L’ami fidèle

 

 

C’était au jour fatal où, faite prisonnière,

Jeanne, dans son cachot, gisait sur une pierre.

Enchaînée, au milieu d’ennemis inhumains,

Elle eut peur, et pleura, la tête entre ses mains.

Combien elle était triste, ô mon Dieu ! combien lasse !...

Et seule, trois fois seule, en cette salle basse,

– Une ancienne écurie avec plafonds béants, –

« C’est assez bon pour toi, sorcière d’Orléans ! »

Oh ! comme elle était seule, à cette heure cruelle !

Pas un ami français pour souffrir avec elle !...

Mais voici qu’un rayon sur son cœur endormi

Tombe : elle se souvient qu’il lui reste un ami,

L’ami du crépuscule ainsi que de l’aurore,

Son cheval d’Orléans et de Compiègne encore.

Elle lève la tête et dit à ses geôliers :

« J’ai chambre de chevaux et non de chevaliers ;

Soit ! mais pour la meubler, je demande qu’on m’aille

Quérir en son hôtel mon cheval de bataille. »

Il entre, cet ami, ce tant vieux compagnon,

Et Jeanne alors crut voir s’agrandir sa prison.

Étendant les deux mains vers ce bon frère d’armes,

Elle eut comme un sourire au milieu de ses larmes.

Lui la salue encor d’un long hennissement.

Mais, voyant dans un coin jetés confusément

Le heaume, les brassards et l’armure si fière

Qu’il avait vus jadis vêtant la chevalière :

Devant cet abandon du glorieux harnois,

Aujourd’hui méprisé, si superbe autrefois ;

Devant ce cachot noir d’horreur et de détresse ;

Devant les pleurs versés par sa chère maîtresse,

Il comprend, le cheval de Reims et d’Orléans,

Que les jours sont finis des combats de géants,

Que son rôle est perdu, sa grandeur terrassée,

Et l’ère du bonheur à tout jamais passée.

Il reste là muet, immobile. Soudain,

Il hennit, – et ce fut un accent presque humain ; –

De ses grands yeux mouillés, tout remplis de tendresse,

Il regarde longtemps, tristement, sa maîtresse...

« Ah ! mon pauvre cheval, dit-elle : tu le vois,

Nous ne porterons plus ensemble le harnois.

Hélas ! c’est grand’pitié, mon bon ami, mon frère ;

Mais c’en est fait de nous : nous n’irons plus en guerre.

Ah ! le bon compagnon... il pleure... il a gémi... »

Ce fut son dernier mot à son dernier ami.

 

 

 

Émile J. EUDE.

 

Paru dans L’Année des poètes en 1895.

 

 

 

 

 

 

 

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