Jeanne d’Arc

 

qui revient sauver la France

et le XXe siècle

 

d’après une antique prophétie

 

 

(Préface de Maxime Réal del Sarte)

 

 

par

 

M. DUFRÉNOIS

 

 

 

PARIS

 

ÉDITIONS EUGÈNE FIGUIÈRE

 

 

1935

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Madame DUFRÉNOIS a bien voulu me demander de préfacer l’œuvre qu’elle a consacrée à Jeanne d’Arc. C’est de grand cœur que je rends cet hommage à la Sainte de la patrie à laquelle j’ai voué ma vie et qui est notre plus pure gloire nationale. « Seule la France possède une fleur pareille » m’avait dit un jour M. Clémenceau. Seule Jeanne d’Arc est capable de rallier encore tous les cœurs Français et de les unir au moment du péril.

 

Maxime REAL DEL SARTE.

 

 

 

 

 

 

 

 

P R É F A C E

 

_____

 

 

En 1901, première année de ce Siècle où Jeanne d’Arc revit en France après cinq cents ans (peut-être indiqués par les cinq croix gravées sur son épée miraculeuse) et est vénérée sur tous les autels de l’Univers, j’eus en mains le beau livre de M. Petit de Julleville : La Vénérable Jeanne d’Arc, où l’auteur étudie l’Âme de notre Sainte Nationale. Jeanne d’Arc repassa alors devant moi avec tant d’intensité, vivant et agissant au milieu de ses gens, que j’écrivis cette nouvelle « Jeanne d’Arc », après tant d’autres ! Elle reposa là pendant 33 ans.

En février dernier, après ces terribles journées où coula ce beau sang français dont la vue faisait frémir Jeanne d’Arc, je pensai que les Français, mes frères, désemparés, et plus malheureux qu’au temps de la Pucelle, se tourneraient avidement vers Elle, à Son approche, et suivraient encore leur Libératrice, qu’une antique prophétie promet au XXe siècle.... Elle connaît le But et nous y mènera ; ouvrant la brèche (de ce « Gesta Dei » séculaire) par laquelle passera, cette fois, l’Humanité toute entière à la suite de la Fille aînée de l’Église, le Pays des Francs de Clovis ; et puisse ce livre la révéler à ceux qui ne la connaissent pas, ou qu’imparfaitement !

 

Neuilly, mars 1934.      

M. DUFRÉNOIS          

 

 

 

 

 

DOMREMY

______

 

 

 

Sur la place de Domremy des paysans sont groupés. Ils devisent tout bas, d’un air consterné. Un courrier traverse rapidement la place en criant :

 

Malheur sur nous, Français ! car notre douce France

Est folle de douleur et de désespérance !...

Nogent-le-Roy, Jargeau, Beaugency, Pithiviers,

Sont rasés, saccagés... Les Anglais meurtriers

Se baignent dans le sang innocent de nos veines !

Ils sont sur Orléans... Oh ! Français, que de peines !

Fuyez tous sans retard. L’Anglais sur nos talons

Veut nous bouter hors France. Hélas ! nous succombons...

Il faut gagner ce soir les Marches de Lorraine ;

Femmes de Domremy. Rassemblez dans la plaine

Le bétail amoindri qui pâtit de la faim.

Fuyez ! car l’ennemi peut être ici demain !

 

     (Tous les villageois se dispersent, se lamentant,

     les bras au ciel, et criant :)

 

Malheur sur nous, Français ! Notre très douce France

Est folle de douleur et de désespérance !...

 

                                       JEANNE D’ARC,

            arrive en courant vers son oncle Durand Laxart

             qui quitte la place le dernier, et les deux mains

                      sur son bras le retient en pleurant :

 

Oncle Durand, arrête un instant ! Entends-moi !...

     (Durand cherche à se dégager.)

Ne me repousse plus, je t’en prie !... Aide-moi !...

     (Plaintivement :)

Ne veux-tu pas, bon oncle, écouter ta Jeannette !

Qui t’implore et qui souffre ?... Oncle Durand, arrête !

 

                                       DURAND,

           cachant son émotion sous un ton bourru.

 

Laisse-moi ! Non, te dis-je ! Allons lâche-moi donc !

     (D’un ton radouci, en voyant les sanglots de Jeanne :)

Comment veux-tu, voyons ! toi, faible comme un jonc,

Repousser les Anglais quand le Roi désespère ?...

Va, Jeannette ma fille ; accompagne ta mère.

 

     (Jeanne d’Arc sanglote plus fort sur son épaule.

     Il lui caresse doucement les cheveux.)

 

Calme-toi, ma Jeannette... Écoute un peu... Voyons,

Et sois bien raisonnable... Eh ! sont-ce des frissons

Qui font trembler si fort ta pauvre jeune épaule ?

Toi, si crâne jadis, tu branles comme un saule.

 

                                       JEANNE D’ARC,

                                      avec désespoir.

 

Ah !... c’est qu’en moi je sens que la France a frémi !

Ô France ! Ô ma Patrie !... Hélas ! j’entends ton cri,

Ton long cri douloureux qui déchire mon âme !...

Oncle Durand, allons !... même à travers la flamme !...

 

                                       DURAND, triste.

 

Jeannette, as-tu perdu déjà le souvenir,

De ton sanglant affront ? Aurais-tu le désir,

Pauvrette, d’être encor honnie et bafouée

Par messire Robert et sa vile livrée ?

Il te nomma, toi, folle ! et moi, triple niais !

Souviens-t’en, ma Jeannette ! Et comme j’arrivais

Chez ton père, au retour, je reçus les reproches

De toute la famille. Oui, Jeannette, tes proches,

Tes amis, souviens-t’en, ont pleuré sur ton sort

Croyant que ton esprit était errant, ou mort !

Robert de Baudricourt, ma blanche pastourelle,

Bergerette ignorante, innocente Pucelle,

Aurait sur toi laissé passer son souffle impur

Si ton oeil n’avait lui d’un si tranquille azur.

Et ton père, ma fille, a dit de sa voix dure :

« Si Jeannette s’en va vers les soldats, je jure

« De la noyer moi-même, et de ma propre main :... »

 

                                       JEANNE,

                                 d’un ton ferme,

                 montrant la campagne lointaine.

 

Et cependant, mon oncle, vraiment, dès demain

Il faudra que je sois loin de ces belles terres,

Quand même j’aurais eu cent pères et cent mères !

Car c’est Dieu qui le veut... Depuis bientôt cinq ans,

Plusieurs fois la semaine, en des appels pressants,

De sainte Catherine, à mon cœur qui palpite,

De saint Michel aussi, de sainte Marguerite,

Les Voix disent toujours : « Va, fille de Dieu, va !

 » Jeanne, il faut obéir, ou Dieu se fâchera.

 » Bergère, Il t’a choisie, enfant d’humble campagne

 » Que protègent d’En-Haut saint Louis, Charlemagne,

 » Pour bouter l’ennemi hors de notre pays.

 » Va ! fille de Dieu, va ! fais refleurir les lys. »

 

                                       DURAND,

                    avec une tendresse indulgente.

 

Pauvrette, tu rêvas...

 

                                       JEANNE, sérieuse.

 

                              Non, car j’eus peur très grande

Quand j’entendis les Voix et reçus leur demande.

J’ai pleuré, j’ai prié, supplié !... mais en vain !

J’ai dit que j’étais femme, et que jamais ma main

Fluette de Pucelle, hélas ! n’avait pris d’armes !

J’ai dit... (Se tordant les mains :) Oh ! j’ai tant dit !... j’ai versé tant de larmes.

Les Voix criaient encor : Fille de Dieu, va ! va !

(Sanglotant :) Si tu ne veux me croire, oncle, qui me croira ?..

Hé ! malheureuse !... ah !... ah !...

 

     (Elle se cache la tête dans son tablier en pleurant plus fort.)

 

                                       DURAND,

                              vaincu se redresse

                   et lui pose la main sur l’épaule.

 

                                           Viens, Jeannette ma fille.

Oui, je te mène au Duc. Laisse-là ta famille.

Tu l’as dit, Dieu t’appelle : et tu dois obéir,

Douce pauvrette, hélas !

 

                               JEANNE,

                     essuyant ses larmes,

              se jette au cou de son oncle.

 

                                    Merci ! (Câline :) C’est pour partir

Ce soir même, veux-tu ?

 

                               DURAND.

 

                                      Je dirai que ta tante

A besoin de ton aide, étant dans son attente

D’un poupon. L’on voudra. Puis nous nous en irons,

Jeannette, à Vaucouleurs. Es-tu contente ?

 

                               JEANNE,

        souriant, met sa main dans la sienne.

 

                                                                Allons !

 

     (Comme ils s’apprêtent à partir, Mengette, petite amie de Jeanne, traverse la place en courant, un paquet sous le bras. Apercevant Jeanne elle lui crie essoufflée :)

 

Toi, Jeannette où vas-tu ?... Nous fuyons vers la Meuse !

 

                               JEANNE.

 

Je suis l’oncle Durand.

 

                               MENGETTE, étonnée.

 

Mais... tu sembles joyeuse !...

 

                               JEANNE, grave et sereine.

 

Mengette, le Dieu bon partout, va, nous bénit !

Qu’Il veille bien sur toi que tout mon cœur chérit,

Ma petite Mengette. Adieu, ma douce mie !

 

     (Elle lui fait un dernier signe et disparaît.)

 

                               MENGETTE,

             arrêtée, pensive, s’essuie les yeux.

 

Pourquoi de sangloter ai-je si lourde envie ?...

C’est vrai... Jeannette est brave... et moi j’ai grande peur !

... Je l’aime, ma Jeannette. Au milieu de mon cœur

Est son amour profond. Elle est si bonne et douce,

Elle sourit toujours. (Avec une moue enfantine :) Seulement, dans la mousse,

Elle veut qu’on respecte un insecte chétif !

Impossible de prendre un papillon tout vif

Pour le piquer, joli, sur une belle feuille.

Jeannette est douce même aux fleurs que sa main cueille,

Très légèrement, vrai ! pour les si bien tresser

En couronnes, qu’elle aime à la Vierge donner ;

Jeannette donne aussi de la plus blanche laine

Au sonneur, pour qu’il tire, aux fêtes, sur la chaîne

De son gai carillon. Et puis la charité,

Comme elle la connaît ! J’ai su qu’elle a couché

Plus d’une nuit, seulette, et tout au fond de l’âtre,

Pour céder su couchette à quelque pauvre pâtre.

(Sursautant) Ah ! ma Jeannette, vois : pour me parler de toi

Je reste, oubliant là que je me meurs d’effroi !...

 

     (Elle s’enfuit.)

 

 

 

 

 

VAUCOULEURS

_____

 

 

     Au village de Vaucouleurs la maison d’Henri et de Catherine Leroyer. Intérieur simple et propre. Henri et Catherine, accoudés sur la table, écoutent et regardent. Jeanne d’Arc qui cause avec un homme d’armes, Jean de Nouillonpont, plus tard nommé Jean de Metz. Jeanne est vêtue d’une pauvre robe rouge.

 

                               JEAN DE NOUILLONPONT.

 

Jeanne, faudra-t-il donc que le gentil Dauphin

Soit chassé du Royaume ? Et l’Anglais, pour butin,

Gardera-t-il son trône ? Et serons-nous sa proie ?

 

                               JEANNE D’ARC, avec énergie.

 

Ah ! certes non, messire ! (Tristement :) Et faut-il que je croie

En mon mandat divin pour ne pas retourner

Sous mon tranquille toit me remettre à filer

Près de ma pauvre mère, hélas ! qui pleure et gronde

Après cette Jeannette errante dans le monde !

(Avec découragement :) Robert de Baudricourt, le très puissant seigneur,

Fait fi de moi !... (Énergique :) Pourtant dussé-je rendre cœur !

Dussé-je user mes pieds jusqu’à mes genoux mêmes !

– Car le Roi n’aura vrai secours que de moi-même !

J’irai, j’irai, Messire, en France ! Je le dois !

Mon Seigneur me l’ordonne, et je suivrai sa voix !

 

                               JEAN DE NOUILLONPONT.

 

Qui donc est ton seigneur ?

 

                               JEANNE, solennelle, montrant le Ciel.

 

                                           C’est Dieu... Je vous l’assure.

 

                               JEAN DE NOUILLONPONT,

                       se levant, prend la main de Jeanne.

 

Je veux te mettre en France, oui, Jeanne ! Je le jure !

Dis, quand veux-tu partir ?

 

                               JEANNE.

 

                                          Mieux vaut ce jour qu’après ;

Mieux vaut demain qu’un autre.

 

                               JEAN DE NOUILLONPONT.

 

                                                Et bien moi, je suis prêt.

 

     (Brusquement entre Robert de Baudricourt, accompagné d’un prêtre en étole et d’un enfant portant un vase d’eau bénite.)

 

                               LE CURÉ FOURNIER,

                  secouant son goupillon sur Jeanne.

 

Si tu n’es que mensonge, éloigne-toi, recule !

Mais si, des bons croyants, tu te sens bien l’émule,

Approche !

 

                               CATHERINE, indignée.

 

                      Que fait-il ? C’est vraiment l’offenser,

La Pucelle envoyée au Roi pour nous sauver !

 

                               JEANNE, se jetant aux pieds du Curé.

 

Ah ! Messire, comment ?... Ne m’avez-vous ouïe

Ces jours, en confession ?

     (À Baudricourt, d’un ton de reproche triste :)

                                           Faut-il que je vous die

Toujours, Seigneur, hélas ! qu’il faut que j’aille, enfin,

De par l’ordre divin retrouver le Dauphin ?

Et ne savez-vous pas que jadis un prophète

A marqué ce temps-ci comme époque de fête

Où la Pucelle enfant venant du Bois-Chesnu,

Recouvrera le bien qu’une femme a perdu ?

 

                               BAUDRICOURT, songeur.

 

Si je pouvais savoir...

 

                               JEANNE, à Catherine, en pleurant.

 

                                  Ah ! dame Catherine,

Priez pour que vers moi son cœur enfin s’incline !

(Joignant les mains :) Dame Catherine ! vous comprenez bien, vous,

Ma douleur !... (Avec force :) Vous savez que j’irais à genoux !

Car, ainsi que le temps dure à femme qui porte

Un enfant dans son sein, tout retard me transporte ;

 

                               BAUDRICOURT, brusque.

 

Mais la preuve absolue, enfin, donne-la-moi,

Que tu viens par le Ciel ! et je te mène au Roi !

 

                               JEANNE, solennelle, d’une voix lente.

 

Eh bien ! je parlerai : Sache donc qu’à cette heure

L’Anglais saigne la France, avant qu’elle se meure,

Une nouvelle fois ! Sache donc qu’Orléans

S’est affaibli par la défaite des Harengs.

Retiens ceci, Messire.

 

                               BAUDRICOURT.

 

                                   Et je vais voir, Pucelle,

Auprès de mes courriers si l’annonce est réelle.

 

     (Il sort avec le prêtre et l’enfant.)

 

                               JEANNE D’ARC, émue.

 

Soyez contents, amis fidèles du malheur,

Je crois que le Seigneur veut amollir le cœur

Du rude Capitaine.

 

                               HENRI LEROYER, d’une voix navrée.

 

                                 Et c’est vraiment trop triste

De penser au gentil Dauphin que nul n’assiste !

Il est si beau, dit-on ; si doux et gracieux

Charles, notre Dauphin. L’on a dit que ses yeux

Lui gagnent votre amour en moins d’une minute !

Cela blesse le cœur que toujours il se bute

À ces coquins d’Anglais, rudes, sales godons,

Que l’on chasserait bien à grands coups de torchons !

 

                               CATHERINE, avec animation.

 

Si les seigneurs s’en vont, eh ! qu’est-ce que nous sommes,

Alors ? Ne croit-on pas qu’on trouverait des hommes,

Des gars, des femmes même, et même des enfants

Qui, brandissant en l’air tous les outils tranchants,

Iraient en moissonner sûrement par centaines,

Des Anglais, qu’on verrait crouler en longues traînes,

(Avec passion :) Gentil Dauphin de France, en France on te chérit !

Tout ton peuple est à toi !

 

                               JEAN DE NOUILLONPONT, applaudissant.

 

                                         Bravo ! Ça, c’est bien dit !

 

     (Baudricourt rentre, violemment ému, court à Jeanne d’Arc dont il prend la main.)

