Le laurier-rose

 

 

Le vent soufflait sous un ciel noir,

Quand de ses souvenirs un soir

Une vieille femme, qu’on pense

De race indienne, me dit

Que de loin dans sa souvenance

Datait la légende qui suit :

 

« Quand la Louisiane espagnole,

Sommeillait sous la brise molle ;

Quand les souples forêts pliaient

Sous les mille fleurs des lianes,

Que les zéphyrs au loin portaient

Les fraîches senteurs des savanes ;

 

« Lorsque sous les bords escarpés

Du fleuve géant, loin groupés

On voyait légers, pleins de force

Des Indiens, jeunes et vieux,

Sur leurs légers canots d’écorce

Glisser sur les flots onduleux ;

 

« Quand pointait parfois une voile,

Les yeux sur cette blanche toile

La demandaient à l’Océan,

Dont alors il était avare.

Chacun se rendait d’un élan

Pour fêter l’évènement rare.

 

« Quand la ville aux rares maisons,

Dont on voyait les blancs pignons

Parmi de verts et frais ombrages ;

Et quand des fragments de tribus

Alors pittoresques, sauvages,

Dormaient sous ces arbres touffus ;

 

« Et lorsque de petites îles

Sur le fleuve aux ondes tranquilles

Flottaient en bouquets animés

D’insectes aux ailes de gaze,

Où des vers luisants enflammés

Brillaient de reflets de topaze ;

 

« Et lorsque les Opelousas,

Ainsi que les Attakapas,

Campagnes aux vastes prairies,

N’offraient en ces antiques temps,

Sur leurs rives toutes fleuries,

Que quelques rares habitants,

 

« Un petit lac en miniature

S’offrait au sein de la verdure :

On le nommait Catahoulou.

Ses bords aux fleurs toutes vermeilles

Encadraient ce joli bijou

Comme autant de fraîches corbeilles.

 

« Près de la ville de Saint-Martin

Et près d’un tortueux chemin

Peut-être le voit-on encore ;

Pays aux fleurs, aux magnolias,

Que le brillant soleil colore.

Là vivaient lors de fiers Chactas.

 

« Et lorsque la foi primitive,

Là, des chrétiens était naïve,

Alors il s’élevait parfois

Une petite église

Dont le frêle clocher en bois

Laissait partout jouer la brise.

 

« Et lorsqu’on prenait le pays

Des pauvres parias, jadis ;

Près de ce lac, une famille

Chérissant le nom espagnol

Élevait une jeune fille

Née indienne sur ce sol ;

 

« Mais elle savait que son père

Était blanc, car sa pauvre mère

Parlait à chaque instant du jour,

Dans ses tristesses, dans ses larmes,

De cet homme, son seul amour,

Brave soldat mort sous les armes.

 

« Aïta, c’est là qu’il rêvait,

Auprès des fleurs qu’il cultivait.

Regarde bien ce laurier-rose ;

Sous son ombre il te caressait ;

Te préférant à toute chose,

Et sous ses baisers te berçait !

 

« Et dans son sonore langage

Au bord du lac, sur le rivage,

Ce beau laurier était le lieu

Où, dès qu’allait poindre l’aurore,

Chaque jour il priait son Dieu,

Voulant aussi que je l’adore.

 

« Mais nos lois, pauvres Indiens,

Défendent le Dieu des chrétiens,

Hélas ! quand dans sa foi brûlante,

Comme un rayon qui resplendit,

Son front brillait – j’étais tremblante,

Et priais notre Grand Esprit !

 

« Je conjurais les regards sombres,

Craignant des noirs esprits, les ombres

De s’éloigner de lui, de toi ;

Quand sur cette terre indienne,

Vers cette croix, sa vive foi,

Voulait te faire une chrétienne.

 

« Mon Aïta, ne dors jamais

Sous ce laurier-rose, si frais ;

On dit qu’il donne la folie

Par des songes trop décevants ;

N’y reste jamais assoupie

Te laissant bercer par les vents.

