu’il désirait. Quelques instants après, la docile petite était dans sa chambre à coucher, et, à la lueur de sa lampe de nuit, elle étudiait courageusement son poème. Le lendemain, dès la première heure du jour, elle se rendit près de ses parents, et, après avoir reçu leur bénédiction et de tendres embrassements, elle se mit à réciter la poésie. Ce fut au tour du digne écrivain et de sa femme à pleurer alors. Jamais ils n’avaient remarqué autant d’expression et d’intelligence dans le regard de leur enfant. Comprenant parfaitement la valeur de chaque mot, et pénétrée d’amour pour sa souveraine, elle prenait un ton de rare sensibilité ; sans aucun art, mais empruntant tout au cœur, elle communiquait à ceux qui l’entendaient une indicible émotion.

L’écrivain ne tarda pas à conduire Mathilde chez le pasteur ; et lorsqu’elle eut débité son morceau, le vénérable prêtre dit, en la bénissant :

– Chère enfant, je n’ai aucune observation à vous faire. Je suis parfaitement content, et notre pieuse princesse le sera aussi. Implorez souvent aujourd’hui la Mère de Dieu, en qui vous mettez toute votre confiance, et comptez sur le succès.

Mathilde passa la journée à étudier et à former des guirlandes de fleurs ; elle n’alla point à Masstetten, mais bien souvent elle songea à sa chère Isabelle, et, dans sa prière à Marie, elle demanda des consolations pour la pauvre famille de Meinrad si rudement éprouvée.

Le lendemain, les cloches annonçaient la grande réjouissance. Des fleurs, des verdures, des drapeaux enrichis d’allégories, étalaient leurs couleurs fraîches et variées ; un soleil magnifique venait aussi concourir à la beauté et à la splendeur de la fête. Mathilde, vêtue de blanc, attendait que son père la conduisît au lieu où le cortège devait se mettre en marche, pour aller au-devant de la souveraine. Tout à coup, une jeune fille entra en larmes, et courut saisir la main de Mathilde.

– Qu’as-tu, ma pauvre Isabelle ? s’écria l’enfant. Pourquoi pleures-tu ainsi ?...

– Mathilde, notre dernière ressource nous est enlevée... Notre bonne petite chèvre, qui donnait tant de lait, est morte hier... Que va devenir notre père ? Hélas ! il succombera d’inanition. Tu sais que le lait de chèvre seul le soutenait... Pauvre père ! que lui donnerons-nous désormais ?

Mathilde se mit à pleurer amèrement : elle comprenait que cette perte était un irréparable malheur pour la famille Meinrad.

– Oh ! Isabelle, dit-elle, cette nouvelle douloureuse va m’empêcher de réciter convenablement ma poésie. J’aurai le cœur trop navré en songeant à la tristesse dont tu es accablée ; je verrai des heureux, des richesses éblouissantes, et je tournerai mes regards vers toi, vers ta famille, privée du nécessaire... Oh ! bien sûr, mes larmes couleront à ce souvenir.

La mère de Mathilde comprenait que tout ce que disait son enfant était vrai ; elle craignait qu’en effet, la petite ne pût répondre à ce que l’on attendait d’elle. S’approchant des deux amies, en tenant une grande cruche de lait, elle dit :

– Le bon Dieu n’abandonne jamais ceux qui espèrent en lui. Prends ce lait, Isabelle, et porte-le chez toi. D’ici au temps où il sera épuisé, peut-être la consolation luira-t-elle sur la famille. Fais des vœux pour que notre enfant réussisse, et laisse-lui la douce certitude que tu seras calme et résignée.

Isabelle baisa la main de la généreuse femme, et, comprenant parfaitement ce que la délicatesse exigeait d’elle en ce moment, elle se mit à sourire, promit à Mathilde d’avoir confiance en Dieu, et, en un mot, fit tout ce qui devait ramener la sérénité dans le cœur de l’aimable enfant.