 

          Pars donc ! Oui, pars, gente Pucelle,

                    Bondis sur ton coursier !

          Tout là-bas la France chancelle,

                    Cours, va la relever !

          Si le Dauphin se désespère

                    Au château de Chinon,

          C’est que, céleste messagère,

                    Il ignore ton nom !

 

     (Avec un enthousiasme croissant :)

 

                        Va donc, gente Pucelle,

                        Fais voler ton coursier !

                        Galope, ferme en selle

                        Comme un leste guerrier !

                        Fuis, rapide et légère,

                        Plus vive que le son !

                        Soulève la poussière !

                        Fais trembler le buisson !

    Oui, Jeanne, fille étrange autant que pure et belle

Croise ton justaucorps, boutonne ton pourpoint ;

Ceins la tunique grise, et serre la ficelle

Des longues chausses. Mets un solide et gros point

Pour fixer crânement les guêtres hautes ; car

Ton désir est suivi jusqu’au détail le moindre !

     (Il va vers une fenêtre et regarde dehors.)

Je vois venir là-bas, mené par Dieulewar,

– Le page du Seigneur (Montrant Nouillonpont :) que toujours l’on voit poindre,

Ainsi qu’un paladin de Sainte à tes côtés, –

Ton coursier qu’ont payé les gens de ce village.

Tu verras les guerriers qui, par moi, sont chargés

De t’escorter jusqu’à Chinon, en troupe sage.

Les voici !

 

     (On entend des cris de joie, des piétinements de chevaux, et une foule pressée se masse avec la petite escorte autour de la maison. Des têtes curieuses se mettent aux fenêtres pour regarder l’intérieur de la salle. Quelques jeunes filles entrent, portant dans une grande corbeille enguirlandée de fleurs et de rubans, les diverses pièces du costume guerrier de Jeanne d’Arc. Jeanne, émue, ne peut parler, remercie du geste, et rentre dans une chambre pour se vêtir. On entend les voix au dehors.)

 

                               UN CHEVALIER, maintenant sa monture.

 

Allons, paix ! Calme-toi, mon agneau !

 

                               UNE FEMME.

 

Vive notre Pucelle !

 

                               UNE AUTRE.

 

                                Et vive douce France !

 

                               UN HOMME.

 

Elle va vers le Roi, dans son obscur château,

Allumer un grand feu d’amour et d’espérance !

 

                               UN PETIT ENFANT, glissant la tête.

 

Maman ! veux voir aussi !... (Désolé :) Mais je ne la vois pas !...

 

                               UN GUERRIER.

 

Regarde dans nos cœurs, petit, car elle y trotte

Déjà, comme la gloire !

 

                               UNE FEMME.

 

Elle va de ce pas

Dégager la Patrie étouffant sous la botte

De son lourd ennemi. (Apercevant Jeanne :) La voici ! la voici !

 

                               TOUS, dans une clameur d’enthousiasme.

 

Vive notre Pucelle apportant l’espérance !...

 

     (Jeanne d’Arc paraît, armée de toutes pièces. A sa vue, tous battent des mains joyeusement. Elle salue en souriant, et crie d’une voix frémissante de bonheur :)

 

Français ! Vive Jésus qui prend France à merci !

 

     (Puis elle s’avance vers la sortie, s’adressant à ses frères d’armes l’attendant sur le seuil.)

 

Allons, mes compagnons, au secours de la France !

 

                               TOUS LES GUERRIERS, d’une voix ferme.

 

Oui, Jeanne, nous voici. Partout où l’on verra

Ton ombre s’avancer, nous surgirons près d’elle !

 

                               BAUDRICOURT, très ému, va vers Jeanne et lui prend la main.

 

Va, fille de Dieu, va ! Advienne que pourra !

 

                               Le PEUPLE et les GUERRIERS, avec enthousiasme.

 

Pour la Patrie, espoir ! car Jeanne est avec elle !

 

 

 

 

 

 

 

CHINON

_____

 

 

 

     Dans la grande salle du château de Chinon, Bertrand de Boulangy et le Duc d’Alençon se promènent en devisant avec animation.

 

 

                               BERTRAND DE BOULANGY.

 

Heureux de te revoir, je m’en vais, d’Alençon,

Déverser mon angoisse en ton cœur simple et bon.

Tu l’as souvent ouï, le nom de la Pucelle,

De cette fille étrange et, dit-on, sainte et belle,

Qui se dit envoyée au secours de son Roi,

Y crois-tu ? Je ne sais ce que j’en pense, moi,

Ne la connaissant point ; et je viens à cette heure

Au château de Chinon, où le Dauphin demeure

Afin d’apercevoir cette héroïne... Mais

Chut !... Arrêtons nos pas. L’on vient... et je me tais.

 

     (Ils se cachent dans une embrasure.)

 

                               D’ALENÇON,

                     regardant vers l’entrée.

 

C’est le Roi ; c’est la Cour.

     (Les Seigneurs pénètrent dans la salle. Une vingtaine d’entre eux portent le même costume et sont tous très jeunes.)

                                           Mais où donc est le Sire ?

 

                               DE BOULANGY,

              promenant son regard dans la salle.

 

Le vois-tu ? Vainement mon regard qu’il attire

D’ordinaire, le cherche et fouille autour de moi...

Charles sept est absent. Où donc est notre Roi ?

 

                               D’ALENÇON,

             désignant un groupe de seigneurs.

 

Tiens, le vois-tu, là-bas ? Confondu dans ce groupe ?

C’est bien notre Dauphin mêlé dans cette troupe

De seigneurs, tous égaux par l’âge et par l’habit.

Pourquoi cet uniforme ? Est-ce un nouvel édit ?

 

                               DE BOULANGY,

              lui posant vivement la main sur le bras.

 

Taisons-nous, d’Alençon... car un bruit de ferraille

Annonce le retour des gens de la bataille

Qui forment son escorte, à cette Jeanne d’Arc.

 

     (On entend des cliquetis d’armes, des pas lourds, et Jeanne d’Arc apparaît, tout près de l’entrée.)

 

                               DE BOULANGY, très bas.

 

Taisons-nous, la voici !... (Avec ivresse et un enthousiasme subit :)

                                            Ah ! Quand là-haut ton arc

Radieux, sombre ciel, t’inonde d’espérance,

Il ne brille pas plus que Jeanne au ciel de France !

Je la vois d’Alençon, Jeanne d’Arc ! et je crois

Comme toi, comme tous, à son mandat ! J’y crois !...

 

     (Jeanne, s’avançant sur le seuil, promène un regard indécis sur les divers groupes, et pénètre lentement, hésitante et troublée.)

 

                               DE BOULANGY,

             murmure, rêveur, en la contemplant.

 

            Son front est pur... et sa voix douce ;

                      Vois son craintif émoi

            Écoute ce soupir que pousse

                      Son cœur tout plein d’effroi...

            Non, ce n’est pas l’aventurière

                      Que je tremblais de voir ;

            C’est la jeune et forte guerrière

                      Connaissant son devoir.

            Mais c’est aussi l’enfant candide,

                      Simple fille des champs,

            Qui frissonne et marche timide,

                      Vers les Nobles, les Grands.

            Et comment reconnaîtra-t-elle

                      Le Roi parmi ses gens ?

            Ah ! Pauvre petite Pucelle,

                      Tes ennemis sont grands !

 

     (Jeanne d’Arc avance toujours, rougissante, examinant d’un air craintif tous ces seigneurs qui la dévisagent en silence. Tout à coup, d’un pas ferme, l’œil clair et joyeux, elle va droit au Dauphin, se jette à ses genoux qu’elle embrasse à deux mains, et, d’une voix tremblante d’émotion :)

 

Que Dieu, gentil Dauphin, vous donne bonne vie !

 

                               CHARLES VII, froidement, la repousse.

 

Eh ! que t’arrive-t-il ? Que me veux-tu, ma mie ?

Je ne suis pas le Roi !

 

                               JEANNE, grave et émue.

 

                                    Sire, que dites-vous ?...

Vous ne pouvez tromper la vierge à vos genoux

Qui vous baise et salue au nom du Dieu de France !

Sire ! écoutez ma voix vous parlant d’espérance !

Car c’est Dieu qui m’envoie. Oh ! Sire, croyez-moi !...

(Pleurant) Je ne suis qu’une enfant et vous êtes le Roi !...

Comment donc aurais-je eu le douloureux courage

De paraître à vos yeux sans un divin message ?

Pour la France, pour vous, je me traîne à vos pieds,

Car c’est grand désespoir de les voir opprimés

Par l’Anglais vos sujets, gentil Dauphin de France !

Sire ! écoutez ma voix, vous parlant d’espérance !

 

                               CHARLES VII, ébranlé.

 

Mais qui me garantit – si je suis bien le Roi –

Que ta parole, Jeanne, est très digne de foi ?

Donne-m’en donc la preuve : à ton Roi je la donne.

 

                               JEANNE, pleurant plus fort, et suppliante.

 

Gentil Sire, suis-moi ! Tu l’auras ta couronne !

Suis-moi vers l’ennemi campé près d’Orléans !

Mais je ne puis donner cette preuve !... (Avec désespoir :) Comprends

La terreur qui me glace et qui me paralyse

Quand je veux te livrer ce secret qui me brise !...

 

                               CHARLES VII, froidement.

 

Eh bien, soit ! Je verrai. Va, je réfléchirai.

 

     (Jeanne d’Arc s’éloigne en pleurant.)

 

                               CHARLES VII, aux seigneurs.

 

Que vous semble, féaux ? Parlez. J’écouterai.

 

                               LA TRÉMOILLE, d’un ton dédaigneux.

 

Sire, c’est une folle ! À cette hallucinée

Vous n’irez certes pas fier la destinée

De votre faible trône ?

 

                               DE BOULANGY, s’avançant vivement.

 

                                 Et pourtant, Monseigneur,

Femme folle n’eût pas montré tant de candeur.

Son aspect est si pur ! Sa démarche est modeste ;

On ne peut relever en elle un vilain geste.

 

                               D’ALENÇON, qui a suivi son compagnon.

 

Oui, Sire, il a raison. Elle a dans le regard

Un rayon tout divin, calme, et non point hagard.

Son langage, très simple, est dépourvu d’emphase ;

Elle parle, elle prie et pleure, sans l’extase

Où se jettent toujours les détraqués, les fous.

      (Avec une ardeur solennelle :)

C’est l’âme de la France, ô Roi !...

 

                               CHARLES VII, rêveur.

 

                                                        Le croyez-vous,

Vous autres ?

 

                               LA TRÉMOILLE, ironique.

 

                     Ils sont beaux, les rêves des poètes,

Sire ! Et souventes fois vous dorent les défaites !

 

                               CHARLES VII, indécis, d’un geste las les congédie.

 

Allez, laissez-moi seul... Je voudrais méditer.

 

                               DE BOULANGY, à part, en s’éloignant.

 

Et puisses-tu, mon Roi, croire sans hésiter !

 

     (Tous sortent.)

 

     (Charles VII, resté seul, s’affaisse sur un siège à haut dossier auquel il appuie la tête. Il a un pli chagrin au coin des lèvres et tient les yeux fermés. À l’entrée d’un serviteur, il tourne vers la porte ses yeux lassées et tristes.)

 

                               LE PAGE, s’inclinant.

 

Sire, c’est Jeanne d’Arc, cette jeune Pucelle

Qui...

 

                               CHARLES VII,

     douloureusement, l’interrompt d’une voix basse.

 

Fais-la pénétrer. (Laissant tomber ses bras avec découragement :)

                             Las !... Que me dira-t-elle ?...

 

                               JEANNE D’ARC,

             allant rapidement au Roi immobile.

 

Gentil Dauphin, pourquoi ne me croyez-vous pas ?

Je vous dis que pour vous Dieu même arme mon bras.

Il a le cœur dolent du Peuple qu’Il regarde...

Saint Louis, Charlemagne au Ciel font bonne garde

Pour la France, devant l’Eternel ; à genoux

Ils implorent merci pour la France et pour vous !

Ah ! Sire... (Elle hésite et se trouble.) Ah ! Gentil Roi... Si j’osais vous le dire,

Ce secret !...

 

                               CHARLES VII, avec douleur.

 

                     Parle donc !... car mon cœur se déchire !

 

                               JEANNE D’ARC

              se lève, tremblante et solennelle.

 

Gentil Dauphin, c’est dur à serve comme moi

D’oser parler ainsi de la mère d’un Roi...

 

     (Le Dauphin tressaille, et l’écoute haletant.)

 

Mais il le faut : songez, Sire, à ce jour d’alarmes

Où, seul en votre tour ; défaillant, tout en larmes,

Vous criâtes à Dieu dans votre désespoir :

« Ô mon Seigneur et Dieu ! me faites-vous donc voir

» Le mauvais fondement de ma noble espérance

» Et ne serais-je, hélas ! qu’usurpateur de France ?...

» Ma malheureuse mère, ô funeste Isabeau !

» Dans ta tombe as-tu clos le secret d’un berceau,

» Ne serais-je donc, moi, qu’un prince illégitime ?

» Plutôt l’ombre toujours !... qu’un trône au prix d’un crime ! »

 

     (Charles VII écoute comme dans un rêve.)

 

Gentil Dauphin, c’est bien ainsi que tu parlas

Dans la tour isolée ?... Et ne me crois-tu pas ?...

(Solennellement), Crois-moi : Charles septième est le vrai Roi de France,

Car du Fou bien-aimé tu tires ta naissance...

Charles, tu peux régner ! Sois le Roi très chrétien,

Le Seigneur par mon bras, va te rendre ton bien.

 

                               CHARLES VII

           se redresse, l’œil en feu, le visage radieux,

  et pose une main frémissante sur l’épaule de Jeanne.

 

             Je te suis, noble fille,

             Messagère de Dieu !

             Ton doux regard scintille

             Vraiment d’un divin feu !

             Ta voix qui vibre pure

             A réveillé ton Roi !

             Ton accent le rassure

             En lui rendant la Foi.

             Je te suis !... Ce mystère

             Où tremblait mon honneur,

             En flétrissant ma mère

             Me torturait le cœur...

             Ce que ta voix répète

             Sur ma lèvre flotta...

             Ma parole inquiète

             Jamais ne le livra...,

 

     (La Trémoille, entrant brusquement, interrompt le Roi, et toise Jeanne d’Arc d’un air de profond mépris. Tristement elle se dispose à lui céder la place, et murmure, en partant :)

 

Je vous laisse, gentil Dauphin. (Suppliante :) Croyez en moi !

 

                               LA TRÉMOILLE,

                 à part, examinant le Dauphin.

 

Qu’est ce rayonnement ? On m’a changé mon Roi.

 

                               CHARLES VII,

                   avec une joyeuse exaltation.

 

La Trémoille ! ah ! viens donc pour partager ma joie.

 

                               LA TRÉMOILLE,

                froidement, indiquant la sortie.

 

À cet esprit dément faudrait-il que je croie ?

 

                               CHARLES VII, toujours exalté.

 

La Trémoille ! ami cher.... le trône est reconquis !

Charles pourra, sous peu, t’embrasser à Paris !

 

                               LA TRÉMOILLE, glacial.

 

Non, Sire. Allez-y seul. La Trémoille demeure.

 

                               CHARLES VII, l’œil en feu.

 

Eh ! bien, reste ! Après tout, crois-tu donc que j’en meure ?

 

                               LA TRÉMOILLE,

                   s’inclinant avec affectation.

 

Non, certes ! (Ironique, en se relevant :) mais la Bourse ?...

 

                               CHARLES VII

     retombe sur son siège, avec découragement.

 

                                                            Ah ! ce n’est que trop vrai !...

 

     (Il se cache un instant la tête entre les mains, puis la relève fièrement.)

 

Eh bien ! j’irai là-bas sans un liard ! mais j’irai !

Crois-tu donc que parfois, enfin, je ne puis faire

Un peu modeste Cour, et même maigre chère ?

Pour sauver mon royaume, ah ! je peux bien jeûner !

 

                               LA TRÉMOILLE,

                       avec une lenteur extrême.

 

Oui, Sire, vous pourrez, je le crois, demeurer

Quelques jours, quelques mois, l’estomac en souffrance,

     (Laissant tomber les mots lourdement, comme un glas :)

Mais le cœur ?...

 

                               CHARLES VII

       l’interrompant vivement, se voile visage.

 

                          Ah ! tais-toi !...

 

                               LA TRÉMOILLE.