 

« Parfois je m’y suis reposée,

Quand la terre était embrasée,

Vers le lac, je croyais te voir

Comme une ombre froide et livide,

T’agitant dans le désespoir,

Ta voix s’éteignant dans le vide !

 

« Mon Aïta, crois-en ma voix,

Évite avec soin cette croix

Où je te vois comme affaissée...

Car notre tribu te verrait,

Dans l’orgueil de sa foi blessée,

Peut-être elle nous trahirait. »

 

Aïta, la perle indienne,

Belle, indifférente, un peu vaine,

Sans rien entendre alors disait

Tout bas, son unique prière

Que l’écho parfois redisait,

Mêlée au doux nom de son père.

 

D’un pied léger, vers le matin,

Au village de Saint-Martin,

Du fond d’une petite église

Que des chants sacrés remplissaient,

Aïta se montrait surprise

Aux yeux des chrétiennes qui passaient.

 

« La perle indienne est bien belle,

Mais on la dit bien cruelle »,

Allaient disant les jeunes gens :

Sans rien entendre, la pauvrette

Disait dans son cœur les saints chants,

Pour emporter dans sa retraite.

 

De retour, la fleur du désert,

Était insensible au concert

De cette nature sauvage ;

Et son cœur sous une autre loi,

Caressait dans l’air une image...

Qu’embellissait encor sa foi.

 

Un soir, elle s’était assise

Devant la porte de l’église ;

Quand, dans ses plus blancs vêtements,

Apparaît un jeune et beau prêtre :

Aïta, de ses bras tremblants,

Voudrait retenir ce bel être !

 

Quand alors un calme regard

Tombe sur elle, par hasard,

Et soudain comme un trait qui vole,

Ce regard pénètre son cœur,

Doux, comme la voix qui console,

Parlant bas, d’un futur bonheur !

 

Aïta, toute à son pensée,

Emporte, en son âme oppressée

L’image et le regard serein...

Puis au désert, sa voix tremblante

L’appelle, et sur la croix soudain

Pose en pleurs sa tête charmante !

 

L’ignorante enfant des déserts,

Ne prévoyait point les revers

Qu’elle accumulait sur sa tête :

Car, vers cette croix, Hidelgo,

Entendant comme un chant de fête,

De prière, dit par l’écho ;

 

Hidelgo, le sombre sauvage,

D’Aïta reconnaît l’image

Que le beau lac lui réfléchit !

Il l’aimait ! – et sa main perfide

En évoquant le Grand Esprit,

Agitait son fer homicide.

 

Aïta pressait sur son cœur

Sans voir le sauvage, la fleur

À l’autel de la vierge, prise :

« Ô fleur cueillie un jour, par lui !

Puisse ici t’effleurant la brise

Lui porter mes pleurs, mon ennui !...

 

« Et puisse aussi, mon brave père,

Qui m’apprit ma seule prière,

M’inspirer si ma vive foi,

Doit un jour me faire connaître

De ce chrétien, et si je doi

Rendre sensible ce bel être ! »

 

Sa voix gémissante à l’écho

Torturait le cœur d’Hidelgo

Qui, tout plein de sa fureur sombre

Faisant de son crime un devoir

Quand le désert s’emplissait d’ombre

S’avançait doucement le soir...

 

Le laurier-rose, dès l’aurore,

Montrait sans vie, et belle encore

Aïta, l’enfant des déserts,

Sur la croix, où sa jeune tête

Penchait vers le lac aux flots verts,

Comme la fleur sous la tempête !

 

 

 

Émilie EVERSHED.

 

Recueilli dans Anthologie de la poésie louisianaise,

textes choisis et présentés par les étudiants de français

de Centenary College of Louisiana,

sous la direction de D.A. Kress et Rebecca Skelton,

Éditions Tintamarre, 2010.

 

 

 

 

 

 

 

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