– Viens chaque jour faire remplir ta cruche, ajouta la bonne ménagère : aussi longtemps que notre vache donnera du lait, tu peux croire en toute sûreté qu’il n’en manquera pas chez toi.

Ces mots achevèrent de rendre Mathilde joyeuse et tranquille.

– Maintenant, dit-elle, j’irai au-devant de notre bonne princesse. Je lui parlerai sans hésitation, et ma récompense sera de pouvoir aller vers le soir à Masstetten ; je consolerai le bon Meinrad ; je lui donnerai les détails de la fête : il en sera heureux, car lui aussi aime notre princesse.

Le père de Mathilde, entrant en ce moment, lui dit qu’il était temps de partir, que l’illustre visiteuse ne tarderait pas à arriver. L’enfant embrassa sa mère, lui demanda de la bénir, jeta un regard d’affection et d’encouragement à son amie, et suivit résolument son père, comme si l’acte de charité qui venait de s’accomplir chez ses parents lui eût donné de l’assurance et quelque doux pressentiment.

 

 

 

 

 

III

 

 

LA PRINCESSE.

 

 

Le cortège se forma sous la direction du bon pasteur. Un groupe de jeunes garçons, puis un second groupe, composé de petites filles, ouvraient la marche. Ensuite venaient le bourgmestre, le receveur général, l’inspecteur des forêts et un grand nombre d’autorités, tous revêtus de leur plus bel uniforme. Mathilde suivait timidement, et le digne instituteur se tenait à côté d’elle. Tout à coup le bruit du canon retentit, et fit tressaillir les cœurs. Un courrier, dont la monture était couverte d’écume, vint annoncer que, dans quelques instants, la souveraine serait à Sainingen. On ne tarda pas à entendre le roulement de plusieurs voitures. Enfin, le moment solennel arriva. Un carrosse, attelé de magnifiques chevaux, parut au détour de la route, et bientôt chacun put contempler les traits de la bienveillante femme que l’on fêtait avec tant de bonheur. Dès que celle-ci aperçut le cortège, elle fit signe à ses postillons de marcher au pas. Les deux groupes entonnèrent tour à tour le chant de bienvenue, et ils semblaient être encouragés par le regard plein d’indulgence qui s’attachait sur eux. Lorsque les enfants eurent dit les chœurs, la princesse leur parla avec aménité :

– Vous avez très-bien chanté, mes chers petits amis. Je suis on ne peut plus satisfaite de vous. Je remercie aussi votre respectable instituteur. J’espère qu’il ne me refusera pas de vous accorder un jour de congé, que vous passerez à jouer dans mon parc et dans mes jardins. Je n’aime rien autant que des enfants qui, comme vous, se rendent dignes des soins dont on les entoure.

La souveraine reçut ensuite les compliments des autorités ; elle eut pour tous un gracieux remercîment, quelque charmant témoignage de satisfaction. Vint enfin le tour de Mathilde. L’enfant s’avança docilement, sur un signe du vieux Barthélemi ; mais, lorsqu’elle se trouva auprès de la portière, son front se couvrit d’une vive rougeur, des larmes brillèrent dans ses yeux, et elle resta muette d’émotion...

La princesse, en voyant cette aimable enfant, fut touchée au plus haut point. Elle voulut tenter de lui faire surmonter son trouble, et dit d’une voix sympathique :

– Chère petite, vous aussi avez quelque chose à me dire. Parlez, je vous prie ; car je suis désireuse de vous entendre. L’expression de votre figure me dit évidemment que vos paroles me feront grand plaisir.

Aussitôt que Mathilde eut reçu les encouragements de la noble femme, elle reprit son empire sur elle-même, et, bien qu’un léger tremblement se trahît encore, elle ne récita pas moins son poème avec un charme infini, et surtout avec cette heureuse inflexion de voix qui laissait pressentir tout ce qu’il y avait de tendresse et de sensibilité dans le cœur de cette enfant.