 

                                               Oui, même pour la France

Pourriez-vous-renoncer à votre seul bonheur ?...

     (D’une voix insinuante et douce :)

Pauvre enfant ! pauvre Roi ! ce n’est que sur le cœur,

Hélas ! que votre sceptre a pu vraiment s’abattre...

     (Avec une pitié affectueuse :)

Pauvre Roi des amours !...

 

                               CHARLES VII

             oppressé, la main sur la poitrine.

 

                                              Oh ! ne le fais pas battre.

La Trémoille, ce cœur ! (Sur un ton de plainte :) Frêle comme un roseau,

Je n’ai su que fléchir, hélas ! dès mon berceau,

Plier à tous les vents des tempêtes cruelles

Qui m’ont tant ballotté !... C’est trop vrai ? ce sont elles,

Les légères amours qui m’ont fait supporter

     (D’un geste fatigué à l’excès, montrant, tour à tour, sa main droite et son front :)

Et ce sceptre de plomb qui pèse à m’entraîner !

Et ce cercle de fer où mon front se déprime !...

     (D’un ton de désespoir :)

Pauvre enfant ! pauvre Roi !... tu l’as dit !... Cet abîme

Ne peut être franchi par ma faiblesse, hélas !

     (D’une voix triste et brisée :)

Il me faut reposer bercé par les doux bras

D’une femme aux chers yeux, qui chasse de son souffle

Loin de moi les soucis... Et quand ma voix s’essouffle

En quelque songe affreux (Avec une terreur enfantine :) où je sens des géants

Me broyer sous leurs pieds énormes et sanglants,

Il me faut le baiser apaisant sur ma lèvre !...

Il m’en faut la fraîcheur pour dissiper ma fièvre !

(Avec lassitude :) La Trémoille... je reste...

 

                               LA TRÉMOILLE.

 

                                                              Et vous avez raison.

 

                               CHARLES VII,

                   avec un sombre désespoir.

 

Je suis lâche !...

 

                               LA TRÉMOILLE, insinuant.

 

                          Mais non, gentil Dauphin, mais non !

C’est bien le moins, allez, que le sang de la France

Coule, pour épargner à son Roi la souffrance.

Restez, Sire, sans crainte, allons, restez !

 

                               CHARLES VII,

                                    indécis.

 

                                                               Tu crois ?...

(Résolument :) Eh bien, je reste !

(D’un ton navrant :) Hélas ! jamais !... pas une fois

Dans ma vie isolée on ne m’a dit : « Arrête !

» Apprends donc à lutter. Prince, lève la tête

Et marche droit au sort ! » Je voudrais... je ne puis !...

     (Il se lève, tendant la main vers son favori, avec un sourire de triste ironie.)

Toi, maître de mon cœur par ton or, je te suis...

 

     (Au moment où le Dauphin va sortir, arrivent De Boulangy, d’Alençon et le vieil écuyer Jean d’Aulon tous joyeux.)

 

                               BERTRAND DE BOULANGY, vivement.

 

Gentil Dauphin faut-il croire la douce fille

Disant que cette fois l’espoir en France brille ?

Faut-il armer nos bras ? Ceindre le baudrier ?

 

                               LA TRÉMOILLE.

 

Le Roi veut consulter ; surtout faire prier

Avant de croire.

 

                               DE BOULANGY, le toisant, avec hauteur.

 

                            Mais je m’adresse, il me semble,

Au Dauphin ? pas à toi ?

 

                               CHARLES VII

              avec lassitude, les apaise du geste.

 

                                          Laissez ! laissez !

 

                               DE BOULANGY, à d’Alençon.

 

                                                                         Je tremble,

D’Alençon, que le Roi ne soit encore changé !

     (Jetant à La Trémoille un regard furieux et méprisant.)

Peste soit des flatteurs au langage doré !

 

                               CHARLES VII,

                      à l’écuyer Jean d’Aulon.

 

Allez quérir, d’Aulon, la Pucelle et sa garde.

 

     (D’Aulon sort. Silence. Peu après, Jeanne d’Arc arrive avec ses deux frères Jean et Pierre ; Jean de Nouillonpont ; son page Louis de Contes, âgé de 15 ans ; et Jean Pasquerel, moine Augustin, son confesseur.)

 

                               CHARLES,

                 avec douceur et tristesse.

 

Approche, pastourelle... enfant qui me regarde

Avec des yeux si purs et confiants, hélas !

Vois ton Roi de nouveau troublé, craintif et las !...

 

     (Plus doucement, comme à un enfant qu’on instruit de choses pénibles :)

 

Jeanne, il faut vers Poitiers te frayer un passage

Afin d’y consulter le Conseil le plus sage

De France.

 

                               JEANNE D’ARC, triste et résignée.

 

                     J’obéis, gentil Dauphin. Je pars...

Je reviendrai sous peu.

     (À ses compagnons, avec un soupir :)

                                       Groupez vos gens épars.

 

 

 

 

 

 

 

 

ORLÉANS

_____

 

 

 

     Une des portes de la ville d’Orléans, près de laquelle Dunois et sa petite troupe attendent l’arrivée de la Pucelle. Un chevalier raconte à Dunois les derniers événements ; les gens d’armes sont rangés non loin d’eux.

 

 

                               LE CHEVALIER.

 

Les docteurs ont trouvé simplesse, humilité,

Unies à dévotion, douceur, virginité,

En la gente Pucelle. Et quiconque l’a vue,

Entendue un instant, a pleuré, l’âme émue.

Elle disait, modeste : « Aurais-je eu la grandeur

» Et la puissance, vrai ? sans le Christ, mon Seigneur ?

» Mon fait, à moi Pucelle, est un saint ministère :

» Je dois bouter l’Anglais hors de la douce terre. »

» L’Anglais vient par Satan, car – je n’en sais pas plus –

» Guerroyer contre France est attaquer Jésus ! »

Le Dauphin, convaincu cette fois, l’arme en guerre,

Et Jeanne part, alors, tout heureuse et légère :

Entraînant après elle une élite sans peur :

L’Amiral de Culant ; Boussac, au brave cœur ;

Boulangy ; d’Alençon ; Jean de Metz ; et la Hire ;

Ses deux frères ; d’Aulon ; son Page au jeune rire ;

Des gardes vigilants, de courageux soldats

Recrutés avec soin pour de rudes combats ;

Messire Pasquerel, son Confesseur ; Xaintrailles.

     (S’inclinant vers Dunois :)

Le bâtard d’Orléans, ce lion des batailles

L’attend là, près de moi. (Avec ardeur :) Ah ! quand sur son coursier

La Pucelle paraît, portant comme un guerrier

Son harnais fièrement, oui, féru d’enthousiasme,

On sent qu’on est Français, Messire, corps et âme !

Son gentil jouvenceau brandissant l’étendard

Semé de fleurs de lys, a des feux au regard

En y voyant flotter du Christ la grande image,

Et Jhesus, Maria, ces mots rois du langage !

Jeanne a fait déterrer, Messire, sous l’autel

De sainte Catherine une épée. Et le Ciel

A, bien sûr, inspiré son esprit, car personne

Ne savait d’arme là. C’est bien Dieu qui la donne,

Car la rouille, en tombant, y laissa voir cinq croix,

Preuve que la Pucelle est l’objet d’un grand choix.

Tout à l’heure vous-même entendrez sa voix pure,

Seigneur, et vous serez conquis, je vous l’assure.

 

     (Jeanne d’Arc débouche à la clarté des torches, entourée de sa petite troupe. Elle est montée sur un cheval blanc, et son page porte devant elle, son blanc étendard. Elle s’arrête devant Dunois :)

 

Vous êtes le Bâtard d’Orléans ?

 

                               DUNOIS, avec joie, contemplant Jeanne.

 

                                                        Tu l’as dit,

Gente Pucelle, dont l’aspect me réjouit !

Je t’attendais ici, désirant te connaître ;

En te voyant, je sens en moi l’espoir renaître !

 

                               JEANNE, avec un fin sourire.

 

C’est vous qui fîtes voir, alors que j’arrivais,

Que j’aurais dû passer outre, loin des Anglais,

Au lieu de pointer droit sur eux ?

 

                               DUNOIS, avec embarras.

 

                                                           Je crus bien faire...

Ce fut aussi l’avis de sages gens de guerre.

 

                               JEANNE D’ARC, gravement.

 

Vous eûtes tort, Messire. Et si vous avez foi

En la Pucelle, ici guerrière du Christ Roi,

Vous devez aussi croire au conseil qu’elle donne.

Quand s’ouvre la bataille et que le canon tonne

Dieu me dit, par mes voix : « Fille de Dieu, va ! va ! »

» Fonce sur l’ennemi ! Le reste passera

» Par la brèche après toi ! »

 

                               DUNOIS, docile.

 

                                                    J’obéirai, Pucelle.

 

     (On entend les cris de joie des habitants d’Orléans, accourant au-devant de Jeanne d’Arc, porteurs de torches brillantes qu’ils agitent.)

 

Orléans ! Orléans ! vive joie ! oui, c’est Elle,

Jeanne d’Arc ! Confiance ! Elle jette en ce noir

Une clarté faisant jour brillant de ce soir

Où surgit la Pucelle en la ville assiégée !

Orléans ! Orléans ! te voilà délivrée !...

 

     (Tous marchent près de Jeanne d’Arc, la regardant avec amour et quiétude. On la presse si fort qu’une torche met le feu au pennon. Elle l’éteint vivement, avec beaucoup de sang-froid.)

 

                               TOUS, applaudissant.

 

Vivat ! gente Pucelle ! Étouffe ainsi l’Anglais

De tes puissantes mains !

 

                               JEANNE D’ARC, gravement.

 

                                                N’oubliez pas, Français,

Qu’Anglais, bien qu’ennemi, reste toujours un frère

Pour lequel le Sauveur vint aussi sur la terre.

Boutons-le hors d’ici ; faisons-le vivement,

Mais n’ayons pas pour lui de haineux sentiment.

 

     (On arrive devant la porte du trésorier du Duc d’Orléans, Jacques Boucher. Jeanne d’Arc met pied à terre lestement, et salue de l’épée.)

 

Français ! vive le Christ qui sauvera la France !

 

                               TOUS, l’acclamant.

 

Vive le Christ ! par Jeanne enlevant la souffrance !

 

     (Elle entre, et la place se vide lentement.)

 

     Jeanne d’Arc est avec sa petite troupe dans la salle de la maison, devant une table abondamment servie, mais elle reste debout.

 

                               L’ÉCUYER D’AULON,

                    lui présentant une écuelle pleine.

 

Mangez, douce Pucelle, et reprenez ardeur.

 

                               JEANNE,

               le repoussant doucement,

              se verse du vin et de l’eau,

                    et y trempe du pain.

 

Cette trempette, Sire, est merveilleuse au cœur.

 

                               LE PAGE,

                        à Jean d’Aulon,

    pendant que Jeanne d’Arc mange debout.

 

Souventes fois, Messire, en toute une journée,

La Pucelle ne prend que croûte ainsi trempée.

 

     (Ayant terminé son frugal repas, Jeanne d’Arc s’adresse à la petite fille de son hôte.)

 

Viens-t’en vers moi, fillette, allons dormir un peu,

Dormez bien, mes seigneurs, à la garde de Dieu !

 

     (Elle entre dans sa chambre.)

 

                               JEAN D’AULON,

                        à Dunois et aux autres.

 

Prudente autant que simple, elle garde près d’elle

Une femme toujours, bourgeoise ou pastourelle.

(À voix basse :) Et cependant, jamais, le plus léger dessein

Même par le désir n’effleurerait sa main,

Tant l’on voit en son œil la candeur reflétée,

Tant d’auréole pure elle est toute entourée !

(Plus bas :) Mais sortez tous d’ici... Sortez surtout sans bruit...

Emportez le repas. Faisons tranquille nuit

À l’Ange de la France.

 

                               UN GUERRIER,

                    à d’Aulon qui ne bouge pas.

 

                                             Et toi ?

 

                               D’AULON.

 

                                                             Non, moi je reste.

 

     (Tous sortent emportant les plats. Le vieil écuyer et le jeune Page restent seuls. D’Aulon s’étend, et fait signe au Page.)

 

Sommeille, jouvenceau, mais sans un bruyant geste.

 

     (Ils s’endorment. Tout à coup le silence est troublé par un cliquetis d’armes et des cris lointains. On entend Jeanne d’Arc sauter de son lit en criant.)

 

Eh ! que sont ces clameurs ?...

 

     (Et la porte s’ouvre brusquement sous sa poussée rapide. Elle boucle son ceinturon et va vivement vers son Page, qu’elle apostrophe d’une voix tremblante.)

 

                                                       Ha ! sanglant garçon, ha !

Le sang de France coule, et tu me laissais là !

(À d’Aulon :) Messire, vers l’Anglais il faut que je m’en aille.

 

                               D’AULON.

 

Et ! quoi ! dans cette nuit vous iriez en bataille ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Mes voix m’ont éveillée et m’ont dit le chemin.

Suis donc ! brave Écuyer, marchons ! d’ordre divin !

 

     (Ils sortent. La salle est peu à peu envahie par des femmes réveillées en sursaut et terrifiées. La fille de l’hôte, tremblante, s’est jetée à genoux. Plusieurs femmes en larmes, l’imitant, se groupent autour d’une statue de la Sainte Vierge Marie. On entend les cliquetis d’armes et les cris au loin.)

 

                               UNE FEMME, criant, avec larmes.

 

Orléans ! Orléans !... pauvre ville si chère,

Toujours te voir saigner ainsi nous désespère !

 

                               UNE AUTRE, joignant les mains.

 

Prions la Vierge douce et le grand saint Michel !

Prions avec ferveur pour désarmer le Ciel !

 

                               UNE FEMME, seule.

 

Ô Vierge très bonne ! ô Reine de France !

 

     Toutes, les mains levées vers Marie :

 

Vers toi nous crions : Ave, Maria !

 

                               LA VOIX.

 

De tous nos logis chasse la souffrance !

 

     Toutes :

 

Vers toi nous crions : Ave, Maria !

 

                               LA VOIX.

 

Nous avons si peur !... tremblantes nous sommes...

 

     Toutes :

 

Vers toi nous crions : Ave, Maria !

 

                               LA VOIX.

 

Nos cœurs sont bien lourds... Protège nos hommes !...

 

     Toutes :

 

Vers toi nous crions : Ave, Maria !

 

     (Un grand bruit d’armes se fait entendre. Des galops rapides, des vivats joyeux se rapprochent. Jeanne d’Arc, rayonnante, fait irruption dans la salle, suivie de ses fidèles compagnons, et dit aux femmes :)

 

Cessez vos tristes cris ! et chantez les louanges

Du Christ Jésus, du Dieu qui bénit nos phalanges

Et nous donna victoire !

 

                               TOUTES LES FEMMES.

 

                                              Ô triomphe d’amour

Du Sauveur t’envoyant à sa ville en ce jour !

 

     (Elles se groupent, joyeuses, autour de la statue.)

 

                               UNE VOIX, seule.

 

Vierge ! nous chantons autour de ton trône

 

Toutes :

 

Avec allégresse : Ave, Maria !

 

                               LA VOIX.

 

Tu rends Orléans, sauvant la couronne !

 

     Toutes :

 

Reçois notre hommage : Ave, Maria !

 

     (Mais un grand sanglot retentit soudain, et Jeanne d’Arc, défaillante, se laisse tomber sur un siège, en pleurant.)

 

Hélas !... pourtant encor !... car le pur sang de France

Fut répandu là-bas !... Ce m’est dure souffrance

De voir le sang Français !... Et ils n’ont pas reçu

Le saint pardon de Dieu !... le temps ils n’ont pas eu !...

 

     (Elle se redresse et appelle son Page.)

 

Va, mon jouvenceau, cours ! Dis d’envoyer message

À l’Anglais. Par la flèche il faut lancer ce gage,

Car ils ont retenu les derniers messagers.

Qu’on les somme de fuir et d’être ménagers

Du sang de leurs soldats en s’en allant de France !

(Pleurant :) Tant de sang chrétien me met toute en souffrance.

 

     (Le Page sort. Silence. Jeanne pleure tout bas. Tous la contemplent avec émotion et tendresse. Soudain éclatent dans l’air des cris de rage et des outrages anglais.)

 

                               JEANNE,

     s’essuyant les yeux avec un grand soupir.

