Sennachérib

 

IMITATION DE LA XXIIe MÉLODIE

HÉBRAÏQUE DE LORD BYRON.

 

 

Le farouche roi d’Assyrie,

Sennachérib, fondit sur nous

Comme dans une bergerie

L’œil en feu s’élancent les loups.

Ses dards, ses bannières flottantes,

De pourpre et d’or étincelantes,

Brillaient à l’horizon d’azur,

Ainsi que la voûte étoilée

Dans l’onde qui vers Galilée

Roule son flot tranquille et pur.

 

L’horrible, l’innombrable armée,

Pour combattre attend le soleil ;

Un moment sa fureur calmée

Se repose dans le sommeil.

Ils vinrent avec la nuit sombre ;

Et quand le jour, dissipant l’ombre,

Se leva sur leurs bataillons,

Il vit cette race ennemie

Du dernier sommeil endormie

Dans la poudre de nos sillons.

 

Celle nuit même ils osaient croire

Aux prestiges d’un songe vain

Qui leur promettait la victoire

Dans les combats du lendemain.

Tout-à-coup, au sein des ténèbres,

Agitant ses ailes funèbres

Et portant d’invisibles coups,

Un ange confondit leur haine :

II les toucha de son baleine,

Et soudain ils moururent tous.

 

Le coursier bouillant et superbe

Qui sollicitait les combats,

Immobile, est couché sur l’herbe,

Couvert des ombres du trépas.

De ses fiers naseaux qui naguère

Aspiraient les bruits de la guerre

Sont éteints le souffle et l’orgueil,

Une froide écume y repose,

Pareille à celle que dépose

Le flot mourant sur un écueil.

 

Quel dévouement il fit paraître !

Vingt fois, prodigue de son sang,

Au coup qui menaçait son maître

Il présenta son noble flanc.

Au premier signal de bataille

Sur ses pieds nerveux il tressaille ;

Il hennit, part comme l’éclair,

Perce la phalange ébranlée,

Et s’enivre dans la mêlée

Aux cris de mort, au bruit du fer.

 

Voilà son maître sans baleine ;

Il gît à ses pieds renversé ;

Déjà le reptile se traîne

Sur son front livide et glacé.

Quel silence ! Dans l’étendue

Nulle plainte n’est entendue,

Nul soupir ne s’est échappé ;

Depuis l’heure ou la nuit commence

Rien n’a troublé ce long silence,

Car la mort sans bruit a frappé.

 

Cependant les feux de l’aurore

Éclairent ces casques, ces fers,

Que déjà la rouille dévore

Et que la rosée a couverts.

Le rauque instrument des fanfares,

Muet, aux lèvres des barbares

Demande le souffle ravi,

Et les bannières immobiles,

Muettes, dans les airs tranquilles

Appellent le vent endormi.

 

Sur la terre, soudain troublée,

Une comète, astre de deuil,

Vient menaçante, échevelée,

Comme un spectre sur un cercueil ;

Mais Dieu, retirant sa colère,

Content d’épouvanter la terre

Qu’il a différé de punir,

La replonge dans ses abîmes

Jusqu’au temps où pour d’autres crimes

Il lui dira de revenir.

 

Ainsi le grand Dieu des armées,

Un moment, Asshur, te fit roi,

Pour que nos tribus alarmées

Tressaillissent d’un saint effroi.

Mais les prêtres de tes idoles

T’ont bercé de vaines paroles :

Leurs oracles sont démentis.

Aux soldats que guidait ta rage

Ils promettaient notre héritage :

Tes soldats, Asshur, où sont-ils ?

 

Leurs femmes errant dans tes villes

Et poussant de vaines clameurs,

Vengent sur tes dieux inutiles

Et leur veuvage et leurs malheurs.

De Baal l’impure statue

Tombe, par leurs mains abattue ;

Le feu dévore son autel,

Et ta puissance sacrilège

S’évanouit comme la neige

Sous l’œil brûlant de l’Éternel.

 

 

 

Auguste DESPORTES.

 

Paru dans la Revue poétique du XIXe siècle en 1835.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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