La souveraine, visiblement impressionnée, tendit la main à Mathilde, et lui dit, d’un ton affectueux :

– Excellente enfant, il est aisé de comprendre que tes paroles sont sincères, et que les sentiments que tu m’exprimes partent du fond de ton âme. Tu me parles de l’amour que les habitants de Sainingen m’ont voué : moi aussi je les aime, et jamais je ne négligerai les occasions de le leur prouver. Quant à toi, ma fille, je désire que tu viennes au château dans deux heures : on aura ordre de t’introduire près de moi.

Et après avoir de nouveau fait un signe de satisfaction à Mathilde, la princesse dit à ses hommes d’avancer jusqu’à la porte de l’église. Lorsqu’elle y fut arrivée, le vénérable pasteur la reçut, et lui exprima le bonheur qu’il éprouvait à la revoir encore au milieu de son troupeau bien-aimé, avant qu’il eût dû le quitter lui-même, pour retourner dans le sein de Dieu. La princesse et toute sa suite descendirent de voiture, et allèrent se prosterner pieusement dans le saint temple. Lorsqu’ils eurent accompli ce premier devoir, ils se dirigèrent vers le château et des acclamations de joie remplirent les airs.

Revenons à Mathilde. Qui pourrait dépeindre ce qu’elle avait ressenti en recevant l’invitation de la souveraine ? Son père et sa mère partagent l’émotion de leur enfant, et remercient le Seigneur d’avoir permis qu’elle s’acquittât si bien de son rôle. L’heure est venue de se rendre au château : cette fois, la petite ne tremble plus : elle est impatiente de se trouver encore en présence de la noble souveraine ; quelques doux mots résonneront à son oreille, et son âme les recueillera avec une indicible reconnaissance.

En effet, dès que Mathilde, accompagnée de sa mère, se fut fait annoncer, on la conduisit dans une salle immense, somptueusement décorée. La princesse était à déjeuner avec les autorités de Sainingen, et tous les officiers de sa maison. Aussitôt qu’elle aperçut l’enfant, elle lui fit signe d’avancer auprès d’elle, lui prit la main, et demanda :

– Est-ce là ta mère, chère petite ?

– Oui, madame, répondit Mathilde.

– Je vous félicite d’avoir une aussi charmante enfant, continua la souveraine, en s’adressant à la digne villageoise. Du reste, lorsqu’on vous voit, on pressent qu’elle a été parfaitement élevée. Je ne doute pas qu’un jour vous récoltiez le fruit de la bonne éducation qui lui a été donnée.

S’étant ensuite informée du nom de l’enfant, elle ajouta :

– Mathilde, tu m’as causé une bien vive satisfaction ce matin. Je veux te récompenser. Demande-moi ce que tu désires, et je te promets que tu l’obtiendras.

À cette invitation, la petite rougit et se troubla ; elle garda le silence.

– Ma chère enfant, dit encore la princesse, ne crains pas d’être exigeante. Je suis décidée à ne rien te refuser.

– Ô madame, hasarda Mathilde, et il y avait des larmes dans sa voix, je pourrais vous offenser ; jamais je n’oserai vous dire ce que je voudrais avoir. C’est trop, beaucoup trop...

– Mon enfant, je répète que tu obtiendras tout ce qu’il est en mon pouvoir de t’accorder.

– Eh bien ! madame... je vous prie, soyez généreuse... daignez m’accorder une chèvre...

– Une chèvre ! s’écria la princesse. Quel singulier désir tu exprimes, Mathilde ! Dis-moi franchement dans quel but tu me demandes cela ?

– Oh ! c’est toute une triste histoire, madame.

– Raconte-moi ton histoire, enfant.

– Il existe, madame, dans un village voisin, une malheureuse famille. Le père est malade depuis dix-huit mois ; il ne se nourrissait que du lait d’une chèvre que ces infortunés avaient tâché de conserver, malgré leur misère. Hier, ils ont perdu cette dernière ressource ; le malade est dénué de tout. Oh ! si vous consentez à ce que je leur amène au plus vite une autre chèvre, ils seront consolés, madame, et ils béniront votre bonté...