 

Allons, debout ! Partons. Il faut donner l’assaut !

 

                               L’HÔTE.

 

Gente Pucelle, avant d’aller tenter le saut,

Reprenez un peu force, et mangez quelque chose.

Voyez le beau présent qu’on m’a fait : cette alose

Si grasse !

 

                               JEANNE, souriant avec malice.

 

                    Au nom du Ciel, n’y touchez pas ! Ce soir

Nous vous ramènerons quelque « godon » tout noir

Qui mangera sa part. (Aux guerriers :) Courons sus aux Tourelles !

 

     (Tous sortent. Le jour s’est levé. On entend le bruit de la bataille. Les femmes prient tout bas, égrenant leur rosaire. La fille de l’Hôte range la salle. Au bout de quelques instants, Jeanne d’Arc rentre, chancelante, appuyée sur son Page, une flèche enfoncée dans la poitrine, au-dessus du sein droit. Quelques guerriers la suivent.)

 

                               JEANNE D’ARC, effarée et tremblante.

 

Que ne suis-je restée avec mes pastourelles !...

Pauvre, pauvre Jeannette !... Ah ! c’est grande douleur

D’être si loin, hélas ! d’un père au tendre cœur,

Et d’une bonne mère !... hélas ! infortunée !...

     (Mais elle se ressaisit vite, et, arrachant rapidement le fer de la plaie :)

Mais, France ! c’est pour Toi que Jeanne fut blessée !...

Vaillante, avec courage, elle retournera

Sur la brèche.

 

(Elle étanche le sang, pâle, mais résolue.)

 

                               UN SOLDAT, s’approchant.

 

                             Laissez ! et l’on vous charmera

Votre saignante plaie avec un puissant philtre...

 

                               JEANNE, avec indignation.

 

À Dieu ne plaise ! Non ! non ! que tout mon sang filtre

Jusqu’à la moindre goutte, en desséchant mon cœur,

Plutôt que d’offenser mon très divin Sauveur !

Ah ! je sais que je dois mourir ! bien que j’ignore

L’heure de mon trépas. Soignez-moi, car j’honore

Avant tout, du Seigneur, le tout puissant vouloir.

 

     (On lui applique de l’huile d’olive sur la plaie, et l’on y pose un solide pansement.)

 

                               UN CAPITAINE.

 

Maintenant, gente fille, il faut attendre au soir

Pour terminer l’assaut. Allez donc vous refaire.

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Ah ! certes non ! messire. Après une prière

Escaladons fossés, barricades, pontons !

 

     (Elle va vers la statue et prie, agenouillée, avec une ferveur angélique, puis se relevant, joyeuse, s’élance vers la sortie.)

 

Tout est vôtre ! en avant ! Entrez, fiers compagnons !

 

     (Tous sortent. Les femmes reprennent leur prière. L’Hôte prépare la table monologuant.)

 

Morbleu ! quel crâne cœur ! quelle force admirable !

(Aux femmes :) Priez, femmes, encor. Je range un peu la table,

Sans doute la Pucelle aura besoin, ce soir

(Clignant de l’œil :) De mon clair vin mousseux que je lui ferai voir !

 

     (Il range tout. Les femmes prient. Du dehors éclatent tout à coup des cris d’allégresse. On entre en foule. La salle est envahie brusquement par les gens d’armes, précédés de Jeanne d’Arc, rayonnante. Les habitants d’Orléans exultent.)

 

Noël ! Noël ! Ce soir, Orléans prend naissance

Au pays de la Gloire ; vrai pays de France !

Noël ! pour Jeanne d’Arc !...

 

                               JEANNE D’ARC,

             vivement, sur un ton de gronderie.

 

                                                    Eh ! criez donc plutôt

Noël pour le Seigneur !

 

                               UN SOLDAT, gaiement.

 

                                           Eh ! du Ciel aussitôt

Dieu lui-même crierait : Vivat ! pour ma Pucelle !

 

                               JEANNE D’ARC, souriant.

 

Et vivat ! pour la France, à la gloire immortelle !

 

     (Elle va vers la fenêtre, et soudain se retourne avec un grand sanglot, en montrant le lieu du combat.)

 

Mais regardez là-bas tous ces hommes noyés !...

Glasdale et quatre cents malheureux écroulés

(Frémissante :) Avec le pont brisé...

                                                            Peste ! C’est rançon belle

Échappant aux Français !

 

                               JEANNE D’ARC, indignée.

 

                                                Fi ! c’est l’âme immortelle

De ces pauvres Anglais qu’il faut plaindre vraiment !

 

     (Elle va vers la table et appelle du geste ses compagnons. Elle mange une nouvelle trempette, debout.)

 

Mais prenez vite place et mangez prestement.

Demain, au petit jour, nous quitterons la ville.

 

                               UNE VOIX, protestant.

 

Eh ! quoi, gente Pucelle ! Un jour, soyez tranquille ;

Pansez bien votre plaie, et souffrez que vos gens

Pleins de joie et d’amour pavoisent Orléans !

 

                               JEANNE D’ARC, avec calme et fermeté douce.

 

Vous fêterez sans moi. Je ne suis qu’humble fille,

Et l’instrument de Dieu : pour Lui, que gloire brille !

(À ses guerriers :) Je suis aiguillonnée, oh ! d’un appel divin,

Pour piquer droit à Reims, y mener le Dauphin

À son très digne sacre. (Avec mélancolie :)

                                         Ah ! je ne vivrai guère

Au-delà de l’an neuf...

 

                               UNE VOIX DU PEUPLE.

 

                                          Oh ! que ton cœur espère,

Gente Pucelle, car le Seigneur laissera

À France ton secours.

 

                               JEANNE D’ARC, secouant la tête.

 

                                          Un an m’accordera !

Je ne suis, je vous dis, qu’une simple espérance :

C’est le bras du Seigneur qui, seul, sauve la France !

     (Aux guerriers qui ont achevé leur repas :)

Allons donc reposer. (Solennelle et émue :) Orléans !... reste à Dieu !

 

                               TOUS, dans un seul cri d’enthousiasme.

 

Vivat ! pour la Pucelle de France et de Dieu !

 

 

 

 

REIMS

_____

 

 

 

     Au premier plan, la place de l’Église sur laquelle se masse la foule qui n’a pu entrer dans la Cathédrale, et cherche à en voir l’intérieur, aperçu par le grand portail ouvert. On voit l’autel resplendissant de fleurs et de lumières, au pied duquel se tiennent le Roi Charles VII, l’Archevêque, Jeanne d’Arc et les Seigneurs, tous en habits de fête. Jeanne d’Arc est près du Roi, portant fièrement son étendard, émue et rayonnante. L’Archevêque pose, d’un grand geste solennel, la couronne sur la tête de Charles VII. À ce moment, les trompilles d’argent sonnent, les cloches carillonnent, et la foule, dehors, trépigne d’allégresse.

 

Noël ! et longue vie à Charles, Roi de France !

Que le Seigneur, toujours, lui donne bonne chance !

Noël !... soyons heureux ! exultons de bonheur !

Noël ! à Jeanne d’Arc qui rend le Roi vainqueur !

 

     (Le cortège sort de la Cathédrale au son plus éclatant des trompilles et des cloches. Le Roi paraît au seuil... Le Peuple, à genoux, pleure de joie, lui envoie des baisers passionnés... Charles VII, violemment ému, salue en souriant à tous. Jeanne d’Arc descend vivement les marches, se jette aux pieds du Roi, lui embrasse à deux mains les genoux, et, la voix frémissante de bonheur.)

 

Gentil Roi !... mon Seigneur !... elle est exécutée

La volonté du Dieu de notre France aimée

Qui voulait que je fisse enlever Orléans

Aux Anglais, pour vous amener à Reims céans,

Où vous avez reçu votre couronne digne...

(Solennelle.) Car vous êtes le Roi : ce sacre en est le signe,

Mon seigneur !... gentil Roi !...

 

                               CHARLES VII, ému, lui tend la main.

 

                                                        Jeanne, reste toujours

Près du Roi pour lequel ton bras fut seul secours !

 

                               JEANNE D’ARC, se relevant, fait un pas vers le Roi.

 

Sire, accorderez-vous à Jeanne la Pucelle

Chose qu’elle demande ?...

 

                               CHARLES VII, l’interrompant, s’écrie avec ardeur.

 

                                                Oh ! n’importe laquelle.

 

                               JEANNE D’ARC, grave et solennelle.

 

Sire, alors, donne-moi cette couronne d’or

Mise à ton front, il n’y a pas une heure encor !

 

                               CHARLES VII,

                     étonné, ôte sa couronne

          et l’offre galamment à Jeanne d’Arc.

 

Prends-là ! Tiens, la voici... Pucelle, fille étrange,

Je ne crains rien de toi... (Avec émotion :) N’es-tu pas mon bon ange !

 

                               JEANNE D’ARC,

         avec un fin sourire, montre aux Seigneurs

                le Roi dépouillé de sa couronne.

 

Voyez, de France, ici, le plus pauvre Seigneur !

Il est tout dépouillé, nu-tête, et sans honneur

Aucun !... (Puis, s’avançant, solennelle, vers Charles VII, elle lui pose la couronne sur la tête.)

                     Mais, Charles sept, reprends cette couronne

Que tu viens d’octroyer. Ô Roi ! je te la donne

De la part de ton Dieu. Charles, sois Lieutenant

Du Christ, vrai Roi de France, et Suzerain clément.

Ton pouvoir vient du Ciel, gouverne avec sagesse,

Et Dieu, de ses trésors, va te faire largesse.

 

                               LE PEUPLE, acclamant.

 

Noël ! à Charles sept ! à notre gentil Roi !

Noël ! espoir et joie ! En lui nous avons foi !

 

     (Charles VII descend les marches, et le cortège s’ébranle. La Pucelle est à la droite du Roi ; l’Archevêque à sa gauche.)

 

                               JEANNE D’ARC, à l’Archevêque.

 

Voici peuple très bon ; et, vrai, je m’émerveille

De le voir réjoui d’allégresse pareille

Pour fêter son Roi ! (Avec mélancolie :) Quand mes jours seront finis,

Je voudrais reposer en terre en ce pays !

 

                               L’ARCHEVÊQUE.

 

Mais, Jeanne, en quel lieu donc dormirez-vous, ma mie ?

 

                               JEANNE D’ARC, avec tristesse, et douceur.

 

Où Dieu me conduira ! Je ne sais de ma vie

Pas plus que vous, Messire. Et plût à Dieu, vraiment,

Que je me retirasse chez nous maintenant

Pour aller retrouver ma mère tout en larmes

Plût à Dieu que je pusse, déposant les armes,

Aller servir mon père en gardant ses brebis !

(Avec résignation :) Mais je me dois encore au salut du pays.

 

     (Le cortège est arrivé lentement devant la demeure royale. Le Roi et sa suite y pénètrent, après avoir salué la foule, qui crie avec ardeur.)

 

Noël ! à Jeanne d’Arc !... Noël ! au Roi de France !

Noël ! vivat ! Noël !... espoir et confiance !...

 

     (La foule s’écoule. La place reste déserte. Au bout d’un instant, Jeanne d’Arc sort du Palais, et aperçoit son père, Jacques d’Arc, qui arrive. Elle s’élance dans ses bras, et sanglote sur son épaule.)

 

Ah ! Père... ô mon cher père !... ah ! parlez-moi de tous !...

De ma mère Isabelle... et des gens... et de vous !...

Gardez-vous, dites, père ? à votre pauvre fille

Rigueur de son départ ?...

 

                               JACQUES D’ARC, s’essuyant les yeux.

 

Non... car Jeannette brille

Comme un soleil de gloire en France ! et fait honneur

À toute sa maison... Mais dis-moi, mon cher cœur,

Tu vas vers Domremy suivre ton heureux père ?

Et venir consoler, là-bas, ta triste mère

Dolente de ne plus te voir ?

 

                               JEANNE D’ARC, pleurant.

 

                                                  Oh ! je voudrais

Vous écouter, mon père !... Et même je dirais

Qu’aujourd’hui j’offre à France un cruel sacrifice

En demeurant ici pour finir mon office !...

(Avec désolation :) Qui sait si j’irai vers mon village chéri ?

Dois-je jamais revoir les toits de Domremy ?...

(D’un ton ferme et résigné :) Je dois suivre en tous lieux la volonté divine,

Sous la main de mon Dieu toujours mon front s’incline.

(En sanglotant :) Adieu donc, mon cher père !... Embrassez grandement

Ma pauvre mère, hélas !... mon bon oncle Durand...

Mes frères et ma sœur ; ma petite Mengette

Qui pense à moi, j’espère ; et surtout, Hauviette

Ma gente pastourelle !... (D’une voix déchirante :)

                                           Ah ! France !... tout le sang

De mon cœur t’appartient !... et coule abondamment !...

 

     (Elle se suspend une dernière fois au cou de son père qui sanglote aussi, et, s’arrachant courageusement à son étreinte, rentre au Palais. Jacques d’Arc s’en va, chancelant de douleur.)

 

     Une troupe joyeuse de jeunes seigneurs traverse la place. Ils se donnent le bras, et marquent gaiement le pas.

 

...Un ! deuss ! troiss ! un ! deuss ! troiss ! en avant ! allons boire

Quelques coupes de vin clairet ! Fêtons la gloire

Renaissante au pays ! Un ! deuss ! troiss ! vive Dieu !

Bientôt, d’un pied léger, nous quitterons ce lieu

Un ! deuss ! troiss ! pour Paris, la ville grande et belle !

Un ! deuss ! troiss ! Sur les mers nous suivrons la Pucelle !

(Avec un redoublement d’ardeur :) Nous irons racheter le  sépulcre divin !

Nous reprendrons la croix aux mains du Sarrazin !

Un ! deuss ! troiss ! un ! deuss ! troiss ! (Avec ivresse :) de victoire en victoire

Notre France atteindra le faîte de la gloire !...

 

     (Ils disparaissent, et l’on entend sonner leurs pas joyeux et rythmés, et leurs propos heureux.)

 

 

 

 

 

ROUEN

_____

 

 

 

 

     La grande salle du Procès. Warwick et Pierre Cauchon sont debout, discutant avec animation.

 

                               WARWICK, rouge, la voix tremblante de rage contenue.

 

Je vous l’ai déjà dit, Évêque de Beauvais,

Il faut être prudent, mener bien ce procès.

(Avec une violence extrême :) Certes, j’aurais voulu que déjà nous arrive

Ce jour, ce jour vengeur !... où nous brûlerons vive

Cette fille d’enfer qui partout nous bouta

Honteusement hors camps ! Satan la patronna

Trop longuement, Messire. Et c’est grande souillure

Pour la Maison de France alliée à l’impure

Puissance du démon ! Accablez, écrasez (Avec fureur :)

Sous vos discours retors les esprits étonnés

De l’exécrable fille !... Et surtout, prenez garde !

Pour bien faire baisser cet œil clair qui vous larde

De ses fixes rayons, employez tous moyens :

Faites voir au grand jour ses sentiments païens ;

Faites-la, oh ! surtout faites-la se dédire !

Proclamez hardiment que l’enfer la soutire.

Déjà les Grands de France, enviant ses succès,

Se concertent dans l’ombre. Ils disent que jamais

Ils ne voudront tenir leur gloire d’une femme.

Ils complotent sa perte ; et du bûcher la flamme

Les réjouira tous. Allez, Pierre Cauchon,

Et montrez ce que peut vengeance de « godon »

À l’orgueilleuse folle !

 

                               CAUCHON.

 

                                             Ainsi ferai, Messire.

Je risque trop beau prix pour que je me retire !

Mais vous n’oublierez pas le sinistre danger

Où j’expose ma tête ? Et vous voudrez songer

À la chaîne sans fin de vos longues défaites :

Château-Thierry, Soissons, Laon, Provins, faisant fêtes

Et tout joyeux accueil au Roi qui les prenait ;

Coulommiers, Châlons, Senlis, et puis Beauvais

Se rendant après la plus molle résistance

Et le reconnaissant pour le vrai Roi de France.

Jeanne l’Arc enlevait les villes et les cœurs !

Et si, près de Paris, le vouloir des Seigneurs,

Jaloux et inquiets, ne l’avait arrêtée,

Messire, on l’aurait vue en vos aigles drapée !

 

                               WARWICK, furieux.

 

Tais-toi !... messire Évêque !... (S’arrachant les cheveux :)

                                                     ...Oh ! ce suppôt d’enfer

A marqué mon pays d’un rouge et pesant fer !

