La première Église d’Athènes

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Émile GEBHART

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

SAINT PAUL sortit de l’Aréopage avec un grand trouble. Il venait de parler, devant les magistrats d’Athènes, du Dieu inconnu dont il avait rencontré la trace énigmatique gravée sur une stèle, dans l’ombre d’un portique. Longtemps il crut charmer ces beaux vieillards, car ils l’écoutaient curieusement ; mais quand il évoqua l’image de Jésus ressuscitant d’entre les morts, des rires discrets, puis un murmure d’impatience, enfin une clameur ironique arrêtèrent son discours.

« Nous t’écouterons un autre jour, quand nous serons de loisir, criaient-ils en se levant, car voici l’heure où les joueuses de flûte se font entendre sous les platanes de l’Ilissus. »

Et l’apôtre attristé, humilié, descendit vers la ville par le rude escalier taillé dans le roc, au plus près de l’Acropole.

C’était l’heure de midi. La lumière blanche, sereine, tombait du ciel pur sur les maisons blanches d’Athènes, les temples aux tons d’or fauve, sur la campagne assoupie. Paul leva les yeux vers l’Acropole et tout à coup, frappé d’éblouissement, courba la tête. Il se sentait comme accablé par la gloire religieuse d’Athènes. Une pensée amère lui venait à l’esprit. Jusqu’alors, il avait prêché la bonne nouvelle en des régions favorables, à Antioche, en Asie Mineure, en Chypre, en Macédoine ; il avait converti des Juifs qui, loin de Jérusalem, renonçaient volontiers au pharisaïsme mesquin de la Synagogue ; il avait converti des païens perdus au fond de provinces mortes et que tourmentait le désir d’une foi vivante. Il avait fondé des Églises et soutenu de grands combats ; il s’était vu tour à tour glorifié et lapidé. Mais il savait bien que la parole semée par lui, à tous les vents du ciel, sur ce vieux monde, porterait de belles moissons. Ici, au sanctuaire même de toute poésie et de toute sagesse, le petit Juif de Tarse découvrait une humanité très haute et très dédaigneuse qui ne voudrait point comprendre le mystère du Crucifié. On l’écouterait peut-être, prophète ingénieux d’un dieu moins effrayant que Sérapis ; il ne serait ni maltraité, ni emprisonné, ni chassé de la noble ville ; mais par quel miracle toucherait-il l’âme de cette race qui n’adorait que la beauté et n’ouvrirait jamais ses temples au dieu misérable, sanglant, au Dieu couronné d’épines, fouetté de verges et cloué au gibet entre deux voleurs ?

Paul marchait, parmi de petits jardins plantés de lauriers-roses, d’iris et d’aloès, où de fines statuettes de marbre, dieux familiers et charmants, apparaissaient, à demi voilées par des touffes de fleurs. Chemin faisant, il rencontrait de très jeunes hommes, des adolescents, des enfants, revêtus d’une légère tunique blanche, qui s’attachaient à lui et le criblaient de questions précipitées.

« D’où viens-tu ? Où vas-tu ? Jérusalem est-elle une ville aussi belle qu’Athènes ? Pourquoi les Juifs n’honorent-ils ni Apollon ni Aphrodite ? Es-tu l’ami de César ? Pourquoi as-tu abandonné le vieux dieu des Juifs ? C’était un dieu terrible, dit-on ; était-il aussi puissant que Zeus, aussi malicieux qu’Hermès, aussi vieux que Chronos ? Est-ce qu’il mourra, lui aussi, comme le Christ dont tu es le prêtre ? À quoi bon nous apporter un dieu qui n’est ressuscité qu’une seule fois ? Ne sais-tu pas que nous avions Adonis, Adonis de Byblos, toujours jeune, toujours beau, plus beau que les éphèbes de Praxitèle, qui meurt chaque année, renaît chaque année, avec les premiers asphodèles, et nous donne une fête éternelle ? »

L’apôtre, étourdi comme par le bourdonnement d’une nuée d’abeilles, ne répondait point ; mais, à chaque pas, grandissait son angoisse. Il eût préféré des railleries méchantes ou des injures. Athènes échapperait assurément à la prise de sa parole, car elle était trop caressante pour qu’il osât la maîtriser par la violence de sa foi. Un jeune garçon lui tendit en riant un bouquet de rouges anémones ; une jeune fille assise au pied d’un figuier, contre la margelle d’une citerne, jouait avec deux colombes aux ailes de clair azur ; elle sourit à l’étranger qui passait, tout en murmurant une chanson d’amour, éclose au temps de Sapho, sur les rivages baignés par la mer d’Ionie.