La princesse, toujours plus attendrie, dit à l’enfant :

– Tu auras une chèvre, Mathilde, mais nomme-moi cette famille si éprouvée, et qui t’inspire tant d’intérêt !

– Celui qui est réduit à une si profonde misère est un de vos gardes-forestiers, madame. Il s’appelle Meinrad. On l’a accusé d’avoir fait une action coupable : il a perdu son emploi ; ses enfants n’ont plus eu de pain, et la douleur l’a rendu malade. Ensuite Meinrad souffrait d’être inculpé, lui qui est innocent. Oh ! bien sûr, madame, Meinrad n’est pas coupable.

– Mathilde, interrompit gravement la princesse, ne dis pas de ces choses. Qui pourrait avoir accusé à tort un de mes gardes ?

L’enfant désigna sans hésiter l’inspecteur des forêts, et poursuivit :

– Monsieur n’a jamais souffert Meinrad ; après lui avoir fait bien souvent du chagrin, il a fini par le renvoyer.

L’inspecteur, comme s’il eût été foudroyé sous l’accusation de Mathilde, pâlit affreusement, et balbutia quelques mots sans suite.

La souveraine le regarda sévèrement, et, remarquant son trouble, elle lui dit :

– Demain, monsieur, vous aurez à me rendre compte de cette mystérieuse affaire : rassemblez vos preuves.

Elle s’adressa ensuite à Mathilde, et poursuivit, en lui mettant quelques pièces d’or dans la main :

– Voici pour l’acquisition de la chèvre, enfant. J’admire ton cœur plein de charité. Va consoler cette famille malheureuse ; mais, avant de partir, dis-moi ce que tu désires pour toi.

– Rien, oh ! rien, madame, répondit la petite avec véhémence. Je suis assez payée par le bonheur que je vais causer à Meinrad, et à sa fille, la bonne Isabelle.

La princesse n’insista pas davantage ; elle serra encore la main de l’enfant et la congédia.

À peine celle-ci eut-elle quitté le château, que, sans se donner le temps de dîner, elle supplia sa mère d’aller avec elle dans une petite métairie, où une très-belle chèvre était à vendre. L’excellent cœur de Mathilde, sa piété, sa gentillesse la rendaient chère aux habitants de Sainingen ; tous se pressaient donc sur son passage, pour la féliciter du grand honneur que la souveraine lui avait fait, en l’admettant dans ses salons ; mais l’enfant songeait peu à cette faveur pour elle ; sa seule préoccupation, en ce moment, était la joie que devait bientôt goûter la famille pour laquelle elle venait de plaider si courageusement.

Dès qu’elle fut en possession de la chèvre, elle la prit en laisse, et se dirigea en toute hâte vers Masstetten. L’enfant suivait le sentier favori, tant de fois parcouru déjà par elle. Jamais elle n’avait ressenti une félicité aussi grande et aussi expansive ; elle sautillait et chantait ; causait avec le bienfaisant animal, et lorsque celui-ci s’arrêtait pour brouter l’herbe qui bordait le chemin, elle le priait doucement de la suivre, et de ne pas retarder le bonheur d’Isabelle.

Mathilde arriva jusqu’auprès de la chaumière de Meinrad, sans être aperçue de la famille. Elle attacha la chèvre derrière la triste demeure, et entra avec un charmant sourire sur les lèvres. Le pauvre père était assis sur son lit de souffrance, et buvait lentement une gamelle de lait ; Isabelle, agenouillée devant lui, l’exhortait à la résignation. Deux jeunes enfants, Christophe et Berthe, jouaient paisiblement dans un coin de la pièce. La mère préparait un potage aux légumes. L’arrivée de Mathilde changea toutes les physionomies, qui, auparavant, paraissaient soucieuses. L’enfant était regardée comme un ange de consolation dans ce pauvre réduit, où elle seule apportait des secours et de fortifiantes paroles. Puis sa visite avait quelque chose d’inusité : c’était à l’heure du repas principal ; les réjouissances de Sainingen faisaient supposer qu’aucun des habitants ne quitterait le village, surtout les enfants, pour qui les fêtes ont toujours tant d’attraits.