 

     (Frappant rageusement le sol de sa botte :)

 

Je saurai bien broyer cette orgueilleuse race

De France, en imprimant la flétrissante trace

Au front du Roi, qui cherche en Satan son secours !

Va, je n’oublierai pas qu’à ton bras j’eus recours,

Et je me souviendrai qu’au bâtard de Wandonne,

Ainsi qu’à Luxembourg, tu payas rançon bonne.

Pour la Pucelle (Avec un geste de triomphe :) enfin trahie en ce beau jour

Du siège de Compiègne ! (Ricanant :) Eh ! France ! à notre tour !

 

     (Il sort avec grand bruit.)

 

     Cauchon, resté seul un instant, se retourne vers les 42 assesseurs qui entrent, et prend en même temps qu’eux, silencieusement, place sur l’estrade. Jeanne d’Arc entre après eux, toujours en habit d’homme, pâle, maigrie, l’air triste, bien que ferme et calme. Elle a de lourdes chaînes aux chevilles, aux poignets, et même au cou, ce qui produit un son lugubre à chacun de ses pas.

 

                               CAUCHON, sévère.

 

Approche ici ! D’abord, qu’est ce vilain costume

Indigne d’une vierge ? Est-ce sainte coutume ?

Veux-tu robe de femme ?

 

                               JEANNE D’ARC, finement.

 

                                              Oui, Seigneur, s’il vous plaît,

Faites-m’en donner une, et bien elle m’irait

Si c’est pour m’en aller ! Sinon je me contente

De l’habit que le Christ, à la volonté gente,

M’a dit de revêtir pour lui complaire fort !

 

                               CAUCHON.

 

En le gardant, pourtant, tu te feras grand tort !

 

                               JEANNE, avec une sereine insouciance.

 

Qu’importe ! Je ne crains que péché, peine d’âme,

Plutôt qu’offenser Dieu j’entrerais dans la flamme.

 

                               CAUCHON.

 

Écoute maintenant. Réponds avec clarté !

Jure de dire ici toute la vérité.

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Je ne sais pas pourquoi je suis ainsi requise

De parler. Il se peut bien que je ne vous dise

Telle chose que vous désireriez savoir.

Oui, sur mes père et mère ; et ce que j’ai pu voir

Ou faire, depuis qu’en France je suis venue ;

Mais sur ce que Dieu dit à mon oreille émue

Je ne dirai jamais rien ! (Avec une résignation ferme :)

                                         ...dût-on me couper

Sanglantement la tête !

 

                               CAUCHON.

 

                                           Allons, viens réciter

Tout d’abord le Pater.

 

                               JEANNE D’ARC, flairant un piège.

 

                                            Certainement, messire,

Au confessionnal je veux bien le redire.

 

                               CAUCHON, avec irritation.

 

Tu refuses ? Prends garde !

 

JEANNE D’ARC, indiquant le Ciel d’un geste confiant.

 

                                                Ah ! mon Dieu me défend !

 

                               CAUCHON.

 

Jeanne, parle-nous donc de tes voix.

 

                               JEANNE D’ARC.

 

                                                                 Tout enfant,

Fillette à peine, allant prier la Vierge douce,

Je vis une lueur qui tremblait sur la mousse

Et brillait du côté du joli Bois-Chesnu ;

Et j’entendis la Voix. Et mon cœur tout ému

Sentit qu’elle venait de Dieu, qu’elle était bonne :

Car elle me disait d’honorer la Patronne

De France ; d’être gente et sage. Et puis, plus tard

Elle me somma fort de partir sans retard

Pour sauver Orléans, pour délivrer la France.

De quitter Domremy, berceau de mon enfance ;

De demander des gens à messire Robert ;

De ceindre un baudrier, d’endosser le haubert ;

Et quand je répondais : « Je ne suis qu’humble fille...

» Je ne sais pas monter à cheval... Ma famille

» Jamais ne me voudra laisser partir !... – Va ! Va !

» Pars donc, fille de Dieu ! Advienne que pourra !... »

...Las !... je partis enfin... Et j’eus sanglante injure

De messire Robert, m’accusant d’imposture

Et de folie. Un jour, soudain, il me fit don

D’une troupe de gens, et j’entrai dans Chinon.

Là, le Dauphin se rit de la pauvre Pucelle

Jusqu’au jour où sa voix tremblante lui révèle

Un important secret.

 

                               CAUCHON.

 

                                      Quel était ce secret ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Messire, passez outre.

 

                               CAUCHON.

 

                                         Alors, qui te guidait

Vers le roi déguisé ? Serait-ce une lumière ?

 

                               JEANNE D’ARC, avec calme et fermeté.

 

Je ne vous dirai pas ce que je dois vous taire.

Passez outre toujours.

 

                               CAUCHON.

 

                                          Promets-nous de rester

Tranquille, sans jamais plus vouloir t’évader.

 

                               JEANNE D’ARC, vivement.

 

Nenni ! messire Évêque ! À mon serment parjure

Je fuirais sitôt que possible ! Le temps dure

Trop, Messire, en prison ! C’est un droit coutumier

De chercher à s’enfuir quand on est prisonnier.

(Montrant ses chaînes :) Seulement, je prierais de me faire la grâce,

De m’ôter tous ces fers qui font profonde trace

À mes pieds, à mes mains, à mon cou.

 

                               CAUCHON, avec un cruel sourire.

 

                                                                    Non vraiment,

Car c’est pour te garder, Jeanne, plus sûrement.

 

                               JEANNE D’ARC, d’un ton de douce résignation.

 

Depuis un bien long temps je languis dans la cage

Aux gros barreaux glacés où ma tête s’engage ;

J’ai lourde chaîne au cou... Mais pourrai-je gémir

Quand le Sauveur souffrit pour moi sans défaillir ?

Je peux pâtir pour Lui, moi, pauvre faible femme !

Je ne veux désirer que salut de mon âme.

 

                               CAUCHON, sarcastique.

 

Mais Dieu t’a délaissée, au siège de Paris ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Je voulais obéir, rester à Saint-Denis ;

Bien contre mon vouloir les chefs m’ont entraînée.

(Avec énergie :) Je restais malgré tous si je n’étais blessée !

 

                               CAUCHON, avec perfidie.

 

C’était un jour de fête, il me semble, ce jour ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

C’est possible.

 

                               CAUCHON.

 

                             C’était mal pour si sainte Cour,

Dis ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Messire, passez outre ; (Grave et solennelle :)

                                          ... et, vrai, prenez garde

Sous un pesant fardeau votre cœur se hasarde,

Car si je vous disais ce que je dois céler,

C’est par force que vous auriez fait parjurer

L’ignorante Pucelle ! Et vous ne devez, certe,

Vouloir cela ; car ce serait immense perte

Pour votre honneur !

 

                               CAUCHON, avec humeur.

 

                                         Tes voix t’ont-elles défendu

De tout dire ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

                             Mais non. J’ai déjà répondu

À mainte question. J’ai trop peur de vous dire

Quelque chose qui fâcherait mon Dieu, Messire.

(Avec une noble énergie :) J’ai plus peur de faillir que d’affronter la mort !

 

                               CAUCHON.

 

Jeanne, allons, que crois-tu, dis, sur ton présent sort ?

Penses-tu te trouver en pur état de grâce ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Que Dieu m’y garde, si j’y suis ; ou qu’Il m’y place

Si je n’y suis. Mais si j’avais péché mortel

Je n’aurais pas, sans doute, ouï les voix du ciel.

Ah ! je serais d’ici femme la plus dolente

Si je savais avoir lèpre tant dégoûtante.

 

                               UN DES ASSESSEURS, indigné.

 

C’est trop, Messire Évêque ! C’est trop loin pousser !

Vous n’avez pas le droit d’ainsi la tourmenter !

 

                               CAUCHON, furieux.

 

Taisez-vous !... (À l’un des assesseurs :)

                             Jean Beaupère, interroge à ma place !

 

                               JEAN BEAUPÈRE, avec bonhomie.

 

Quand avez-vous mangé ?... quand bu dernière tasse ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Hier après-midi.

 

                               JEAN BEAUPÈRE.

 

                                 Bien. Quand vinrent vos Voix ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Hier et aujourd’hui.

 

                               JEAN BEAUPÈRE.

 

                                      Dites combien de fois.

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Trois : le matin ; à la vesprée ; et quand vint l’heure

Où l’Ave Maria tinte à toute demeure.

Mais certains jours c’est plus souvent.

 

                               JEAN BEAUPÈRE.

 

                                                                   Que faisiez-vous

Hier matin, en l’instant où la Voix vint à vous ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Je dormais ; la Voix m’éveilla.

 

                               JEAN BEAUPÈRE.

 

                                                        Vous toucha-t-elle ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Nenni.

 

                               JEAN BEAUPÈRE.

 

Vous mîtes-vous à genoux devant elle ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Non, Messire. C’est Dieu qu’on adore à genoux,

À Lui seul ce salut respectueux et doux.

Je l’ai remerciée assise, et les mains jointes.

Elle m’a dit d’avoir dédain des dures pointes

Qu’on devait me lancer ; de parler hardiment ;

Car mon Dieu m’aiderait à répondre vraiment.

 

     (Se tournant vers Cauchon :)

 

Attention, Messire, à ce que vous me faites !

Vous vous dites mon Juge : en grand péril vous êtes

Car je suis envoyée au nom du Christ !

 

                               CAUCHON.

 

                                                                       Enfin

Qui te dit que tes Voix avaient l’accent divin ?

Si c’était le démon qui prenait forme d’ange ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Non. Satan n’aurait pu si bien donner le change

Car la Voix me disait : « Sois bonne fille. Va !

» Au secours de ton Roi. Dieu même t’aidera. »

Et l’Ange me parlait du triste état de France !

 

                               CAUCHON.

 

Et comment donc as-tu distincte connaissance

De qui te parle ?

 

                               JEANNE D’ARC, avec simplicité.

 

                               Mais les Voix disent leur nom.

 

                               CAUCHON.

 

As-tu vu saint Michel ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

                                             Oui, Messire.

 

                               CAUCHON.

 

                                                                            C’est bon.

Alors, tu l’as vu bien ? en forme corporelle ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Je l’ai vu de mes yeux.

 

                               CAUCHON.

 

                                                Sa forme, quelle est-elle ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Je n’ai pas droit de vous le dire.

 

                               CAUCHON.

 

                                                             Était-il nu ?

 

                               JEANNE D’ARC, riant.

 

Ah ! croyez que Là-Haut il peut être vêtu !

 

                               CAUCHON.

 

Et tes Saintes, voyons, ont-elles chevelure ?

 

                               JEANNE D’ARC, riant.

 

Belle question ! Oui.

 

                               CAUCHON.

 

                                        Ont-elles forme pure ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Je m’en rapporte à Dieu.

 

                               CAUCHON.

 

                                             Dis, tu les comprenais ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Elles ont voix très douce et parlent bon français.

 

                               CAUCHON.

 

Mais comment peut parler ce qui n’a point de bouche ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Je m’en rapporte à Dieu pour tout ce qui les touche.

 

                               CAUCHON.

 

Ont-elles jambes, bras ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

                                              Messire, je ne sais !

 

                               CAUCHON.

 

Dis, Jeanne, quelquefois ne parle-t-elle anglais,

Ta sainte Marguerite ?

 

                               JEANNE D’ARC, d’un air de naïf étonnement.

 

                                         Ah ! mais pourquoi, Messire,

Parlerait-elle anglais, quand point ne les soutire ?

 

                               CAUCHON.

 

Alors, tes Saintes ont haine pour les Anglais ?...

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Aimant ce qu’aime Dieu, elles n’aiment s’Il hait.

 

                               CAUCHON, vivement.

 

Dieu hait donc les Anglais ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

                                          Je ne sais rien, Messire,

De son amour ou de sa haine. Je puis dire

Seulement que de France, un jour, ils sortiront

Les « godons » étrangers ! sauf tous ceux qui mourront !

 

                               CAUCHON.

 

Jeanne, dis ? de tes Voix quelle était la promesse ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

De rendre à Charles sept son royaume en liesse,

Que l’ennemi le veuille ou ne le veuille pas !...

De me conduire au Ciel aussitôt mon trépas.

 

                               CAUCHON.

 

Jeanne, parle-nous donc de ton arme enchantée.

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Messire, on vous trompa, je vois, sur cette épée.

Je l’ai fait déterrer sur l’ordre de mes Voix.

On la trouva rouillée ; empreinte de cinq croix.

 

                               CAUCHON.

 

Jeanne, comment fis-tu pour bénir cette épée ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Je n’aurais su le faire ; et je l’ai bien aimée

À cause seulement de l’agréable lieu

Où je la fis tirer d’après l’ordre de Dieu :

Il était sous l’autel de sainte Catherine.

 

                               CAUCHON.

 

Jeanne, n’as-tu jamais posé sa lame fine

Pour lui porter bonheur, sur la pierre d’autel ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Non... que je sache.

 

                               CAUCHON.

 

                                     Dis, était-elle au Castel

De Compiègne où tu fus prise ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

                                                        Nenni, Messire,

Car je l’avais brisée au dos de triste sire

Et de honteuse fille, au milieu de mes gens.

Mais j’avais très bonne arme.

 

                               CAUCHON.

 

                                                     Et dis-nous, à ton sens,

Que préférais-tu, là, l’étendard ou l’épée ?

 

                               JEANNE D’ARC, vivement.

 

Au moins quarante fois l’étendard à l’épée !

 

                               CAUCHON.

 

Quelle était sa couleur ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

                                          Aussi blanc qu’un beau lys

De France. Et notre fleur brillait en un semis

Gracieux, tout auprès des doux noms de Marie

Et du Sauveur Jésus. Souffrez que je vous die

Que pour ne pas tuer je portais l’étendard,

Et que, jamais ! ma main n’a lancé moindre dard.

 

                               CAUCHON.

 

Et pourquoi, près du Roi, mis-tu le jour du Sacre

L’étendard, avant ceux que Noblesse consacre ?

 

                               JEANNE D’ARC, simplement.

 

Comme il avait été à la peine, Seigneur,

C’était juste raison qu’il fût mis à l’honneur !

 

                               CAUCHON.

 

Mais enfin, au combat, qui remportait victoire,

Cet étendard, ou toi ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

                                        De Dieu venait la gloire

Et non d’ailleurs, bien sûr !

 

                               CAUCHON.

 

                                                    Et si dans d’autres mains

L’étendard était mis, eût-il mêmes destins ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Je n’en sais rien, Messire ; à Dieu je m’en rapporte.

 

                               CAUCHON.

 

Dis, Jeanne, verrais-tu l’intérêt que te porte

Ton Dieu, si tu n’avais plus ta virginité ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Je n’en sais rien. Ceci ne m’est pas révélé.

 

                               CAUCHON.

 

Et j’entendis parler – si j’ai bien souvenance –

De portraits que l’on fit, Jeanne, à ta ressemblance.

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Moi comme vous. Et j’ai vu même, près d’Arras,

Une image où l’on m’avait peinte, l’arme au bras.

Mais je n’en savais rien.

 

                               CAUCHON.

 

                                             Et tous les gens de France

De bien prier pour toi avaient l’accoutumance ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Je n’en sais rien. D’ailleurs, c’était acte loyal

De me nommer à Dieu. Je n’y vois point de mal.

 

                               CAUCHON, d’un ton scandalisé.

 

Tous vont te proclamant : Céleste messagère !

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Qu’ils le disent ou non, c’est la vérité claire.

 

                               CAUCHON.

 

Pourquoi te baisaient-ils les mains, le vêtement ?

C’est pratique idolâtre !

 

                               JEANNE D’ARC.

 

                                             Ah vous trouvez ? vraiment ?

(Attendrie) Ce bon peuple m’aimait. J’avais parfois gênance

D’être en butte à sa joie. (Gaiement) Eh ! c’était pour la France !

 

                               CAUCHON, triomphant.

 

Ah ! tu ne diras pas que tu n’eus très grand tort

En sautant d’une Tour pour te donner la mort !

 

                               JEANNE D’ARC, triste.

 

Nenni, Messire, hélas !... Oh ! je voulais bien vivre !

Mais depuis quatre mois, du beau jour qui m’enivre

Je n’avais pu voir un seul reflet !... J’avais peur...

Je sautai... mais en remettant à Dieu mon cœur...