Paul, toujours suivi de cette blonde jeunesse, était arrivé au plateau solitaire du haut duquel les orateurs haranguaient la multitude mobile, au siècle déjà lointain de la liberté : il n’aperçut point le dé de pierre où Périclès et Démosthène s’étaient tenus debout ; il ne fit point lever en sa mémoire incertaine le fantôme de cette histoire que Rome avait mise au sépulcre ; mais il embrassa d’un long regard l’horizon d’Athènes, les montagnes et les temples, la plaine ensoleillée, et la mer scintillante, et la ville toute blanche dans la paix de midi. Il revit alors, comme en un rêve, la figure sévère de Jérusalem, la vallée rocailleuse et morne, les collines desséchées de la Palestine, l’austérité mélancolique de la terre sanctifiée par les pas de son maître. Il crut entendre une voix qui lui disait  :

« La religion que tu annonces est trop triste et trop chaste. Laisse à leur joie ces enfants, les derniers-nés d’un monde qui bientôt ne connaîtra plus la joie ! »

Et tout bas il répondit  :

« Seigneur ! c’est que j’aime ce peuple, et je voudrais vous donner son cœur. »

Les jeunes Athéniens, croyant que Paul était irrité contre eux, s’éloignèrent de lui. Lentement il remonta, au delà de la prison de Socrate, la colline aride où l’humble maison de son hôte s’élevait parmi les rochers.

Le vieil Énoch et son petit-fils Daniel attendaient leur ami sur le seuil du logis. Énoch était un scribe du Temple, affilié à la communion spirituelle de Paul ; il avait dû fuir la colère de l’Église de Jérusalem, l’Église étroite de la première heure, obstinément fidèle aux pratiques matérielles de la loi mosaïque. Avec l’âge, il était devenu aveugle ; mais il avait vu jadis Jésus face à face, il avait assisté au Sermon de la montagne, et, pour cela, Paul le vénérait.

Quand le voyageur apostolique eut conté l’échec de sa parole à l’Aréopage, quand il eut dit combien la grâce même de ses jeunes compagnons avait accru son découragement  :

« Ne renonce point à conquérir cette cité, répliqua le scribe. Son peuple est léger et ses magistrats n’entendent rien aux choses de Dieu ; mais ses philosophes, qui ne peuvent se mettre d’accord entre eux, sont prêts peut-être à recevoir la lumière du Christ. Dès que la brise de mer sera levée et rafraîchira la chaleur du jour, Daniel te conduira là-bas, au bord du Céphise, dans la compagnie des savants et des sages. »

Paul parcourut, guidé par Daniel, le quartier des artisans. À travers la campagne, sous les oliviers poudreux, il atteignit, au delà de l’Académie déserte de Platon, la région ombreuse et fleurie où les philosophes se rencontraient chaque jour pour interroger les grands mystères qui, depuis Parménide d’Élée, enchantaient la Grèce. Ils se promenaient gravement, par écoles, sous la feuillée des sycomores et des platanes ou le long des avenues de cyprès ; seuls, les épicuriens, accoudés ou couchés sur des tapis de pourpre syrienne, la chevelure couronnée de violettes, prêtaient nonchalamment l’oreille à la musique des flûtes, tout en buvant des boissons exquises. Les gestes de tous ces hommes étaient rares et mesurés, leurs paroles harmonieuses ; la douceur et l’orgueil reposaient sur leurs fronts. L’apôtre se vit brusquement jeté en présence de la sagesse païenne, de la raison humaine. Et déjà il regrettait les enfants qui, à midi, lui parlaient, avec une candeur si touchante, de Jérusalem et d’Adonis.

« Voici l’ambassadeur du dieu inconnu ! s’était écrié un jeune disciple d’Épicure quand Paul entra dans l’ombre du bois sacré. Venez à lui, vous tous à qui ne suffirait point l’Olympe du bon Homère, si fort encombré de dieux inutiles ! »

La plupart des philosophes consentirent à peine à tourner la tête vers ce petit Juif au visage blême que guidait un enfant timide. Les plus âgés, qui marchaient avec une pompe affectée, haussèrent discrètement les épaules ; mais quelques jeunes gens appelèrent à eux d’un signe de courtoisie le nouveau venu : c’étaient de simples sceptiques qui niaient tous les dogmes et raillaient la science de toutes les écoles. L’un d’eux dit à Paul :

« Ami, tu perdras ici ta peine, comme ce matin à l’Aréopage. Ces sages se croient les maîtres infaillibles de la sagesse. Aucun d’eux ne daignera seulement échanger avec toi quatre paroles. Car nous sommes des Hellènes, fils des dieux, les princes du genre humain, et tu n’es qu’un barbare, un juif, à peine un citoyen romain. Et puis, ta doctrine est trop dure à comprendre et irriterait tous nos docteurs. Les platoniciens, qui font cercle là-bas, près de la statue d’Athéné, n’accepteront jamais ta Raison divine, ton Verbe éternel incarné en un corps mortel. Ils pensent que Dieu est trop sublime pour s’abaisser ainsi vers la matière. Plus loin, les péripatéticiens te traiteront de fou quand tu leur vanteras la providence d’un Dieu artiste du monde. La pensée divine est, selon eux, trop pure pour aimer le monde qu’elle doit ignorer et ne connaîtra jamais. Et ceux-ci, qui semblent d’une humeur si farouche et ne boivent que de l’eau claire, ce sont les fils de l’austère Zénon. Ne va pas leur vanter, comme tu l’as fait devant nos magistrats, cette âme divine en qui nous vivons et respirons. Ils te répondraient qu’au contraire Dieu vit et respire en nous, c’est-à-dire en eux. Car chacun d’eux se considère comme roi et porte en sa poitrine l’âme de Zeus. Ces jeunes hommes couronnés de fleurs t’accueilleraient peut-être si tu voulais bien renoncer à la résurrection de ton Christ. C’est là une fable qui dérange le jeu de leurs atomes. Ils te lanceront à la figure leurs guirlandes de violettes. Quant à nous, ami, nous ne croyons qu’à une seule chose : c’est que rien n’est certain et que toute croyance est mensonge ou vanité. Adieu ! »

