Histoire d’une sainte
POÈME.
JOURNAL.
J’étais seule ce soir quand ma mère est venue.
Après avoir baisé deux fois ma tête nue
Et m’avoir de la main fait signe de m’asseoir,
Elle m’a dit : « Tu sais pourquoi je viens ce soir,
Mon enfant ; Dieu, vois-tu, sépare les familles,
Les enfants des parents et les mères des filles ;
Nous allons nous quitter, mon enfant... à jamais !... »
Et, folle, j’embrassais ma mère, et je pleurais.
Elle parla longtemps, elle dit que, naguère,
Quand le Seigneur voulut qu’elle connût mon père,
Elle était, comme moi, tout heureuse et croyait
Qu’un bonheur éternel sur elle et lui veillait.
Elle n’accusa pas mon père, – ce fut elle ! –
Elle me dit combien la patience est belle,
Combien dans cette vie il faut laisser souvent
Passer la volonté du plus fort en avant ;
Forte dans la douleur, prudente dans la joie,
Suivre sous l’œil de Dieu son devoir et sa voie.
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Je vais quitter ma mère !... ô non ! je ne peux pas !
Ma mère et Dieu, c’est tout ce que j’aime ici-bas.
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J’ai vu mourir un ange, une enfant, pauvre fille !
Pauvre épi de printemps tombé sous la faucille.
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Le soleil épandait ses rayons printaniers
Sur son pauvre lit blanc et jouait à ses pieds.
On voyait par la porte et la croisée ouvertes
Les maisons qui fumaient dans les campagnes vertes ;
Partout on entendait les angélus sonner,
Partout sentaient les foins qu’on venait de faner.
L’enfant me vit, m’offrit à baiser son front pâle,
Puis, tout à coup, la toux la surprit,... toux fatale !
Toux de sang !... Et pendant que son enfant toussait
Sa mère dans ses bras la prenait, l’embrassait !...
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Deux jours après, le soir, assis devant la porte,
Un enfant qui pleurait me dit qu’elle était morte.
On avait emmené la mère. En un drap blanc
On ensevelissait déjà la pauvre enfant.
Deux femmes lui mettaient, tristes, la robe blanche
Qu’elle portait l’été dernier, le beau dimanche
Où le village entier s’emplit de reposoirs,
Où l’encens épandu fume des encensoirs,
Ou les enfants choisis, en longues théories,
Répandent devant Dieu leurs corbeilles fleuries.
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Oh ! oui, j’irai demain à son enterrement.
Seigneur, auprès de toi, reçois la pauvre enfant.
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Hier, j’ai demandé mon sort aux pâquerettes.
J’ai voulu trop savoir : elles furent discrètes.
Pendant que je disais : « Il m’aime...un peu...beaucoup... »
La fleur entre mes doigts s’effeuilla tout à coup.
– Un souffle qui passait me l’avait défleurie. –
Après tout, dans les fleurs Dieu n’écrit pas la vie !
Non, je ne veux plus rien savoir ainsi des fleurs :
Pour qu’on les souffre mieux Dieu cache les malheurs.
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Seigneur, je ne sais rien, Seigneur, ta providence
Dans l’avenir qui vient est toute ma science.
Tu sais ce que mon cœur, Seigneur, a mérité,
J’accepterai mes maux ou ma félicité.
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Voilà bientôt huit jours que n’ont cessé les pluies ;
Les fleurs dans le jardin se sont toutes flétries.
Mon cœur est devenu triste comme le temps.
Pourtant, c’est le bonheur ! pourtant, c’est le printemps !
À rien, hélas ! mon Dieu, mon âme ne résiste.
Un rien l’a faite heureuse, un rien aussi l’attriste !
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Ne peut-il donc jamais entrer dans notre cœur
Un jour plus pur que l’autre... – un jour intérieur ?
Je veux refaire en moi ces trop faciles voies
Par où viennent mes maux, mes troubles et mes joies.
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J’ai raisonné mon cœur : – mon cœur m’a résisté.
J’ai soumis à mon Dieu mon désir révolté.
À quoi bon se changer ? à quoi bon le murmure ?
Puisque rien ici-bas ne survit et ne dure.
Attendons le moment où par l’autre effacé
Tout bonheur ou malheur rentre dans le passé.
Au courant inconnu confions-nous sans crainte :
C’est ainsi que notre âme est sage et se fait sainte.
