L’inconnu

 

 

On entendait déjà l’écho des cloches du soir dans le village,

Les oiseaux en leur fatigue partaient aussi se reposer,

Il n’y avait plus dans les prairies que les grillons pour chanter,

Et du haut des montagnes les murmures de la forêt ;

C’est alors qu’apparut un voyageur dans la mer ondoyante des blés,

Il semblait arriver des plus lointains pays.

 

Devant sa maison, sous les feuillages en fleurs,

Un homme le convia à la joie d’un instant de halte ;

Sa jeune femme apporta du pain, du vin, des raisins,

Et s’assit, illuminée par les derniers reflets du soir,

À côté de lui, et le regarda, partagée entre la crainte et l’audace,

Un petit garçon bouclé riant sur ses genoux.

 

Il lui semblait l’avoir déjà vu jadis dans le village,

Et cependant son costume était si étrange, d’un autre pays,

On pouvait lire sur son visage un message brûlant,

Comme des éclairs au loin dans la chaleur d’une nuit paisible,

Et en rencontrant ses yeux elle se sentait presque envahie de peur

Car c’était comme regarder au plus profond du ciel.

 

Et tandis que la fraîcheur s’étendait parmi les ombres,

Le Vésuve, dont la fumée plane au-dessus des ruines,

La mer d’un bleu éclatant, où des cygnes glissent en chantant,

Des îles de cristal, surgissant des flots, couvertes de fleurs,

Et des cloches dont l’écho résonne dans les abîmes de la mer,

Apparaissaient, merveilleux, dans les récits du bel étranger.

 

« Tu as beaucoup appris, veux-tu voyager pour l’éternité ? »

Lui dit alors son hôte, plein d’une confiance amicale,

« Ici tu peux profiter des jours joyeux, comme les autres,

Tu peux planter un petit jardin près d’une maison qui t’appartienne,

Les filles des voisins possèdent des coffres emplis de richesses :

Repose-toi enfin, ton repos n’a pas à être solitaire. »

 

C’est alors que le voyageur se leva, des étoiles s’épanouissaient,

Surgissant déjà dans l’obscurité sur la campagne paisible ;

« Que Dieu vous bénisse ! ma patrie est bien loin d’ici. » –

Et lorsqu’il se détourna de ses deux hôtes

On entendit un écho divin venant de la clairière –

Aucune autre nuit encore n’eut tant d’étoiles.

 

 

 

Joseph von EICHENDORFF, Dernier retour,

Orphée / La Différence, 1989.

 

Traduit de l’allemand par Philippe Giraudon.

 

 

 

 

 

 

 

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