– Mathilde, comment cela est-il possible que tu sois ici à cette heure ? demanda Isabelle avec hésitation.

– Parce que j’ai une bonne chose à te communiquer, Isabelle, répondit l’enfant. Je viens t’offrir un cadeau qui fera plaisir à toute la famille. Mais chacun de vous doit deviner ce que c’est.

– Ce qui peut nous faire le plus de plaisir maintenant, dit la mère avec un soupir, c’est une cruche de lait ; et tu nous en as donné une ce matin, excellente Mathilde : ainsi, que veux-tu que nous devinions ?

– Sans doute c’est un des jolis bouquets qui ont été cueillis pour la bienvenue de la princesse ? interrompit Berthe.

– Mathilde, je te prie, continua Isabelle, ne nous laisse pas dans l’incertitude. Je pressens que tu dois avoir eu un motif sérieux pour t’absenter de chez toi aujourd’hui.

– Tu as raison, amie, dit l’enfant. Eh bien ! je vous apporte à tous mieux qu’un vase de lait ; je vous amène une belle et docile chèvre...

– Une chèvre ! s’écria la famille d’une seule voix.

Mais la petite avait déjà quitté la chaumière. Elle revint au même instant avec son précieux cadeau. L’étonnement et l’émotion de Meinrad, de sa femme et de ses enfants, ne sauraient se dépeindre ; mais ces sentiments augmentèrent encore, lorsque l’enfant s’avança près du lit du malade, et lorsqu’elle déposa, d’un air de triomphe, dans la main de ce dernier, plusieurs pièces d’or qui lui étaient restées, après l’acquisition de la chèvre.

Le père leva les bras au ciel, et dit avec un inexprimable accent de reconnaissance :

– Ô mon Dieu, mon Sauveur, je vous bénis du fond de mon âme. Daignez récompenser cette généreuse enfant, qui nous apporte l’espoir et la vie ; récompensez-la selon ses mérites, Seigneur.

– Je n’ai aucun mérite, mon bon Meinrad, interrompit Mathilde. Ces bienfaits, si grands pour votre chère famille, vous savez assez que mes parents ne peuvent vous les donner : leur manque de fortune s’y oppose. Ils vous viennent d’une source plus élevée : c’est notre illustre souveraine à qui j’ai pu raconter votre infortune, qui vous envoie ces secours, et s’intéresse à votre triste position.

– Ô Mathilde, ajouta Isabelle, si tu n’avais vaincu ta timidité naturelle pour entretenir la princesse de nos malheurs, elle n’en aurait pas été instruite, elle ne nous aurait pas sauvés d’un pressant besoin. Chère enfant ! lorsque des hommes en crédit nuisent à une pauvre famille, lui ravissent son pain, toi, faible et craintive, tu travailles à la réhabiliter, tu l’empêches de succomber de misères... Ô Mathilde ! le Ciel te bénira !

Depuis plus de dix-huit mois, pas un rayon d’espoir n’avait éclairé l’âme de Meinrad. Cet homme loyal et injustement accusé avait souffert bien davantage de la détresse des siens que de ses propres souffrances. Les douleurs morales avaient miné une santé robuste. Accoutumé pendant tant d’années à un travail laborieux, il entrevoyait la mort, et la désirait même, maintenant qu’il était devenu une charge au lieu d’un appui pour sa famille. Cette journée de joie pour tous, il l’avait redoutée d’avance ; car lui seul ne pouvait partager le bonheur général des sujets de la souveraine. Lui aussi, pourtant, avait rendu les services attachés à ses fonctions ; elles étaient très-modestes à la vérité ; mais qu’importe ? L’homme le plus infime n’a-t-il pas droit à l’estime lorsqu’il accomplit son devoir dans l’état où Dieu l’a placé ? Oui, Meinrad avait redouté ce jour ; mais en ce moment, il remercie la Providence, il est presque heureux : qui sait si son innocence ne sera pas reconnue tôt ou tard ? Il ose à peine y croire ; cependant, il n’en rejette plus la possibilité ; le Ciel vient de lui accorder un signe si éclatant de sa protection : oh ! il espère, il veut espérer.

