L’enfant et le pauvre

 

 

« Mère ! faut-il donner quand le pauvre est bien laid ?

Qu’il ne fait pas sa barbe et qu’elle est toute noire,

          Et qu’il ne dit pas s’il vous plaît ?

                    Faut-il donner ?

          – Mon fils, tu n’as pas de mémoire :

Le pauvre qui demande est l’envoyé de Dieu ;

Qu’importe s’il a fait sa barbe et sa parure ?

Il est beau du malheur écrit sur sa figure ;

C’est là son passeport trop lisible en tout lieu !

                    – Mais, s’il est malhonnête ?

                    – Il ne l’est pas s’il pleure,

          Si son regard te dit : J’ai faim !

Veux-tu qu’il se prosterne en te tendant la main ?

C’est l’envoyé de Dieu qui nous guette à toute heure.

Que ses lambeaux sacrés ne te fassent pas peur ;

Il vient sonder ton âme avec son infortune ;

Le mépris pour le pauvre est la seule laideur

          Qui m’épouvante ou m’importune.

          Dieu sur toi lui donne un pouvoir,

          Bien au-dessus de la parole !

          Le jour où l’enfant le console,

          Par une colombe qui vole,

          Dieu le sait bien avant le soir !

          Lui qui dit aux heureux du monde :

          » Donnez pour qu’il vous soit remis !

          Et plus votre voie est profonde,

          Pour que partout on vous réponde

          Prenez les pauvres pour amis ! »

Juge quand un enfant verse sa fraîche aumône,

À ce chercheur d’eau vive et qu’il lui dit : bonjour !

Comme au Christ altéré sous son âpre couronne,

Du ciel, dont il a soif, tu lui rends le séjour.

Oh ! que ne puis-je dire à toute pauvre femme :

                              Prenez !

Comme l’instinct me crie à toute heure dans l’âme :

                              Donnez !

Oh ! que j’allégerais de ces errantes mères,

                              Le sort !

Si Dieu changeait mes pleurs et mes pitiés amères

                              En or !

Aux petits enfants nus, chauffés de leur haleine,

                              Si peu ?

Je ferais, comme Dieu fait aux agneaux la laine,

                              Du feu !

Mais je regarde en haut pour que l’aumône pleuve,

                              Souvent ;

Pour que toute humble barque entre au port sous l’épreuve

                              Du vent !

Pour que l’abandonné, lavant avec ses larmes

                              Son sort,

Les plonge dans la foi, qui rend belle et sans armes,

                              La mort !

Je regarde la croix qui saigne et qui pardonne,

                              Toujours !

La croix qui crie encor : Pour mon sang donne ! donne

                              Tes jours !

– Le Christ est beau ! je l’aime et je joue au Calvaire,

Où j’ai fait un jardin tout bleu de primevères ;

Mais les pauvres font peur. Mère ! si j’étais roi,

Mes pauvres aux enfants ne feraient point d’effroi :

Ils n’auraient jamais faim de cette faim qui pleure,

Et ma colombe à Dieu l’irait dire à toute heure :

L’hiver, ils n’auraient point un âtre sans charbon ;

De longs jours sans manteaux, de longs soirs sans lumière ;

Je leur ferais des lieux dans de tièdes chaumières,

          Et des habits qui sentent bon !

– Cher petit perroquet ! comme tu parles vide !

Leur roi, c’est Dieu : la terre est leur froide maison.

Dieu regarde d’en haut si le plus fort avide,

Ne prend pas au plus faible un grain de sa moisson :

Un jour il pèse, il juge ! Autour de sa balance,

Les semeurs dépouillés se rangent en silence ;

Le pauvre a recouvré le grain qu’il a perdu,

          Et le plus fort est confondu.

N’ai-je pas lu cela dans tes leçons apprises ?

– Oui. Mais ne gronde pas ; j’ai donné tout mon pain,

          Et la moitié de mes cerises

– Viens donc, que je te baise ! Alors, sur le chemin,

N’as-tu pas vu passer des ailes de colombe ?

Toi si peu ! tu soutiens un homme qui succombe !

                              – J’ai dit, bonjour !

          – Tu fais ce que nous avons lu :

Dieu dit : Puisez l’aumône à votre superflu.

          – Du superflu, ma mère, en ai-je ?

                              – C’est possible :

Au bord de l’indigence on se sent riche, hélas !

Le superflu, tu vois, c’est, pour l’être sensible,

          Tout ce que les pauvres n’ont pas !

 

 

 

Marceline DESBORDES-VALMORE,

Le livre des mères et des enfants, 1840.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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