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Il est là ! – tout le jour comme toute la nuit
Je n’ai su que penser et que songer de lui.
Pourtant... il a l’air triste !... on dirait qu’il s’ennuie !...
Peut-être, il me croyait meilleure, plus jolie !
Peut-être qu’il aimait... et qu’il se ressouvient !...
Oh ! non, tais-toi, mon cœur, tais-toi, ce n’est pas bien.
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J’ai promis au Seigneur, ce matin, à l’église,
D’être bonne, fidèle, indulgente, soumise ;
De ne jamais me plaindre ; et quand j’aurai mal fait,
Quand même il serait dur, quand même il m’en voudrait,
De prendre assez de force en mon cœur, en moi-même,
Pour lui dire : pardon, comme je lui dis : j’aime.
L’homme a la force, lui ! nous n’avons que le cœur ;
Mais aussi, la vertu pour nous c’est la douceur.
Oh ! oui, quand il pourra plus tard me mieux connaître,
Qu’il sera plus heureux,... il m’aimera peut-être !
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Comme vous êtes frais mes bouquets de muguets !
Allons, reposez-vous ici mes beaux bouquets.
Que l’esprit qui préside à vos senteurs m’inspire
Ces pages de bonheur que mon cœur veut écrire :
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Le soleil se levait au-dessus des grands bois
Quand nous sommes partis ce matin tous les trois.
Nous devions aller voir un vieux couvent gothique,
Aimé du voyageur, dont la ruine antique
Endormie aujourd’hui dans l’éternel repos
Mire son ombre blanche au fond dormant des eaux.
On dit que l’on a vu souvent par les nuits claires
De vieux moines couchés dans les cours solitaires,
Qui regardaient le ciel, et dont les ossements
Rendaient comme une plainte au passage des vents.
Nous sommes arrivés à l’heure où la nature
Partout au fond des bois éveillait son murmure ;
Où le brouillard léger, où chaque oiseau chantant
Épandait dans l’air vif sa rosée ou son chant.
Les herbes sous nos pieds étaient toutes mouillées,
Mille senteurs passaient ou tombaient des feuillées.
Par moment, sous le vent, les grands bruits des forêts
Éveillaient en sursaut tous les échos muets.
Un enfant qui passait par là, dans les falaises,
Descendit nous serrer plein son panier de fraises :
Ayant pour table l’herbe et pour toit les buissons,
Nous avons déjeuné couchés dans les gazons.
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Nous sommes restés là, gais, causant, jusqu’à l’heure
Où la nuit eût couvert la mystique demeure.
Nous, nous allions devant, ma mère nous suivait,
Et l’esprit des Amours sur notre esprit passait.
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Quel présage inconnu, quel rêve plein d’effroi,
Ô mon Dieu ! cette nuit, est descendu sur moi.
Je veillais... par moment, repassaient mes pensées,
Mais confuses, sans but, par le sommeil chassées ;
S’effacèrent bientôt les images, les bruits,...
Le sommeil me tomba pesant : je m’endormis !
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Voici ce que j’ai vu dans mon rêve, ô mystère !
J’ai vu... le long du lit glisser une vipère ;
Elle me regarda longtemps, bondit, siffla,
Puis tout autour de moi lentement s’enroula.
Je me sentais mourir !... Quand soudain, ô prodige !
Je ne sais quel esprit effaça ce vertige :
L’esprit silencieux qui préside au repos,
Fit naître un autre rêve et changea ce chaos :
Que vois-je ? le serpent à mes yeux se transforme,
C’était lui ! mais lui laid, mais lui vieux, lui difforme :
En vain je voulais fuir ; sous son toucher maudit
On eût dit qu’il m’avait attachée sur mon lit.
Par moment il s’ouvrait, souvenir qui m’effraie,
Tout le long de son corps hideux comme une plaie ;
Par moment il était comme surpris de froid,
Et pour se réchauffer il se serrait sur moi.
Moi je le repoussais,... je pleurais,... rêve étrange !
Auprès du lit voilà que j’aperçois un ange
Debout ; il étendait ses deux mains lentement :
« Dieu le veut ! obéis... Je te bénis, enfant. »
Et ma peur s’apaisa, puis je reçus cet homme
Dans moi, comme on reçoit un époux promis, comme
Un pauvre être que Dieu sans doute a châtié,
Qu’on ne peut point aimer, mais dont on a pitié.