Et c’est une jeune et douce enfant, qui, par la seule influence de son âme affectueuse, de son ardente charité, vient d’opérer ce changement dans la position et dans les sentiments d’un homme, que la douleur aurait promptement conduit au tombeau. C’est elle qui, peut-être, dans sa naïveté, a démasqué une trame coupable, dont toute une famille était victime !... Qui pourrait ne pas reconnaître ici quelle est la puissance de la vertu ? Quel irrésistible empire elle exerce ! Qui ne se réjouit pas d’en trouver la pratique si facile, et de constater les trésors de contentement et de paix qu’elle dispense ?

Bien longtemps encore, Mathilde était demeurée auprès de la famille de Meinrad : elle se plaisait à être le témoin d’un bonheur qu’elle avait si vivement désiré, et qu’elle eût voulu consolider.

Enfin, elle s’était retirée, l’âme inondée de cette indicible satisfaction que l’on goûte, lorsqu’on a fait une bonne action.

Elle trouva ses parents fort préoccupés de l’incident du matin. L’accusation que l’enfant avait portée contre l’Inspecteur leur faisait craindre quelque reproche de la princesse, ou une persécution de la part d’un homme dont le caractère vindicatif était généralement redouté.

– Je suis très-heureuse du bien que tu as fait à Meinrad, chère Mathilde, dit la charitable femme ; mais il serait douloureux pour nous d’avoir à répondre de ta hardiesse, et d’en être punis.

– Ne craignez pas, bonne mère, répondit la petite avec conviction. Rien de fâcheux ne nous arrivera : j’ai vu trop de bienveillance dans le regard de notre souveraine, pour croire qu’elle permette jamais notre malheur. Du reste, vous me l’avez dit souvent, Dieu dispose tout pour le bien : je n’ai point cherché à accuser personne ; j’ai répondu simplement aux questions qui m’étaient faites : si donc j’ai révélé un secret à la princesse, c’est que la Providence le voulait ainsi, afin que l’innocent fût justifié. Je suis tranquille, soyez-le aussi, chers parents ; la journée a été trop belle pour que nous nous attristions.

La voix persuasive de leur enfant calma, en effet, l’agitation de l’écrivain et de sa femme. Le soir, ils allèrent, comme l’avant-veille, se mettre sous les vieux marronniers ; et lorsque le frais fut venu, ils se retirèrent paisiblement, et rendirent grâces au Seigneur pour toutes les bontés dont il les avait comblés.

 

 

 

 

 

IV

 

 

L’INNOCENCE RÉCOMPENSÉE.

 

 

Quinze jours après les évènements que nous venons de rapporter, Meinrad était assis devant sa chaumière. Le convalescent avait voulu profiter des pâles rayons d’un soleil d’automne pour réchauffer son corps affaibli par le chagrin et par la maladie. La santé lui revenait lentement, parce qu’il avait pris quelques forces, et que l’espoir continuait à le soutenir ; mais il était toujours d’une grande maigreur, et le cœur se serrait devant l’image d’une douleur qui avait laissé des traces aussi profondes. Tout à coup, un brillant équipage s’avança vers Masttetten ; la stupeur de Meinrad fut grande lorsqu’il vit le carrosse s’arrêter auprès de sa demeure ! Une femme, majestueuse par le maintien, par la richesse de son costume et par la distinction de ses traits, en descendit avec Mathilde, qui paraissait rayonnante de bonheur. Le pauvre Meinrad, en reconnaissant sa souveraine, faillit tomber de saisissement ; mais celle-ci s’empressa de lui dire avec douceur :