Et sainte Catherine, en me voyant blessée,

Vint me dire, pourtant, que je serais sauvée !

 

                               CAUCHON.

 

En te voyant reprise, as-tu senti fureur ?

As-tu juré ?

 

                               JEANNE D’ARC, indignée.

 

                      Non, certe !

 

                               CAUCHON.

 

                                            Et n’eus-tu pas frayeur

De pécher, en quittant jadis tes père et mère

Sans leur consentement ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

                                               Oh ! non ! Et bien j’espère

Qu’ils m’ont tout pardonné. Je devais obéir

À Dieu d’abord, sans m’occuper d’autre désir.

 

                               CAUCHON.

 

Te soumettras-tu Jeanne, au pouvoir de l’Église

Pour tous tes faits ?

 

                               JEANNE D’ARC, naïvement étonnée.

 

                                    Mais oui ! car c’est chose requise

D’obéir à l’Église autant qu’au Dieu vivant !

 

                               JEAN LEMAÎTRE,

              Vicaire de l’Inquisiteur de France.

 

Très bien !...

 

                               JEAN BEAUPÈRE DE LA FONTAINE.

 

                          Bravo ! Pucelle !

 

                               ISAMBARD DE LA PIERRE.

 

                                                               Et tu dis sagement !

 

                               MARTIN LADVENU, bienveillant.

 

Soumets-toi donc, enfant, pour épargner ta vie,

Au Concile de Bâle.

 

                               JEANNE D’ARC.

 

                                      Au moins que l’on me die,

Messires, qu’est cela...

 

                               ISAMBARD DE LA PIERRE.

 

                                            Ce sont sages Anglais ;

Et gens de ton parti.

 

                               JEANNE D’ARC, après une minute de réflexion.

 

                                      Bien... Donc je m’y soumets.

 

                               CAUCHON, furieux, aux Assesseurs.

 

Taisez-vous !... par le diable !... (Au greffier :) Et je défends d’écrire

Ce que la triple folle, à l’instant, vient de dire !

 

                               JEANNE D’ARC, gravement, à Cauchon.

 

Ah ! prenez garde !... Vous avez mauvaise foi !

Vous ne faites marquer que choses contre moi !

 

                               CAUCHON, reprenant l’interrogatoire, brusque.

 

Respecteras-tu, dis ? l’Église militante ?

 

                               JEANNE D’ARC, l’air naïvement inquiet.

 

Que nommez-vous ainsi ?... j’en suis toute ignorante !

 

                               CAUCHON.

 

L’Église triomphante est la Tribu du Ciel,

Et la militante a tout pouvoir par l’autel.

Ce sont les Cardinaux, les Évêques, le Pape.

A leur autorité ta conduite échappe,

Car tu dis recevoir seul conseil de tes Voix.

 

                               JEANNE D’ARC, vivement.

 

Pardon, messire Évêque ! En une bonne fois

Je vous dis que je veux au Pape me soumettre,

Mais Jésus, mon Sauveur : premier servi ! Peut-être

Ai-je pu, quelquefois, en paroles faillir...

Si j’ai blessé la Foi, rien ne veux soutenir

Et je me désavoue... Or, n’étant pas savante,

J’avais cru tout d’abord, qu’Église militante

C’était vous tous, céans ! Et ce serait mon mal

Que me mettre entre mains d’ennemi capital

Tel que vous, Sire Évêque. À présent, instruite

Je m’en remets au Pape, à sa docte conduite.

 

                               JEAN BEAUPÈRE, irrité.

 

C’est femme bien subtile !...

 

                               CAUCHON, à Jeanne d’Arc, avec dédain et mépris.

 

                                                 Et cet infâme habit,

Indigne de ton corps, le souille et le flétrit !

 

                               JEANNE D’ARC, soupirant.

 

II ne m’est pas permis de prendre habit de femme,

Hélas !...

 

                               RAOUL SAUVAGE, Bachelier en théologie.

 

C’est pour garder virginale son âme

En son corps jeune et pur, ne le voyez-vous pas,

Messire Évêque ? En proie à de rustres soldats

Cette pauvre Pucelle est grandement à plaindre !

 

                               JEANNE D’ARC, pleurant.

 

Hélas ! oui... Monseigneur... c’est ce qui me fait craindre,

Oui, vous l’avez bien dit... Je ne fais que trembler

Dans ma prison !... C’est ce qui me fait redouter

D’ôter cet habit qui me rend moins enviable...

 

                               CAUCHON, sévère.

 

L’Église a condamné ce costume exécrable,

Et tu t’obstines à le porter. (Ironique) Oui, vraiment,

Tu fais preuve d’esprit soumis complètement !

...Et tes voix, maintenant, s’il fallait t’en dédire,

Sur l’ordre de l’Église ?

 

                               JEANNE D’ARC.

 

                                              Ah ! ce serait bien pire

Que de me faire nier l’existence du Ciel !

(Avec une sévérité solennelle :) Messire Évêque... vrai ! Vous avez trop de fiel

Contre moi ; prenez garde !...

 

                               CAUCHON, insistant.

 

                                                   Et si, d’ordre d’Église,

Tu dois les révoquer, tes Voix ?

 

                               JEANNE D’ARC, avec énergie.

 

                                                         Je serais mise

En obligation d’aller trouver là-bas,

Jusqu’à Rome, le Pape ! et lui ne voudrait pas

Méconnaître mon droit de jurer chose vraie !

 

                               CAUCHON.

 

Prends garde ! tu te fais une terrible plaie,

En t’obstinant !

 

                               JEANNE D’ARC, avec une sereine insouciance.

 

                               Qu’importe ! Et je suis en péril

De mort, par mon état. Vous seriez bien civil

De m’envoyer un prêtre avec l’Eucharistie,

Pour m’aider à finir pieusement ma vie ;

Et de faire porter mon corps en béni lieu.

(Avec résignation :) Si vous ne le voulez, je m’en remets à Dieu !

 

                               CAUCHON, violemment.

 

Enfin, veux-tu, voyons, te soumettre à l’Église ?

 

                               JEANNE D’ARC, avec douceur.

 

Combien de fois faut-il que je vous le redise ?

J’ai répété souvent ; je ne pourrai changer.

 

                               CAUCHON, furieux.

 

Eh ! bien ! nous finirons, lors, par t’abandonner !

Tu mourras sans secours ! comme une Sarrazine !...

 

                               JEANNE D’ARC, calme et ferme.

 

Je suis bonne chrétienne ; et toujours je m’incline

Sous la main du Seigneur : ainsi je finirai.

Je reçus bon baptême ! et chrétienne mourrai !

 

                               CAUCHON, exaspéré.

 

Contre toi, par le diable, agira la torture !

 

                               JEANNE D’ARC, avec une douce fermeté.

 

Tirez-moi tout le corps par souffrance très dure ;

Faites partir mon âme : je ne dirai rien

De plus qu’auparavant ! Je vous avertis bien

Aussi que si je dis autre chose nouvelle

Ce sera par la force ; et la pauvre Pucelle

N’en sera pas coupable !

 

                               RAOUL ROUSSET, à Cauchon.

 

                                               Or, cela gâterait

Ce procès, la torture. Il est vraiment bien fait.

 

                               CAUCHON.

 

Écoute donc, ô, fille étrangement coupable,

On va lire l’exhortation charitable.

(Se tournant vers l’un des assesseurs :) Lis, Jean de Châtillon.

 

                               JEANNE D’ARC, émue.

 

                                                               Oui, Messire, lisez...

Votre livre... J’entends... Oui, Messire, lisez !...

À Dieu mon Créateur, toujours je m’en rapporte !

Qu’Il me laisse en péril ou, s’Il veut, qu’Il m’en sorte,

Sa volonté sera celle d’un bon Sauveur

Que toujours j’aimerai de mon fidèle cœur...

 

                               JEAN DE CHATILLON, lisant.

 

« La Pucelle maintient ses visions mystiques,

» Bien que les Clercs les aient trouvées diaboliques.

» La Pucelle prétend reconnaître les saints,

» Les Anges du Seigneur : c’est scandaleux desseins

» Elle voit l’avenir : c’est grande vanterie,

» C’est superstition, erreur et menterie.

» Elle blasphème Dieu dans son Conseil divin,

» Prétendant qu’Il lui mit costume masculin.

» Elle fuit du pays dans l’ombre et le silence :

» C’est mépris des parents, et désobéissance.

» Elle mit sur son âme un poids de désespoir,

» En sautant de la Tour haute de Beaurevoir.

» Elle dit, vers le Ciel, s’élancer de la terre,

» Au jour de son trépas : c’est orgueil téméraire.

» C’est même sentiment de dire ce que Dieu

» Peut aimer ou haïr. Surtout, en premier lieu,

» C’est mépriser l’Église en sa chaire bénie

» Que de croire à ses Voix : c’est grande idolâtrie !

» Et soumettre à Dieu seul son orgueilleux vouloir

» C’est être schismatique. Ah ! le triste devoir

» De te livrer, Pucelle, entre la main armée

» Du bourreau, si tu veux être encore entêtée !

» Il en temps encor ! Jeanne d’Arc, soumets toi !

» Et tu seras salivée !... Ô Jeanne, dédis-toi ! »

 

                               JEANNE D’ARC, avec une douceur infinie et navrante.

 

Hélas ! mes bons Seigneurs ! ce serait menterie

Si je me dédisais ! (Fière et calme :) Dieu seul détient ma vie

Et peut me la trancher ! (Énergique :) Si je voyais le feu,

Le bûcher, le bourreau, je me fierais à Dieu !...

 

                               CAUCHON, brutalement.

 

Va-t’en donc ce matin ; ce soir à la Vesprée

Nous tâcherons encor de changer ton idée.

 

     (Jeanne d’Arc sort. Les assesseurs s’éloignent. Cauchon reste seul, soucieux, le regard dur. Warwick, en tirant, lui fait lever la tête.)

 

                               WARWICK.

 

Vous semblez mécontent. Ce procès marche mal ?

 

                               CAUCHON, avec exaspération.

 

Messire !... cet esprit brillant comme un fanal

Au milieu de la nuit, toujours me déconcerte !

Elle boute tout droit à la vérité ! Certe,

Ce sont doctes savants, et sages érudits

Qui mettent en travail effort de leurs esprits :

Toujours cette Pucelle, ignorante et naïve,

Semble puiser ses mots à source claire et vive !

Comment faire, Messire ?...

 

                               WARWICK, le front plissé, rageur.

 

                                                À tout prix condamner !

(En grinçant des dents :) Déjà, depuis longtemps je l’aurais fait brûler

Mais je veux obscurcir de vapeur lourde et sombre

La race des Valois, pour l’étouffer dans l’ombre...

Tâchez, par tous moyens, de la faire abjurer !

Il faut mentir, qu’importe ! Absolument tromper !

Présentez à sa vue une fausse cédule

Que vous remplacerez. Et puis vous rendrez nulle

Cette abjuration, en formant des desseins

Savants pour perdre Jeanne, et, relapse, en nos mains

La rejeter... Messire, allez monter ce siège !

(Avec un mauvais rire :) Et prenez l’oiselet naïf en un beau piège !

 

     (Il sort.)

 

 

 

 

 

LE PROCÈS

_____

 

 

Cimetière de Saint-Ouen

________

 

 

 

 

     Dans le Cimetière de Saint-Ouen, deux estrades sont dressées. Sur l’une, prennent place silencieusement : l’Évêque de Winchester ; trois autres Évêques ; huit Abbés ; deux Prieurs ; deux Docteurs en Droit ; neuf Docteurs en Théologie ; neuf Licenciés ; sept Bacheliers. – Une foule immense fait irruption, et se masse au pied des deux estrades. – Jeanne d’Arc paraît... montée sur une charrette escortée de soldats anglais. Une rumeur sourde parcourt la Foule :

 

Qu’est ce très dur spectacle ?... Hélas !... que voyons-nous ?

Quel visage amaigri !... quel air dolent et doux !...

Hélas ! en quel état paraît notre Pucelle !...

Pauvre chère victime... et que deviendra-t-elle ?...

 

                               NICOLAS LOISELEUR,

                  Chanoine de Rouen, va vers Jeanne.

 

Jeanne, croyez-moi ! si voulez vous sauver

Reprenez votre habit de femme ! Refuser

Serait vous mettre en grand péril de perdre vie.

En mains de gens d’Église on vous mettrait, ma mie ;

Vous n’auriez point de mal, au contraire, grand bien !

 

                               JEANNE D’ARC, triste et ferme.

 

Laissez, mon bon Messire ! en Dieu gît mon soutien.

 

     (Elle descend de la charrette, et gravit les marches de l’estrade vide. À côté d’elle prennent place Jean Mathieu ; Guillaume Manchon, notaire greffier ; le Prédicateur Guillaume Érard, Chanoine de Langres. Silence profond.)

 

 

                               MAÎTRE ÉRARD, d’une voix lente et grave.

 

« Le sarment, s’il est seul, devient substance vile ;

» Il ne porte de fruit que par le cep utile. »

Or, quoi de plus logique, hélas ! que voir ici

La Pucelle, égarée hors du giron béni

De sa mère l’Église ! et c’est chose certaine

Qu’on commet grave erreur, portant coupable chaîne,

En n’obéissant qu’à son personnel vouloir.

Au lieu de s’appuyer sur le divin pouvoir.

(Avec solennité :) Ah ! fille folle, dis ? Hélas ! t’es-tu livrée,

Pour toujours à Satan ?... Va, tu seras brûlée

Si tu ne veux jurer qu’en tout tu te trompais !

(Avec une douloureuse indignation :)

Jusqu’à ce jour actuel, France n’avait jamais

Possédé sur son sol un monstre !... et, chose horrible !

Voici paraître aux yeux monstre hideux, terrible !

(Avec dégoût et effroi :) Celui qui se dit Roi de France n’a pas craint

De prendre sorcière en son Conseil très saint !

 

     (Avec un redoublement d’indignation, et désignant du doigt la pauvre Jeanne, triste et silencieuse, qui ne se démet pas de son calme.)

 

Ha ! France !... en ces jours-ci tu fus bien abusée !...

À femme schismatique, hérétique, souillée,

Pleine de déshonneur, inutile, ton Roi

Soumit sa conduite et confia sa foi !...

Pauvre maison de France !... à ce point abusée !...

(Montrant Jeanne d’Arc d’un geste méprisant :)

Tu reçus ton secours de femme diffamée !...

 

     (Voyant l’impassibilité sereine de Jeanne d’Arc sous ses insultes, ses gestes provocateurs et ses regards dédaigneux, il l’apostrophe violemment, se penchant tout entier vers elle.)

 

...À toi, Jeanne, je parle !... et te dis que ton Roi

Est hérétique ! et schismatique !...

 

                               JEANNE D’ARC, avec feu.

 

                                                        Ah ! par ma foi !

Messire, ce n’est pas !... révérence gardée !

Mon Roi c’est le plus noble, à l’âme mieux trempée,

Qu’on ait vu jusqu’ici parmi tous les chrétiens !

C’est celui qui plus aime – ah ! çà, je le soutiens ! –

Notre Mère l’Église !... Erreur donc vous commîtes,

Messire ! car il n’est pas tel que vous le dîtes !

 

                               CAUCHON,

        transporté de rage, crie de son estrade.

 

Faites-la taire !...

 

                               MAÎTRE ÉRARD, sévère.

 

Vrai ! tu réponds hardiment

Sans être interrogée !... (Plus doux :) Écoute maintenant :

Voici tes Juges, Jeanne, en très docte assemblée

Qui, plusieurs fois déjà, d’obéir t’ont sommée.

En tes dits et faits, Jeanne, on a trouvé beaucoup

D’erreurs ! à notre foi portant très rude coup.

(D’un ton de pateline bienveillance :)

Permets que du péril notre bonté te sorte,

Pauvrette ! dédis-toi !...

 

                               JEANNE D’ARC, toujours inébranlable dans sa fermeté douce.

 

                                              Ah ! Messire, qu’importe !

Je suis entre les mains d’un Dieu puissant et bon ;

Je suis sans crainte aucune... et je bénis son nom !

Au milieu du péril j’attends son assistance !...

Pour la soumission à la sainte puissance

De ma Mère l’Église, au Pape j’ai recours.

Envoyez donc à Rome, envoyez mes discours :

Je m’en rapporterai, je le jure, au Saint-Père

Comme à Dieu ! car c’est Dieu qui m’a toujours fait faire

Et dire tout, Messire !