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J’ai retrempé mon âme aux sources de la vie,
La crainte de ce rêve était une folie.
J’ai tout dit ce matin dans ma confession :
Dieu peut faire mentir l’esprit de vision.
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Enfin ! depuis ce soir me voilà fiancée !
Demain, à mon époux on m’aura mariée !
Il semble que ma vie a changé, que demain
Va naître un jour meilleur, plus pur et plus serein.
Oh ! comme on va s’aimer ! comme on va se le dire !
Devant, tout est heureux, tout me semble sourire ;
Et puis comme demain chacun va m’envier !
Que belle je serai sous mes fleurs d’oranger !
L’église va s’orner pour moi comme au dimanche ;
Ô déjà je me vois émue et toute blanche
À l’autel du Seigneur auprès de mon époux !...
Et Dieu pour nous bénir va descendre sur nous.
M’aimer !... Je veux tout faire, oh ! oui, tout pour qu’il m’aime,
N’est-il pas devenu la moitié de moi-même ?
Ne lui dois-je pas tout : amour, beauté, bonheur ?
Ne suis-je pas à lui de corps, d’âme, de cœur ?
Seule ne suis-je pas celle qu’il a nommée :
Épouse dans le ciel ; ici-bas bien aimée !
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À ma mère, ce soir, j’ai dit toutes mes craintes :
Comment il faut garder son âme et sa chair saintes,
Ce que l’on peut donner sans pêcher à ses sens.
Les mères doivent tout savoir pour leurs enfants.
Voici ce que ma mère a dit : « Pour être pure,
» Pour qu’il ne soit en nous ni péchés, ni souillure,
» Il ne faut que garder du mal sa volonté,
» Accepter la nature et son infirmité ;
» De tout scrupule vain défendre sa pensée.
» La pureté de l’âme, en nous, n’est effacée
» Que lorsque les sens dépouillant leur pudeur
» Ont révolté la chair et déréglé le cœur.
» Tout plaisir est permis et bon, nul ne le blâme,
» Quand il n’a point souillé l’intention de l’âme. »
Et ma mère longtemps, bien longtemps me parla,
Et la crainte en mon cœur se tut et s’envola.
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Voici ce que m’a dit mon livre de prière, :
« Femme, tu quitteras et ton père et ta mère
» À toujours, et partout, pour suivre ton époux.
» Tu feras ton cœur pur, content, soumis et doux.
» Contre sa volonté si ton vouloir s’élève,
» Si d’un autre bonheur ton cœur s’émeut ou rêve,
» Tu vaincras ton vouloir, ton rêve et ton désir.
» La vertu d’une femme, enfant, c’est obéir.
» Ton mari t’aimera. Dans tes jours de tristesse,
» Tu lui diras ta peine, ou le mal qui te blesse.
» Tu ne cacheras point, tu ne mentiras point :
» Tout ce qu’on veut cacher, Dieu, lui, le voit de loin.
» Tu garderas ton corps et ton âme sans tâche,
» Afin que tes vertus à son foyer l’attache.
» L’homme te donnera son conseil, sa raison ;
» Toi, tu feras bénie, heureuse sa maison.
» Ayant même bonheur, vous aurez même peine !
» Pareille au lierre vert qui s’attache à son chêne,
» Que rien ne peut ôter du tronc qui le défend,
» Qui prend vie à sa vie et meurt en l’embrassant. »
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Seigneur, mon cœur est-il encor digne de toi ?
Ai-je suivi, Seigneur, en tout ta sainte loi ?
L’ange qui me gardait enfant, qui me voit femme,
Seigneur, a-t-il rougi quand il a vu mon âme ?
Je sais bien qu’en ton ciel les anges n’aiment pas,
Esprits de pureté, comme on aime ici-bas ;
Mais on dit que le mal selon chaque être change :
Tu m’eus voulu comme eux, tu m’aurais fait un ange !
Sans frayeur dans mes bras j’ai reçu mon époux.
Dieu me l’avait donné, mon Dieu n’est pas jaloux.
Pourtant, je le sens bien, ce n’est pas là la vie,
Toute coupe de joie ici-bas a sa lie ;
Vide reste le cœur quand le plaisir passé,
Hôte trop inconstant, le quitte ou l’a lassé.
Non, tout l’amour n’est pas dans ces nuits de caresses !
