La messe du mort

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

J. COLLIN DE PLANCY

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Je reviens pour m’acquitter.

VONDEL.

 

 

On a cru et on croit encore que la miséricorde de Dieu permet quelquefois aux âmes qui ont des péchés à expier de venir les expier sur la terre. En voici un exemple ; et puisque nous sommes entré tout d’abord dans ce que le vulgaire appelle les revenants, nous pouvons faire passer ici une légende qui a été publiée avec la signature P. J. F., dans un recueil périodique, en 1851 1. Elle est assez curieuse.

Le Polet, principal faubourg de Dieppe, est encore habité presque exclusivement par des pêcheurs qui, surtout dans le passé, ont toujours été de solides et fidèles chrétiens. Le culte catholique se célébrait autrefois avec beaucoup de solennité dans leur église, consacrée sous l’invocation de Notre-Dame des Grèves ; et les mères des honnêtes pêcheurs qui donnent au Polet une physionomie si pittoresque n’ont oublié que la date précise de l’aventure que nous allons reproduire.

Le sacristain de Notre-Dame des Grèves habitait une maisonnette qui était toute voisine de l’église. C’était un homme exact et pieux ; il avait les clefs du saint édifice et le soin des cloches. Plusieurs prêtres respectés étaient attachés à la gracieuse église ; les messes les plus matinales n’étaient jamais sonnées que par l’honnête sacristain. Or, un matin, dans l’une des semaines recueillies qui amènent les belles fêtes de Noël, il entendit, avant le jour, le tintement d’une de ses cloches annoncer une messe. Il se leva aussitôt et courut à sa fenêtre. Les toits couverts de neige lui faisaient voir si distinctement les objets, qu’il crut que le jour commençait à paraître. Il se hâta de s’habiller et d’aller à l’église. La solitude et le silence absolu qui règnent alors autour de lui lui font comprendre qu’il se trompe et que le jour ne se lève pas encore. Il veut toutefois entrer dans l’église ; mais la porte en est fermée.

Comment donc a-t-il pu entendre tinter la cloche ? Si des voleurs sont entrés là, ils se seraient gardés certainement de toucher à la sonnerie. Il écoute : pas le moindre bruit dans le saint édifice. S’en retournera-t-il ? Mais, puisque la cloche s’est fait entendre, il doit entrer.

Il ouvre une petite porte qui donne dans la sacristie ; il la traverse et s’avance vers le chœur.

Aux lueurs de la petite lampe qui brûle devant le tabernacle et d’un cierge déjà allumé, il aperçoit, au pied de l’autel, un prêtre revêtu de la chasuble, et dans l’attitude d’un célébrant qui va commencer la messe. Tout est préparé pour le saint sacrifice. Il s’arrête troublé. Le prêtre, qui lui est inconnu, est d’une pâleur extrême ; ses mains sont aussi blanches que son aube ; ses yeux projettent une lueur semblable à celle du ver luisant, et cette lueur sort du fond des orbites.

– Servez-moi la messe, dit-il doucement au sacristain.

Celui-ci obéit, dominé par un effroi qui le retient là. Si la pâleur de ce prêtre et le feu singulier de ses yeux l’épouvantent, sa voix, au contraire, est douce et mélancolique.

La messe se célèbre. À l’élévation de la sainte hostie, « tous les membres du prêtre tremblent et rendent un bruit semblable à celui que font des roseaux secs secoués par le vent. Au Domine non sum dignus, sa poitrine, qu’il frappe trois fois, résonne comme le cercueil lorsque le fossoyeur y jette les premières pelletées de terre. Le précieux sang produit dans tout son corps l’effet de l’eau qui, dans le silence de la nuit, tombe d’un toit goutte à goutte.

Lorsqu’il se retourne pour dire l’Ite missa est, ce prêtre n’est plus qu’un squelette ; et ce squelette dit ces paroles à son servant ;

– Frère, je vous remercie. Vivant, j’étais prêtre ; je devais cette messe en mourant. Vous m’avez aidé à acquitter ma dette ; mon âme est soulagée d’un pesant fardeau.

« Le spectre disparut alors. Le sacristain vit les ornements sacerdotaux tomber doucement au pied de l’autel, et le cierge qui brûlait s’éteindre soudain. À ce moment, un coq du voisinage chanta. Le sacristain releva les ornements, et passa le reste de la nuit à prier. »

 

 

J. COLLIN DE PLANCY,

Légendes de l’autre monde, 1862.

 

 

 

 

 



1 Magasin catholique illustré, édité par la Société de Saint-Victor. Livraison de novembre 1851, p. 515.

 

 

 

 

 

 

 

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