– Remettez-vous, mon cher Meinrad : je viens vous annoncer une bonne et heureuse nouvelle. On vous a fait une indigne injustice ; je veux que la réparation soit éclatante : voilà pourquoi je suis venue moi-même vous apprendre que votre innocence est reconnue. Souvent, avant le malheur qui vous a frappé, j’avais entendu parler de votre probité ; je savais que vous n’auriez pas enlevé un seul rameau qui ne vous appartînt pas. L’accusation portée contre vous m’a donc paru extraordinaire. Grâce à cette charmante enfant, que j’ai voulu amener aujourd’hui, afin qu’elle jouît de son œuvre, grâce à elle, dis-je, j’ai été informée du coup sous lequel vous gémissiez. Ce n’est qu’après de longues, de minutieuses recherches, que j’ai pu découvrir tous les incidents de cette ténébreuse affaire.

« Meinrad, ajouta-t-elle d’un ton ferme, je sais que votre fidélité à mon service a seule amassé sur vous la haine de vos ennemis. Vous avez souffert, mais je vous forcerai à oublier vos douleurs. L’inspecteur des forêts et le sous-intendant des bois sont les hommes qui ont cherché à vous perdre. Afin que Mathilde n’ait pas à se reprocher le malheur de ceux dont elle a dévoilé l’astuce, je les ai éloignés d’ici, mais sans leur infliger le châtiment qu’ils méritent. Je vous confie, dès aujourd’hui, la sous-intendance des bois. En plus des appointements affectés à cet emploi, vous recevrez, annuellement, deux cents florins ; je vous remets le montant des dix-huit mois que vous avez perdus depuis votre destitution, et trois cents florins en réparation de l’injustice qui vous a été faite. Dès demain, vous viendrez habiter votre nouvelle demeure, et le médecin de ma maison est chargé de vous donner tous les soins que votre état exige. Deux jeunes personnes recevront désormais de moi tout ce que l’on peut attendre d’une affectueuse mère : Mathilde et son unique amie, votre Isabelle, seront regardées comme mes enfants. »

Ce qui se passa en ce moment est au-dessus de ce qu’il est possible d’exprimer. La princesse elle-même ne put y tenir, et ses larmes se mêlèrent à celles de la pieuse famille, qui s’était précipitée à genoux, et qui étendait ses bras vers l’auguste bienfaitrice. Après avoir fait de la main un geste gracieux, elle se hâta de monter dans son carrosse, afin de laisser un libre cours aux élans de sensibilité et de reconnaissance qu’elle venait de provoquer.

Le lendemain, les domestiques du château vinrent chercher Meinrad, et procéder au déménagement, ce qui fut bientôt accompli. Les malheureux éprouvés s’étaient peu à peu défaits de ce qu’une longue économie avait pu réaliser. On leur permit de prendre seulement les objets auxquels ils tenaient, attendu que la maison qu’ils allaient habiter était convenablement meublée. Lorsqu’ils y arrivèrent, Mathilde les attendait sur le seuil. Isabelle se précipita à son cou en s’écriant :

– Ô Mathilde ! c’est toi qui nous as sauvés.

Peu de semaines suffirent pour rendre à Meinrad, sinon toutes ses forces, du moins une santé satisfaisante, qui ne fit plus que s’affermir par la suite. Le nouveau sous-intendant sut se rendre, en tous points, digne de l’estime et de la haute bienveillance de sa souveraine. Désormais, sa famille et celle de l’écrivain n’en firent plus qu’une.

Mathilde et Isabelle, qui sentirent tous les jours se resserrer les liens de leur vive amitié, devinrent deux jeunes filles accomplies ; leur excellent cœur étant dirigé par une éducation parfaite, et par des principes de religion et de vertu, dont leurs parents et la princesse donnaient l’exemple. Cette dernière remplit scrupuleusement sa promesse : elle combla ses protégés de bienfaits, leur témoigna toujours une affection illimitée, et se montra, jusqu’à la fin de ses jours, la douce providence des habitants de Sainingen.

 

 

Pauline BRAQUAVAL, Anémones : Récits moraux et amusants, 1874

(sous la signature de Pauline L’Olivier).

 

 

 

 

 

 

 

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