L’âme humaine a besoin de plus saintes ivresses :
Dans ce bonheur qui passe et dure peu d’instants,
Notre âme veut sa part aussi bien que nos sens.
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Voici ce que je crois, et comment il faut faire
Pour garder ici-bas son cœur de la matière ;
Pour que pas un démon ne le puisse toucher,
Détourner son désir et le faire pécher :
Il est dans le bonheur des couches nuptiales,
Quand les anges cachant leurs têtes virginales
Se voilent ; un autre ange, un ange de beauté,
Qui n’a point devant nous caché sa pureté,
Ange invisible et doux qui porte à toute femme
Dans son premier bonheur le germe d’une autre âme.
Je crois que ce bonheur, qui nous donne un enfant,
Excuse la matière en la purifiant ;
Je crois aussi que Dieu condamne toute joie
Qu’un démon de plaisir détourne de sa voie.
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Pour ne jamais pécher je cherche tous les soirs
À m’expliquer ainsi chacun de mes devoirs.
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Plus de mère !.... Seigneur, vous m’avez tout ôté !
Plus de champs, de soleil, de douce liberté !
Ô mon toit paternel ! ô mes bois solitaires !
Voilà bientôt six mois qu’on est là ; ses affaires,
Ses amis, m’a-t-il dit, ses projets, l’avenir
L’appelaient à Paris : il a fallu partir.
Je ne sais plus comment se passent mes journées ;
Voilà six mois bientôt, – on dirait six années !
Encor s’il était là ? – mais le matin il part,
Il ne revient ici qu’au soir, souvent bien tard.
Je l’embrasse, je pleure : il me parle du monde,
Des chevaux qu’il achète ou qu’il vend ; il me gronde
Parce que je vis seule et que tout me fait peur.
C’est qu’il ne m’aime plus sans doute ! Ô mon bonheur !
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Il le veut... j’aimerai le monde davantage :
Peut-être il a raison. J’aurai plus de courage,
Je ferai ce qu’il veut. Pour lui, j’aimerai mieux
Ce monde où Dieu m’a mis puisqu’il le fait heureux.
Et puis ma volonté n’est-elle pas la sienne ?
N’est-ce pas mon devoir d’épouse et de chrétienne ?
Dieu me l’a défendu, Dieu ne m’a pas permis
De faire à ses vouloirs mon désir insoumis.
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Voilà huit jours qu’il est tout triste, il ne sort plus...
Sur lui, sur nous, mon Dieu, quels malheurs sont venus !
Je ne sais ce qu’il a... mais il souffre, il me cache
Une peine, un secret qu’il ne veut pas qu’on sache.
Quand je veux l’embrasser, l’aimer, le consoler,
Il me dit qu’il n’a rien et me fait en aller.
Pourtant, si je savais, si je pouvais connaître
Ce qui l’abat ainsi, ce qu’il souffre..... peut-être
Partageant ce malheur qui le vient affliger.
Partageant ce fardeau, je pourrais l’alléger.
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Je sais tout. Mais pourquoi me le cacher ? pourquoi ?
Pourquoi, déjà, mon Dieu, se défier de moi !
Ô tous ces biens, il peut, s’il les veut, les reprendre.
Il peut bien, s’il le veut, ne jamais me les rendre ;
Ne le savait-il pas ? – Pourquoi ne pas oser ?
Il savait que mon cœur ne peut rien refuser.
À quoi bon ces détours, ces craintes, ce mystère ?
Tout n’est-il pas commun entre nous sur la terre ?
Si nous sommes un peu moins riches tous les deux,
J’aurai fait mon devoir, et lui m’aimera mieux.
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Paris, – je te croyais la ville belle, heureuse,
Quand je songeais de toi j’étais toute joyeuse ;
Dans mes rêves déçus je ne voyais jamais
Que tes fêtes, tes bruits, tes splendeurs, tes palais.
..... Mon rêve est retourné sous le toit solitaire
Où j’ai vécu vingt ans, où j’ai laissé ma mère,
Où tous mes souvenirs, mon bonheur effacé
S’éveillent quand mon rêve auprès d’eux est passé.
Oh ! j’aime en ce chaos qu’on appelle le monde
À me ressouvenir de cette paix profonde,
À revoir en mon cœur en ces jours désolés
Ces autres jours d’hier revenus, envolés !