 

                               CAUCHON,

         de son estrade, se contenant à peine.

 

                                         Il ne te suffit pas

De parler du Saint-Père ! Il est trop loin là-bas

Pour aller le quérir ou lui parler. Le maître

De chaque Diocèse est l’Évêque !

 

                               JEANNE D’ARC, douce et grave.

 

                                                             Il faut être

Juste, pourtant, Messire, et comprendre les faits :

Vous êtes prévenu contre moi par l’Anglais.

Renvoyez-moi plutôt au vrai Clergé de France

Qui déjà, de mon droit, a donné l’assurance.

 

                               CAUCHON, furieux.

 

Réponds : veux-tu signer ?... Tu le voudras ?... ou non ?...

 

                               JEANNE D’ARC, très calme et ferme.

 

Je vous l’ai déjà dit : non ! et mille fois non !

Je m’en rapporte à Dieu... de même au sage Pape.

 

     (Sur l’estrade où siègent les Juges se produit un mouvement. Ils se rassemblent et parlent à voix très basse, avec animation. Pendant ce temps, Guillaume Érard et Nicolas Loiseleur, ainsi que Jean Beaupère, serrent Jeanne d’Arc de près, et lui parlent tour à tour très précipitamment.)

 

                               MAÎTRE ÉRARD, résolument.

 

Oui, Jeanne, à ce supplice il faut que tu échappes,

Car j’ai compassion de fille comme toi

Si jeune et si pauvrette !... (Insinuant :) Allons !... dis qu’à la Foi

Tu fis sanglante injure en agissant, Pucelle !...

Sans cela l’on te livre à Justice cruelle !

 

                               JEANNE D’ARC.

 

Mais je crois au Symbole ; et n’ai rien dit de mal !

Je crois au Décalogue ; et suis en droit légal

De m’en remettre à Rome ; et de croire en l’Église

Plus qu’en ce Sire Évêque... (Montrant Cauchon :)

                                                   En son lac il m’a prise

Et veut me perdre.

 

                               NICOLAS LOISELEUR, d’un air étonné.

 

Jeanne !... où donc est votre esprit ?...

(D’une voix doucement persuasive :)

Vous sommant, simplement, de vous mettre en habit

Convenable, il vous dit qu’en mains de Gens d’Église

Vous seriez, désormais, sur votre vœu, remise ;

Vous auriez, dès ce soir ! une femme avec vous !

Vous irez à la messe ! et prierez à genoux,

Autant qu’il vous plaira, devant la blanche Hostie ;

On ôtera vos fers. (Joyeusement :) En liberté, ma mie,

Vous serez tout à l’heure !... Allons ! Jeanne, signez !

 

                               JEANNE D’ARC, sans broncher.

 

Nenni, Seigneur !... Jamais vous ne m’ébranlerez !

 

                               MAÎTRE ÉRARD,

      tirant de sa poche une cédule toute préparée,

       et la lui mettant avec violence sous les yeux.

 

C’est assez, maintenant !... Tu vas signer, sur l’heure

L’écrit !... Et d’abjurer je te mets en demeure !...

 

                               JEANNE D’ARC, étonnée, inquiète.

 

Abjurer ? Abjurer ?... Je ne sais ce que c’est,

Messire, hélas !... Quant à cet écrit que l’on met

Sous mes yeux, c’est en vain ! car je ne sais pas lire !...

Aux doctes, savants Clercs je m’en remets, Messire...

Et si c’est leur avis que je doive signer,

Je signerai... Toujours je veux m’en rapporter

À l’unique pouvoir d’Église Universelle.

(Énergique :) D’après son ordonnance agira la Pucelle !

 

                               MAÎTRE ÉRARD,

     agitant furieusement la cédule près du visage

            de Jeanne d’Arc, lui crie avec rage.

 

Point de tout ces délais !... Signe, présentement !

Abjure à la minute ! (Sévère :) ou ton entêtement !

Aux flammes du Bûcher te jette aujourd’hui même !

(Cruel, il lui montre du geste la fatale charrette.)

Tiens, là-bas, le Bourreau qui t’attend !... Vois, toi-même !...

 

                               JEANNE D’ARC, frissonnante de terreur.

 

Oh ! oui !... plutôt signer que me faire brûler !...

 

     (La Foule houleuse, s’est portée toute entière vers l’estrade de Jeanne d’Arc, et tous suivent avec un immense intérêt les péripéties du drame.)

 

                               UNE VOIX DU PEUPLE, avec un sanglot.

 

Ô Pucelle au cœur pur ! ne va pas au Bûcher !

Ne te fais pas mourir, Ange de douce France !...

 

                               UNE AUTRE VOIX, tremblante aussi.

 

Sans toi nous retombons dans la désespérance !

 

                               QUELQUES ANGLAIS,

                   lançant des pierres sur l’estrade.

 

Goddem !... laissez brûler ce suppôt de l’Enfer

Pour qu’elle aille au plus tôt rejoindre Lucifer !

Vous n’avez pas le droit de trahir l’Angleterre !

Il faut tuer ce monstre en l’écrasant par terre !

 

                               QUELQUES FEMMES,

            joignant les mains, pleurant et se lamentant,

                            crient vers Jeanne d’Arc.

 

Jeanne d’Arc !... notre espoir !... prends pitié de toi !

 

                               JEANNE,

          éplorée, lève vers Maître Érard

                   ses mains suppliantes.

 

Au moins... Messire... alors, de grâce ! expliquez-moi

Ce que c’est qu’abjurer !... Si c’est chose mauvaise,

Interdite par Dieu, (Avec énergie :) plutôt, oui, la fournaise !

 

                               MAÎTRE ÉRARD, à Massieu, brusquement.

 

Expliquez.

 

                               MASSIEU.

 

                      C’est bien clair : reconnaître son tort ;

Dire...

 

                               MAÎTRE ÉRARD, l’interrompant.

 

Cela suffit. (À Jeanne d’Arc, d’une voix terrible :)

 

                     ...Ou signer ! ou la Mort !...

 

     (La Foule, plus houleuse que jamais, attend avec angoisse. Tous les regards sont avidement fixés sur Jeanne d’Arc. Les Juges de l’autre estrade sont tous penchés en avant.)

 

                               JEANNE D’ARC,

                les mains jointes, les yeux au Ciel,

              d’une voix entrecoupée de sanglots.

 

Ô saint Michel !... patron... de la pauvre Pucelle !...

Venez à son secours !... Ô vierge... douce et belle !...

Ô ma Mère Marie... et mon Sauveur Jésus !...

Sur Vous je fonde espoir... toujours de plus en plus !

(Avec angoisse :) Si je savais mon Dieu ! que ce n’est pas mal faire,

Je signerais !... Mais si cela doit vous déplaire

J’aimerais mieux mourir !... (Avec un frisson qui secoue tout son être :) même sur le Bûcher !...

     (Dans une explosion de larmes :)

Plutôt la Mort, mon Dieu !... que de vous contrister !...

 

     (Elle s’essuie les yeux au bout d’un moment, et dit à Maître Érard avec une douloureuse expression d’angoisse :)

 

Lisez, Messire, alors... pour moi, votre cédule.

(Avec force et passion :) Même devant le feu, pour Dieu, je ne recule !

 

                               MAÎTRE ÉRARD

        lit, et Jeanne d’Arc, d’une voix tremblante,

             l’air extrêmement sérieux et réfléchi,

                  répète après lui chaque phrase.

 

Écoute donc avec très grande attention

Et tu reconnaîtras ma pure intention.

« Je, Jehanne, m’engage à ne plus porter d’armes ;

 

                               JEANNE D’ARC, la voix tremblante.

 

« Je, Jehanne, m’engage à ne plus porter d’armes ;

 

                               MAÎTRE ÉRARD.

 

« À ne plus jamais mettre un habit masculin ;

 

                               JEANNE D’ARC.

 

« À ne plus jamais mettre un habit masculin ;

 

                               MAÎTRE ÉRARD.

 

« À laisser repousser, longue, ma chevelure ;

 

                               JEANNE D’ARC.

 

« À laisser repousser, longue, ma chevelure ;

 

                               MAÎTRE ÉRARD.

 

« Je, Jehanne, à l’Église obéirai toujours ;

 

                               JEANNE D’ARC.

 

« Je, Jehanne, à l’Église obéirai toujours ;

 

                               MAÎTRE ÉRARD.

 

« À ses Commandements je veux bien me soumettre ;

 

                               JEANNE D’ARC.

 

« À ses commandements je veux bien me soumettre. »

(Les yeux au Ciel et les mains jointes :)

Ô Dieu !... je ne vois rien de mal en tout ceci !

En votre nom divin Jeanne cherche un abri !

(À voix très haute et très claire :)

Au nom du Dieu vivant, moi, Jeanne la Pucelle,

Me soumets aux arrêts d’Église Universelle.

(Avec grande solennité :) Mais seulement si l’acte est agréable à Dieu.

Sans cela, j’aimerais mieux passer par le feu !

 

                               MAÎTRE ÉRARD, lui présentant vivement la cédule.

 

C’est bien, Jeanne. Signez !

 

     (Pendant qu’elle appose une croix au bas de l’acte, Cauchon et les Juges de l’autre estrade se frottent les mains, en riant de joie... Le Peuple, avec un grand soupir de soulagement, crie :)

 

C’est bien ! gente Pucelle !

Et sage d’éviter la peine si cruelle

Du terrible Bûcher !...

 

                               DES ANGLAIS,

           furieux, lancent des pierres aux Juges.

 

                                           C’est dure trahison !...

Goddem !... contre nous on relâche le démon.

 

                               UN DES JUGES,

                se penchant vers eux, leur crie.

 

Nous la rattraperons !... n’ayez aucune crainte !

 

                               CAUCHON,

     se frottant les mains, à Warwick qui arrive.

 

Elle est prise !... c’est fait !... ah ! quelle bonne feinte !...

 

     (Il s’avance sur le devant de l’estrade et impose silence du geste. Puis il tire de sa poche un écrit tout préparé, et lit, avec effort pour cacher sa joie triomphante :)

 

« Tu ne mangeras plus que le pain de douleur,

» Pour expier ton crime outrageant au Seigneur ;

» Tu boiras l’eau d’angoisse, ô coupable Pucelle !

» Et tu seras mise en prison perpétuelle. »

 

                               JEANNE D’ARC,

            stupéfaite, proteste douloureusement.

 

Or çà, messire Évêque ?... oh ! vous m’aviez promis

De m’ôter d’entre les mains des Anglais hardis,

Et de me mettre en mains sûres de gens d’Église !...

 

                               CAUCHON,

    à l’huissier Massieu, avec un mauvais rire.

 

Aller la ramener vite où vous l’aviez prise !

 

(Jeanne, tristement résignée, sort la tête baissée, en pleurant tout bas.)

 

 

 

 

 

 

 

 

La Place du Vieux Marché

 

L E   B Û C H E R

_______

 

 

 

     Sur la place du Vieux Marché est dressé le Bûcher. Une foule immense, frémissante, se masse, se presse, partout. On a dressé en face du Bûcher une estrade, à laquelle est attaché un tableau portant cette inscription : « Jehanne, qui s’est fait nommer la Pucelle, menteresse, pernicieuse, abuseresse du peuple, devineresse, superstitieuse, blasphémeresse de Dieu, présomptueuse, malcréant de la foi de Jésus-Christ, vanteresse, idolâtre, cruelle, dissolue, invocateresse de diables, apostolate, schismatique, hérétique. »

     Jeanne d’Arc paraît... vêtue d’une longue robe blanche tombant jusqu’à ses pieds. Sur sa tête une sorte de mitre porte cette inscription : Hérétique, relapse, apostolate, idolâtre. Cent vingt hommes, armés de glaives et de massues, lui forment escorte. Les rumeurs de la Foule sont comprimées par les Anglais menaçants.

Jeanne d’Arc, versant d’abondantes larmes, mais la démarche calme, gravit lentement les marches de l’estrade où sont ses Juges. Nicolas Midi prononce un sermon d’une voix lente :

 

« Si l’un des membres souffre, aussitôt tout le corps

» Devient endolori. » Femme à l’esprit retors,

La Pucelle est ce membre. Ah ! quelle tête dure !

En un sage moment, raisonnable, elle abjure ;

On croit qu’elle est sauvée ; on peut se réjouir

Chrétiennement pour elle. Et la voici venir

À son erreur, encor ! relapse incorrigible !

Dès lors, elle mérite un châtiment terrible.

Pour le bien de l’Église, et manifestement

Car le chien qui retourne à son vomissement

Fait horreur !... Et tout cœur de chrétien se soulève

En voyant le scandale affreux que Jeanne achève !...

(Avec indignation :) On l’a vue, à nouveau, remettre cet habit

Monstrueux !... (Triomphant :) Jeanne, allons, n’ai-je pas vraiment dit ?

 

                               JEANNE D’ARC, douce et triste.

 

Oui, sans cloute, Messire... Il faudrait que j’explique

Cependant qu’on avait enlevé ma tunique

De femme, en ma prison ; et qu’en me réveillant

Je ne vis près de moi que ce seul vêtement...

Il me fallait vêtir, n’est-il pas vrai, Messire ?...

Les Anglais, me narguant, ne finissaient de rire,

Et j’étais, rougissante, en simple habit de nuit...

     (Avec une intonation de détresse profonde :)

Est-ce ma faute, hélas ! si l’on me trompe et nuit ?...

(Pleurant :) J’avouerai bien, d’ailleurs, que toujours outragée,

En butte aux vils desseins, je fus bien soulagée

En reprenant l’habit qui tient en respect

Ces brutes qu’excitait mon féminin aspect...

Et puis, Messire, aussi, je sentais à la peine

De mon cœur que j’avais failli ; que si la chaîne

Du péché m’oppressait, je me ferais grand tort

En étant infidèle aux Voix pour fuir la Mort...

Mes Saintes m’ont redit que j’étais simple, vraie ;

D’être ferme toujours. (Frissonnant :) Si le Bûcher m’effraie

Ma frayeur passera bien vite en expirant !...

     (Avec une religieuse ferveur, les yeux en extase :)

Je fuirai vers le Ciel ! vers Dieu que j’aime tant !...

J’ai reçu son saint Corps au divin Viatique ;

À mourir par amour, il faut que je m’applique.

 

                               JEAN LE BOUTEILLIER,

                     Bailli, Juge séculier, au Bourreau.

 

Bourreau, fais ton affaire...

 

     (Jeanne d’Arc descend de l’estrade pour être conduite au Bûcher. On entend des sanglots et des cris de douleur, de tous côtés. Jeanne d’Arc gravit d’un pas ferme le Bûcher qui est d’une hauteur exceptionnelle, et, les mains jointes, les yeux baignés de larmes, s’adresse au Frère Isambard.)

 

                                                 Oh ! faites-moi donner

Une croix, qu’en mourant je puisse encor baiser !

 

     (Un Anglais fait une petite croix de deux bâtons, et la lui présente en pleurant.)

 

Tiens, pauvre fille, hélas !

 

     (Elle la baise dévotement. Le Clerc de Saint-Sauveur lui apporte au même instant la croix de l’Église qu’elle presse en pleurant sur son cœur, pendant que le Bourreau la lie au Bûcher ; puis elle la remet au Frère Isambard, après l’avoir baisée une dernière fois ; et elle offre ses mains au Bourreau qui les attache en les lui croisant sur la poitrine. Jeanne d’Arc a sur le cœur, entre les bras liés, la petite croix de bois de l’Anglais ; et elle fixe un regard d’amour passionné sur celle que Frère Isambard élève devant elle. Dans la Foule, des Anglais grognent après les lenteurs.)

 

                               UN ANGLAIS, d’une voix brutale.

 

                                                  Servira-t-on la soupe

Ici ? Qu’on brûle ! et nous irons vider la coupe !

 

     (Le Bourreau met le feu au Bûcher... La Foule sanglote... Jeanne d’Arc répète en pleurant, d’une voix déchirante :)

 

...Jésus !... Marie !... ô Dieu ! ô Marie ! ô Jésus !...

Mes Saintes... saint Michel !... ô Marie ! ô Jésus !...

Venez, oh venez donc !!!... Venez... Jésus ! Marie !...

Recevoir votre enfant... Venez... Jésus... Marie...

