La noce d’Elmance

 

 

POÈME ROMANTIQUE

 

 

 

« BEAU chevalier au pays Maure

« Voyage et combat pour la foi ;

« Peut-être, aux champs où naît l’aurore,

« Il expire en songeant à moi !

« Et moi, jouvencelle plaintive,

« Tout le jour j’attends en ce lieu,

« Où de sa voile fugitive

« Me parvint le dernier adieu. »

 

Ainsi chantait la jeune Elmance,

Sur la vieille tour des remparts.

(Là, naguère, en quittant la France,

Osval lui dit : j’aime et je pars !

Là, les doigts errants sur sa harpe,

La vierge, en croyant refuser,

Laissa tomber sa blanche écharpe

Et pensa mourir d’un baiser.)

 

Elmance allait chanter encore,

Mais sa mère accourt à grands pas ;

Sa mère qui sans doute ignore

Que l’amour ne se guérit pas :

« Éteins, lui dit-elle, une flamme

« Dont le ciel se montre ennemi ;

« Osval t’a retiré son âme,

« Ou dans la tombe est endormi. »

 

« Écoute : George d’Éristole

« Demande ton cœur et ta main ;

« Il a ma foi, j’ai sa parole,

« Tu seras sa femme demain. » –

« Ciel ! s’écrie Elmance effrayée,

« Quelle image osez-vous m’offrir !

« Osval ne m’a point oubliée,

« Et s’il est mort je veux mourir. »

 

George, baron farouche et sombre,

Au pied de la tour vient s’asseoir ;

Debout devant lui comme une ombre,

Elmance apparaît vers le soir ;

Il s’émeut, une joie étrange

Brille sur son front menaçant ;

Mais elle, de la voix d’un ange,

Lui dit ces mots en rougissant :

 

« J’aime Osval ; la fée Armentine

« M’a promise au beau chevalier ;

« À son départ en Palestine,

« J’ai pleuré sur son bouclier ;

« Osval !... il a baisé ma bouche,

« Et ma main a cherché sa main !

« Lui seul doit visiter la couche

« Que la pudeur cède à l’hymen.

 

« Mais si mes plaintes étouffées

« Ne me rendent point mon Osval,

« Tu connais le pouvoir des fées ;

« Malheur, malheur à son rival !

« Au moment où sa vaine flamme

« Croira triompher de ma foi,

« Il n’aura qu’un spectre pour femme !

« À présent, George, épouse-moi. »

 

Elle dit, et dans les ténèbres

Elle précipite ses pas,

En murmurant des mots funèbres,

Que George écoute et n’entend pas.

Mais est-il un frein légitime

Pour cet impie au cœur de fer !

Il rit des pleurs de sa victime

Et des menaces de l’enfer.

 

Déjà la vieille basilique

S’orne de feuillage et de fleurs,

Et la cloche mélancolique

Appelle l’hyménée en pleurs ;

Vingt pages en habits de noce

Cherchent Elmance à pas pressés

Ila la trouvent près d’une fosse,

Chantant l’hymne des trépassés.

 

On l’entraîne !... Triste et parée ;

La victime est devant l’autel ;

Mais loin d’une chaîne abhorrée

Son âme s’enfuit dans le ciel ;

Vers son épouse infortunée

George se tourne en souriant ;....

Déjà le voile d’hyménée

Ne couvrait qu’un spectre effrayant.

 

La cérémonie est troublée,

Le prêtre se tait, l’époux fuit ;

Voilà qu’à travers l’assemblée

Le fantôme ardent le poursuit ;

Il le poursuit pendant une heure,

Parmi les grands bois d’alentour,

Et le ramène à sa demeure,

Et monte avec lui dans la tour.

 

Depuis, quand l’horloge prochaine

Lentement a sonné minuit,

Un spectre, que l’enfer déchaîne,

Du cercueil s’échappe à grand bruit.

Au lit du veuf il prend sa place,

Froid, à ses côtés il s’étend,

Et par un sourire de glace,

Réclame un hymen révoltant.

 

En vain l’infortuné s’agite,

Et pousse de longs hurlements,

Le spectre s’acharne et l’invite

Par d’horribles embrassements ;

Et, pour un moment, s’il succombe

Au poids d’un sommeil plein d’effroi,

Une voix qui sort de la tombe

Soudain lui crie : « Épouse-moi. »

 

 

 

Émile DESCHAMPS.

 

 

 

 

 

 

 

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