Là-bas, j’avais de l’air, du soleil, de la vie,
Chaque bruit à mes sens était une harmonie,
Chaque rayon du jour, dans ses flots de clarté,
Épandait sa chaleur et sa félicité.
Ici, – plus de soleil, ici, j’ai froid, je souffre !
On dirait que je suis tombée au fond d’un gouffre,
Tant le ciel paraît haut, tant l’air est lourd, malsain,
Tant on suit triste et las son aride chemin.
Leur Dieu n’est plus le Dieu qu’en mon esprit j’adore,
Moi, mon Dieu c’est celui qui naît avec l’aurore,
Qui donne à toute chose amour, bonheur, beauté,
C’est le Dieu des petits et de simplicité ;
C’est le Dieu qui nous aime et qui ne nous demande
Que l’amour pour vertu, que le cœur pour offrande ;
Dont le trône est au ciel, dont le temple est en nous ;
Dieu des déshérités, des simples et des doux.
Oh ! que j’aimais bien mieux les pensives églises
Des villages, des champs, modestes, toutes grises,
Les dimanches bénis pleines de paysans,
Avec tous leurs vieux saints et leurs clochers sonnants.
Chaque jour, quand j’allais chercher le pain de vie,
Rien qu’à voir la nature éveillée et fleurie ;
Devant ce Dieu du ciel comme devant un roi,
Mon âme s’exaltait et priait malgré moi.
Ici, – des temples grands, de hauts palais de pierre,
Mais, temples de l’orgueil plutôt que de prière,
Où l’esprit ne découvre en son recueillement
Que la splendeur du Dieu qu’on adore en aimant !
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Je me suis retirée au dedans de moi-même
Et j’ai vu que Dieu seul peut me comprendre et m’aime ;
Et j’écris, et je dis ces peines de mon cœur
À ces feuillets muets confidents de douleur.
Un jour intérieur de céleste lumière
Vient alors dans mon âme et l’exalte et l’éclaire ;
À peine ma prière a trouvé son sillon,
Que renaît le courage et la soumission.
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Non, je ne me plains pas, mon Dieu. La Providence
Sans doute a reconnu dans sa toute science
Qu’il est bon que le mal vienne nous éprouver.
La douleur nous retient de nous glorifier.
La douleur nous fait grands, meilleurs, plus que la joie !
J’accepte tous les maux, Seigneur, que tu m’envoies.
Quand nous avons souffert nous te comprenons mieux :
La douleur, sur la terre, est le chemin des cieux.
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Non, il ne m’aime plus, enfin, il me l’a dit.
Voilà donc à jamais mon rêve qui finit !
Oh ! comme j’ai pleuré !..... pourtant, je lui pardonne ;
Le malheur, c’est aussi mon Dieu qui me le donne.
N’avais-je pas de lui, pour lui, tout accepté ?
Mon Dieu sait mieux que moi ce que j’ai mérité.
S’il ne peut plus m’aimer, qu’importe, si mon âme
Peut taire son malheur et retenir son blâme !
Un jour viendra peut-être, où, vieilli, désolé,
Il redemandera son amour en allé.
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Encore un homme noir..... un inconnu..... – Que faire ?
J’ai signé. – Tout bientôt sera vendu. – Ma mère,
Ô je voudrais te voir, je te dirais mon mal.
Nous sommes tous les deux sur un chemin fatal !
Dire tout à ma mère ? oh mais c’est impossible !
Personne n’entrera dans ce secret terrible.
Qui nous consolerait ? qui nous soulagerait ?
Non, pas même ma mère..... elle l’accuserait.
Hier, on nous croyait riches, comblés de joie...
Riches !... – Il faut encore que demain on le croie !
Il faut que devant tous il marche le front haut.
Ô mon Dieu comment faire !... et pourtant... il le faut !
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La fièvre l’a surpris, – il n’a plus de courage.
Demain, j’irai chercher, pour vivre, un peu d’ouvrage.
Nous avons tout vendu, nos meubles, mes bijoux.
Mon Dieu qui nous voyez, mon Dieu, protégez-nous !
Pour ne pas l’effrayer, j’ai prévenu ma mère
Que nous aurions bientôt un long voyage à faire.
– Ainsi le voilà seul ! tout seul !... abandonné ! –
Il a fallu mentir, elle aurait deviné.
Après avoir vendu tout ce qu’on pouvait vendre,
Après avoir payé tout ce qu’on pouvait rendre, –
J’ai fait porter, le soir, dans un autre quartier,
Le peu qui nous restait de notre mobilier.