 

     (Voyant que les flammes s’élèvent en crépitant, elle crie avec angoisse au Frère Isambard de la Pierre et Martin Ladvenu qui, près d’elle, la contemplent en sanglotant :)

 

...Voyez !... la flamme monte !... ah ! descendez, Seigneurs !

(À voix très haute et très ferme.)

Mes Voix n’ont pas menti !... France ! pour Toi je meurs !

Pour Toi, Jeanne offre à Dieu sa cruelle souffrance !...

Pour Toi je meurs !... je meurs... France !... ma douce France !

Tout ce que j’accomplis le fut d’ordre de Dieu !...

...Venez, Jésus... Marie !... (Avec épouvante, en sentant les flammes lui lécher les pieds :)

                                                Oh ! le feu !... oh !... le feu !...

(D’une voix entrecoupée par la frayeur et les larmes.)

Sainte Vierge Marie !... oh !... la flamme !... la flamme !...

Bonne Mère... Marie... encouragez... mon âme !...

Mes Saintes... saint Michel !... mettez-vous... au-dessus...

Du Bûcher... pour me prendre !... (Avec un grand cri :)

                                                         .... ô Jésus !.. ô Jésus !...

 

     (Elle pousse ce cri avec tant de force que tout le monde tressaille et se jette à genoux... avec une immense clameur !... Le Bourreau, fou de douleur et d’épouvante, se précipite aux pieds des deux moines qui sanglotent.)

 

                               LE BOURREAU.

 

Dites, oh ! dites-moi si j’obtiendrai clémence,

Après avoir prêté, de mon bras, l’assistance

À pareil crime ?... Dieu peut-il me pardonner ?...

 

                               JEAN TRESSARD,

          Secrétaire du Roi d’Angleterre, pleurant.

 

C’est fini d’Angleterre au pied de ce Bûcher

Où mourut par nos mains une Sainte... une Sainte !...

 

                               UN ANGLAIS, extrêmement ému.

 

J’ai vu, de mes yeux vu, à sa dernière plainte,

Une colombe blanche au Ciel prendre l’essor !

 

                               UNE FEMME, pleurant.

 

Jusqu’à sa triste fin, elle criait encor :

« Jésus ! ô mon Jésus ! » d’une voix tendre et forte !...

 

     (Les Anglais présents dans la Foule écartent les cendres du Bûcher, et jettent dans la Seine les restes de Jeanne d’Arc... puis s’en vont tous, taciturnes et muets.)

 

                               LA FOULE,

             dans une explosion de douleur.

 

...Elle est morte, la Sainte !... elle est morte ! elle est morte !...

 

 

 

 

 

 

 

 

Sainte Jeanne d’Arc

_____

 

 

XXe SIÈCLE

_____

 

 

 

 

 

 

     Écrit en 1901, première année de ce siècle, où Jeanne d’Arc paraissait à peine au Ciel de France... Bien des évènements prévus ici se sont réalisés... Espoir pour le reste !

 

    ... Un vieux moine, s’avançant, solennel, au pied du Bûcher, impose silence, et prophétise, d’une voix vibrante :

 

...Non ! Jeanne d’Arc survit ! Anglais, vous le saurez !

Phénix, oiseau sacré renaissant de sa cendre,

Elle s’est envolée !... Et vous la reverrez,

Anglais, vous que l’Enfer, en France, a fait descendre !

Vous frémirez de rage... et vous dévalerez,

Impuissants et vaincus, en regagnant les plages

De l’île triste et sombre où jamais ne riez !

Vous quitterez, godons, les scintillants rivages,

Aux flots toujours chantants sur les galets rosés,

De France la jolie, enfant gâtée et folle

Jouant avec le feu... tant elle sait l’amour

Si grand, prodigieux ! du Dieu qui, la main molle

Et contraint, ne la frappe enfin qu’au dernier jour !

...Sus ! Français ! groupez-vous tous ici ! car la lèvre

Du vieillard fatigué doit, pour vous exhaler

Ce que Dieu lui révèle au cœur brûlant de fièvre.

Sus ! Français ! rangez-vous autour de ce Bûcher...

(Avec enthousiasme :) C’est un feu glorieux qu’Anglais, sans le vouloir,

Alluma sur ton sol, ô ma très douce France !

Il ne sait pas qu’ici germe pour toi l’espoir !

Il ne sait qu’en ce jour naît l’âme de la France !...

 

     (Un frémissement parcourt la Foule qui se presse à la voix du vieillard.)

 

Écoutez donc, Français : Quand Dieu prit le limon

Pour en former le corps d’Adam, il lui fit don

De mille qualités, de beauté sans pareille,

Et jamais l’on ne vit plus parfaite merveille

Que ce premier corps d’homme. Or, Dieu lui octroya

Par son souffle sacré l’âme qui l’anima :

Et la merveille alors devint presque divine !

Écoutez bien, Français ! Vers France Dieu s’incline

Aujourd’hui, comme alors Il le fit vers Adam,

Car France la bénie a reçu déjà tant

Que toute nation est loin au-dessous d’elle,

Mais jusqu’au jour présent, France n’avait pour elle

Que corps très gracieux, jeune, et tout plein d’éclat.

Charlemagne et Clovis l’avaient mise en état

De voir briller au Trône un Saint Louis, très digne

D’obtenir au Pays une faveur insigne :

Or, en voici l’instant... Noble France à genoux !

Tressaille toute entière... En ce jour, entre tous,

Du Créateur l’amour te consacre immortelle !...

France ! regarde en haut : ton étoile étincelle !

Jeanne d’Arc, du Bûcher, s’élance dans les airs

Et plane, tour à tour, sur les monts et les mers

De la terre admirable où toujours elle habite,

Âme vivante et pure !... Oui, sans cesse palpite

En toi, France de Dieu, le souffle de l’amour,

Gage de ton triomphe, et jusqu’au dernier jour !

Toutes les Nations ont leur fin sur la terre ;

Les Peuples affaiblis rentrent dans la poussière ;

Mais Dieu te donne une âme : à Toi tout l’avenir,

Ô ma France immortelle, qui ne peut périr !

Dieu trempe ton grand cœur, prépare ton épaule

Pour soutenir tout peuple à faiblesse de saule

Subissant les assauts d’un injuste agresseur...

Dieu commande : et tu vas ! prêtant ton bras sauveur

À tous les opprimés... Hélas ! l’ingratitude

Te laisse aux tristes jours, en noire solitude...

Mais tu restes debout, fière, tendre, toujours,

Gardant au Créateur ton généreux concours.

Seulement, prends bien garde, France, d’être ingrate...

Si l’âme ne meurt pas, brisé, le cœur éclate...

France ! garde ton cœur bon, noble, fier et pur.

Garde-le de la fange. Et toujours, d’amour sûr,

Reste fidèle au Christ, qui te fit grande, France,

En t’accordant sur tous pays prépondérance.

 

Comme un jour, de l’Éden, on vit s’enfuir Adam,

L’âme lourde... étouffant... front triste et cœur saignant,

Pense à ton abandon, si Dieu ne te regarde !...

Prends garde de lasser ton Dieu, France ! Prends garde !

Pense à ce sombre exil parmi les Nations !...

En te voyant errer sans but : « Rions, rions ! »

Diront-elles en chœur... « Voyez France la Folle

» Qui passe !... » Et Dieu, que ce dur spectacle désole,

Détournera la tête... et, triste, gémira

Sur l’étrange démence où sa France tomba !...

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Écoutez, écoutez, Français !... Je vous conjure

De bien prêter l’oreille à la parole sûre

Du vieillard qui vous parle au nom du Dieu des Francs.

Recueillez ses conseils : Vous serez toujours grands

Triomphants par Dieu seul... Lui seul peut sauver France.

En Lui seul vous devez fonder votre espérance !...

(Solennellement) Devant mon œil, Français, Dieu jette l’avenir

Qui me fait, tour à tour, exulter ! et frémir...

 

     (Le regard inspiré, lumineux, le vieillard dit, d’une voix lente :)

 

...Tout d’abord je vois, là, le temps dur qui s’écoule ;

Charles Sept repoussant l’Anglais, que son pied foule.

Puis un long temps, où France a des lauriers posés

En masse sur son front par des Rois respectés !

Sans doute, quelquefois, un Souverain chancelle

Et sent faiblir son bras ; mais ton âme immortelle,

Ô France ! fait vibrer les fibres de son cœur.

S’il défaille, parfois... son vaillant successeur

Relève ta splendeur, et panse tes blessures.

Tu rayonnes toujours, France, de clartés pures !

Tu règnes sur le Monde. Et l’impuissant orgueil

Des Souverains rivaux s’incline sur le seuil

Du Palais de tes Rois... et tu reluis encore,

Terre sainte, que le soleil de gloire dore !

 

     (Le vieillard, tout à coup, s’arrête... secoué d’un grand frisson... se couvre la face... et pousse un long sanglot...)

 

...Mais que vois-je, Seigneur ?... Ah ! France !... est-ce bien Toi,

(D’un accent déchirant :) Que j’aperçois couchée... ensanglantée... Ah ! Toi !...

Ma Patrie !... oh ! ton cœur n’est que béante plaie

Dont le sang coule à flots !... en traçant large raie

Sur le sol détrempé !... Hélas !... un lourd poignard

Pèse dans ta poitrine !... (D’une voix brisée :) ô mon tremblant regard !...

L’Univers est dolent... son sang fuit par tes veines !...

France !... relève-toi !... car tout meurt de tes peines !...

 

     (D’une voix au timbre assourdi et chantant :)

 

                  ...Mais voilà ton âme au doux vol

              Qui plane... portant l’Espérance !

                  La voilà !... qui, du rouge sol,

              Te relève encor, pauvre France !

                        Sa main pure encor te guérit

                  Bien lentement... car la morsure

              De Satan qui souffle et rugit

              Toujours contre Toi, te fut dure...

 

     (Avec ardeur, amour et enthousiasme :)

 

Ah ! France ! Fille aînée et chie du Seigneur,

Satan, par tous moyens, veut te blesser au cœur.

Mais Jeanne d’Arc est là ! c’est ton âme immortelle ;

Ne crains rien ; confiante, endors-toi sous son aile,

Pauvre France blessée... ô mon pauvre Pays,

Que je vois, tout là-bas... sanglant, les flancs meurtris...

Mais tu sors de la lutte, et te remets à vivre ;

Tu respires encor le parfum qui t’enivre,

Cet encens coutumier de gloire et de succès.

À tes pieds, l’Univers vient prendre ses arrêts.

On te voit rayonner, plus belle et plus sereine ;

Tu prodigues au Monde un sourire de Reine.

 

     (Subitement terrifié de nouveau, le vieillard tremble et pleure.)

 

...Hélas !... pour ma Patrie, encor, je suis transi

D’une mortelle horreur !... Je sens mon front pâli...

 

     (Il passe sur son front moite une main défaillante et, d’une voix creuse et lamentable, continue.)

 

              ...Car je vois un temps sombre...

     (Avec une amère ironie :)

              Temps de Paix, cependant !

              Où le démon dans l’ombre

              S’abreuve de son sang...

              ...Tout l’Enfer se déchaîne,

              Se ruant aux combats,

              Et d’une lourde chaîne

              Charge ses nobles bras...

              Il la jette meurtrie,

              L’écrasant sur le sol...

              L’y maintient... engourdie...

              Pour éteindre son vol !...

     (Avec désolation :)

              C’est fini !... Désespère !...

              Dieu ne te connaît plus !...

              Son humide paupière,

              Hélas !... ne te voit plus !...

     (À la Foule :)

              Pleurez ! pleurez sur Elle...

              Français de ce temps-ci !...

              Lamentez-vous pour Elle !...

              Ce jour... Elle a fini...

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

 

     (Subitement le vieillard tressaille !... et, transfiguré, rayonnant, contemple le Ciel.)

 

...Mais soudain, dans les airs, passe un Ange rapide !

Il passe !... et l’Univers lui tend sa main avide !

Il passe !... et de la France a tressailli le cœur !

Il passe !... et le démon pousse un cri de fureur !...

Il vole d’un élan sûr, l’Ange de la France

Dont les battements d’aile éveillent l’Espérance !...

...C’est Jeanne la Pucelle, âme du doux Pays

Qui vient à son secours... Tous les regards ravis

Se tournent vers te Ciel...

                                          ...Jeanne passe et repasse,

En laissant en tous lieux sa lumineuse trace.

...Je la vois s’élancer au-dessus des moissons,

Et partout où son pied frôle les épis blonds

Refleurissent nos lys. Un souffle de vaillance

Redresse le front lourd du paysan de France,

Et dans son cœur il sent renaître un grand amour

Pour son Pays blessé... Puis, Jeanne fait le tour

Des villes et des bourgs. Elle entre en la demeure

Où le grave penseur travaille, oubliant l’heure,

Elle pose le doigt à sa tempe... et soudain

L’éclair patriotique allume un feu divin

En ce regard songeur. Jeanne déjà s’envole

Vers le poète doux et pâle ; une auréole

Illumine le front qu’effleure son doigt pur,

L’enthousiasme en sort ! Jeanne fuit dans l’azur ;

Passe et repasse ainsi partout. Dans la chambrette

Où rêve le jeune homme aux bras d’une fillette

Elle entre : « Eh ! quoi ! Français ! donne-moi ton bras blanc :

» De ce bras faible et mou jaillirait-il du sang ?...

» Tu t’engourdis... tu dors !... Et la France, ta Mère

» Se meurt !... sans que ta voix lui crie : ô France, espère !

» Me voici, ma Patrie ! avec mon jeune cœur

» Prêt à donner pour toi son sang et son ardeur ! »

...Le bras devient nerveux et fort. L’enfant se dresse,

Et se relève en homme, avide de prouesse !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Jeanne vole, et toujours, vole à chaque Français

Grand ou petit, pauvre ou richard, et toujours met

Sa main gente et divine à tout cœur qui palpite

Aussitôt, à ce pur contact ! L’honneur habite

De nouveau parmi nous... Elle dit : joie ! espoir !

En pressant fort les cœurs... pour tirer le sang noir

Des lâchetés d’antan !...

     (Avec ardeur, et d’une voix forte :)

                                         Ô Vous, Français, mes frères

De l’avenir lointain !... écoutez les prières

Du Peuple où la Pucelle a brillé d’un feu pur !

Satan, c’est l’ennemi vigilant, à l’œil dur,

Qui guette notre Foi pour la tuer en France,

Sachant bien qu’en la Foi gît la seule puissance,

Car la Foi, c’est la vie... Et les peuples païens

Sont tous morts ou mourants ; ou sont pris en liens

Honteux d’impureté, de cruauté féroce...

David, fort de sa Foi, renverse le Colosse.

Frères de l’Avenir !... Satan dresse un Bûcher

Pour y jeter vos saints... qu’il voudrait consumer

Et réduire en cendre. Or, Français, prenez garde !

Ne lassez pas ce Dieu qui, d’amour, vous regarde

Toujours !... Boutez Satan hors de notre Pays !

Soyez forts contre lui, pour demeurer bénis...

Frères ! gardez la Foi !... sans quoi France est perdue !...

(Grave et solennel :) Si vous perdez la Foi, Dieu tournera sa vue

Vers une autre Sion... vers un autre Israël

Qui saura conserver l’encens de son autel...

Français ! gardez le Christ ! qui tant aima la France !...

Français !... n’êtes-vous pas las de tant de souffrance ?...

Ralliez-vous au Christ ! Français de l’Avenir !

Et du mortel Bûcher vous verrez rejaillir

Une flamme très pure, ardente, magnifique,

Saluant France Reine ! et Reine pacifique,

De l’Univers entier... De ses divines mains

Le Christ, menant au But tous ses nobles desseins,

Réparera ses torts ; pansera ses blessures...

Enverra le bonheur dans ses moindres masures...

...Sus ! donc ! pour le Seigneur ! Français de l’Avenir !

En suivant Jeanne d’Arc, France ne peut périr !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

     (La Foule acclame bruyamment, les yeux levés vers le Ciel, comme en extase.)

 

Ô bel Ange envolé ! rayonnante Pucelle !

Guide vers son Destin notre France immortelle

Dans l’effrayant danger du terrible Avenir !...

(Avec un inexprimable enthousiasme.)

En suivant Jeanne d’Arc, France ne peut périr !

 

 

 

 

 

M. DUFRÉNOIS,

Jeanne d’Arc qui revient sauver la France et le XXe siècle,

d’après une antique prophétie, 1935.

 

 

 

 

 

 

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