Du fils au juif qui fut délivré du brasier

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

GAUTIER DE COINCY

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

IL Y AVAIT, dans une juiverie, à Bourges, un petit juif plus sage et plus beau qu’aucun petit juif. Aussi les clercs de la Cité le tenaient en grande estime. Il les accompagnait en classe et parce qu’il allait à leur école, son père souvent et durement battait sa chair tendre. Il ne laissait pas de persévérer et tant fit-il qu’un jour à Pâques, voyant communier plusieurs de ses amis, il se rangea parmi eux pour les imiter.

Or, une image grande et belle était taillée au-dessus de l’autel. Elle portait sur sa tête un voile et dans ses bras un enfant. Le petit juif, émerveillé, la contemplait, n’ayant jamais rien vu d’aussi délectable et il lui sembla, son tour venu, qu’en la place du prêtre la merveilleuse dame, descendant vers lui, prenait l’hostie consacrée puis, la posant sur ses lèvres, rassasiait ainsi son cœur.

Il s’en retourna le visage resplendissant d’un tel bonheur que son père, quand il l’aperçut, courut vers lui et l’embrassa.

– « Cette bouche, dit-il, ce front, cette face ? D’où vient, mon fils, que te voilà si beau ? »

Un enfant ne doit pas mentir et celui-ci de répondre :

– « Mon père, c’est que je viens de communier avec les clercs, mes compagnons. »

À peine eût-il achevé ces mots que le juif, furieux, le jeta rudement par terre et ameuta sa juiverie :

– « Tu vas voir, s’écria-t-il, furieux, en dépit des chrétiens et de leur église, ce que je sais faire de toi. »

Aussitôt, saisissant par les cheveux l’enfant qui se débat en vain, il le traîne vers le four, où, verrier, il cuisait son verre, et le précipite dans le brasier dont il alimente le feu des bûches les plus sèches qu’il puisse choisir.

 

 

 

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DU FILS AU JUIF DÉLIVRÉ DU BRASIER.

 

 

 

Mais il avait compté sans la mère dont on entendit bientôt les hurlements. S’arrachant les cheveux et battant des mains, elle court par les rues et soulève le peuple. En peu de temps, la ville entière était assemblée. Ils sont bien là dix mille qui, à leur tour, crient et mènent grand bruit. Le bois flambant est dispersé. Or, que trouve-t-on sur la braise ? L’enfant étendu comme sur un lit et intact du moindre cheveu jusqu’au vêtement.

Imaginez de quels accents fut loué le Seigneur Jésus par tous ceux qui le miracle virent. Ils se saisirent du chien qui avait montré cette rage, puis, l’ayant rossé congrûment, le lancèrent à son tour dans la fournaise qui, cette fois, sembla pétiller d’allégresse. Se rassemblant ensuite auprès de l’enfant, ils lui demandèrent, pleins de douceur, comment il avait pu ne pas rôtir au sein des charbons dévorants.

– « Ma foi, dit-il, la belle image qui, ce matin, me souriait en me communiant, est descendue avec moi dans le brasier. Elle m’entoura de son voile de sorte que je pus m’endormir sans éprouver nul dommage de la fumée ni du feu. Et j’ai si bien reposé que me voici aise et dispos comme jamais. »

Tous et toutes de pitié pleurent et remercient les mains jointes la belle Dame qui sut préserver, par un tel miracle, les jours de son jeune serviteur. L’enfant fut mené à un prêtre qui le baptisa au nom de la Sainte-Trinité ainsi que sa mère et de nombreux juifs, après un témoignage si évident, convertis à notre foi. Et comment d’ailleurs peut-il en rester un seul, obstiné dans son erreur, sourd aux appels, aveugle aux splendeurs et insensible à la toute puissance de Celle dont Dieu annonçait déjà la venue par les paroles suaves de son prophète Isaïe, et où Jésus-Christ devait prendre chair et sang d’un sein virginal ?

 

 

 

GAUTIER DE COINCY, Les plus beaux miracles de la Vierge,

recueillis et mis en français moderne par Gonzague Truc, 1931.

 

 

 

 

 

 

 

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