C’est là qu’il est malade, en une pauvre chambre,
Sous les toits, par le froid, dans le mois de décembre !
Nous n’avons plus qu’un lit maintenant pour nous deux.
Quand la fièvre le prend, je me couche... il est mieux.
Quand il est réchauffé, qu’il s’endort !... je me lève ;
Alors, je le regarde, et je pleure..... Ô mon rêve !
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J’ai couru tout Paris, – on ne me connaît point.
Tout le monde m’a dit : – « Allez chercher plus loin. »
Quelqu’un m’a demandé mon état, ma demeure,
Je n’ai jamais osé le dire. – Oh ! vois, je pleure,
Mon Dieu, vois, je n’ai plus de courage ! j’ai faim !
Mon Dieu ! mon Dieu ! fais-nous mourir tous deux demain.
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Hier, il était mieux. En ouvrant la fenêtre,
Nous vîmes le soleil entre les toits paraître :
C’était un de ces jours de précoce chaleur
Qui portent le repos et le courage au cœur.
Il regarda longtemps le soleil, les nuages
Qui passaient, emportés vers d’inconnus rivages.
Pour la première fois ses pauvres yeux ternis,
Étonnés, se perdaient dans ces flots d’infinis ;
Pour la première fois il découvrait peut-être
En cette immensité la présence d’un maître,
Que lui disait le ciel et le soleil de feu ?
Tout-à-coup il cria : J’ai vu Dieu... ! j’ai vu Dieu !
Et mettant sur ses yeux sa main pâle, amaigrie,
Il se cachait devant la vision bénie.
Puis il m’a demandé pardon en m’embrassant,
Et puis il a pleuré sur moi comme un enfant.
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Ce soir, un prêtre vient ; ce soir, il se confesse.
Ce jour efface seul tous mes jours de tristesse.
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Le voilà revenu. Dieu l’éclairé... Ô bonheur !
Aux sentiments du bien il a rendu son cœur.
Puis Dieu nous a bénis : j’ai trouvé de l’ouvrage,
Nous vivons, il est mieux, il a repris courage.
Le bon prêtre qui vint, vous savez, l’autre soir,
S’est souvenu de nous et vient souvent nous voir.
Les jours se passent courts et nous semblent des fêtes :
Bientôt nous n’aurons plus d’ennemis ni de dettes,
Car le prêtre, en partant tout à l’heure, a promis
Une place pour lui quand il serait remis.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Chaque soir, à genoux près du lit solitaire,
Nous remercions le ciel dans la même prière.
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Quelle nuit !... Ô mon Dieu, s’égare ma raison.
Où suis-je ?... Ah ! voilà donc ce qu’est une prison !
Ah ! c’est qu’ils me l’ont pris !... et je l’ai voulu suivre.
Qui d’eux l’aurait soigné ? qui d’eux l’aurait fait vivre ?
Oh ! je n’ai pas eu peur ! j’ai tant pleuré, prié,
Qu’ils m’ont dit : Suivez-le. Je leur ai fait pitié.
À cette heure où j’écris il dort ; la maladie,
La fatigue, ont fermé sa paupière assoupie.
Oh ! mon Dieu ! que va-t-il me dire en s’éveillant !
Que son sommeil soit long !... Prions en attendant.
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Ô miracle ! ô bonheur ! ô les douces paroles !
« Ma Sainte, m’a-t-il dit, comment, tu te désoles ?
» Dieu t’a donné pourtant plus de grâces qu’à moi :
» Femme, quand le malheur nous abat, ayons foi !
» Femme, mon cœur est fort devant ce sacrifice !
» Pour toi c’est la douleur, mais pour moi, la justice. »
Puis, baisant par trois fois mon front qu’il a béni,
Il reprit son extase et son rêve infini.
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Il est mort ! il est mort comme meurent les saints !
Il a pris, souriant, les célestes chemins !
Que vais-je devenir maintenant dans la vie !
Je suis lasse ! ma route est-elle enfin finie ?
Seigneur, ai-je achevé dans ce monde de pleurs
Ma couronne du ciel aux immortelles fleurs ! »
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Elle s’est retirée en un couvent austère,
Asile du malheur et séjour de prière.
Henry de FARÉMONT, Histoire d’une sainte, 1859.