Paul s’inclina silencieusement, posa sa main sur l’épaule de Daniel et se retira, désespérant du salut d’Athènes.

Comme il passait près du village de Colone, il aperçut, assis sur les degrés d’une antique chapelle des Euménides, un vieillard majestueux, couvert d’un riche manteau de soie vermeille, la tête ceinte de bandelettes blanches :

« C’est Charmidès, dit Daniel, à qui les philosophes ont interdit l’accès de leur jardin. Car il les traite tous de rhéteurs ou de charlatans. Mais Athènes le respecte pour sa vertu. »

À la vue de Paul, Charmidès s’était levé et, tendant les mains vers l’étranger :

« Tu es le juif que cette cité ne veut pas entendre, dit-il. Moi je suis prêt à t’écouter. J’ai fréquenté toutes les sectes, étudié toutes les doctrines, et je suis las de la science. Depuis bientôt mille années, nos sages raisonnent sur toutes choses et sont impuissants à éclairer le problème souverain, le seul qui importe pour bien vivre, celui de la vie future. Tel que tu me vois, je viens chaque jour m’asseoir ici, à l’endroit même où OEdipe descendit vivant au pays des morts, au pays d’où personne n’est jamais revenu. J’ai beau prêter l’oreille : aucun bruit, soupir ne sort de cette terre mystérieuse où le roi aveugle s’est abîmé. Et cependant, j’ai soif de certitude. S’il est vrai que ta foi est une révélation d’immortalité, reçois-moi comme ton disciple et donne-moi une place parmi tes frères.

– Viens, répondit Paul, et je t’enseignerai la voie, la vérité et la vie. »

Tous trois ils reprirent le sentier d’Athènes. À quelque distance de la ville, un jeune homme et une jeune fille cheminaient devant eux. La jeune fille suppliait son compagnon. Celui-ci la repoussait doucement. Tout à coup elle s’enfuit, et ils comprirent qu’elle pleurait et se lamentait. Paul avait reconnu l’enfant qui, au midi de ce jour, caressait deux colombes sur le rebord d une citerne.

Le jeune garçon demeurait immobile, suivant des yeux la robe blanche et la blonde chevelure qui s’éloignaient dans la campagne.

« Encore une querelle d’amoureux, mon pauvre Phédon, dit Charmidès. Demain, tu porteras à la petite Psyché une coupe d’argent ciselé ou bien une abeille d’or pour fixer les bandelettes de sa coiffure, et Psyché séchera ses larmes.

– Non ! répondit Phédon. Éros a perdu son sourire. »

Il se tenait adossé au tronc d’un olivier, farouche et la face voilée de tristesse. Et, baissant la tête, il murmura :

« Je suis las de la volupté ! »

Alors Paul le saisit par le bras et dit seulement :

« Mon fils ! »

Phédon étonné regardait ce juif étrange, à la mine chétive, dont la voix était si impérieuse et si tendre à la fois.

« Tu ne me connais point, toi dont le dieu condamne le plaisir. Je suis le roi de la jeunesse folle d’Athènes. Phédon n’est pas digne d’être appelé ton fils.

– Mon Dieu a visité les hommes sous un visage mortel, afin de purifier le monde par sa miséricorde. Déjà il frappe à la porte de ton cœur. Laisse-toi séduire et consoler, mon fils ! »

Et Phédon se joignit au petit groupe, avec la docilité d’un enfant.

Sur la lisière du Céramique, des cris de douleur s’échappaient de l’atelier d’un potier. Un jeune esclave, à demi nu, la poitrine déchirée par le fouet de son maître, s’élança hors de la maison et tomba aux pieds de Charmidès. Il venait de briser par maladresse une amphore, et le potier l’avait châtié cruellement. Celui-ci courait sur les pas du misérable, tenant à la main une lanière rouge de sang. Charmidès l’arrêta d’un geste.

« Laissez-moi mourir, gémissait l’esclave, car ma destinée est trop lourde et je suis las de la vie.

– Je te prends et je te sauve, dit Paul. Je te remets au Dieu qui guérit toute souffrance, au Père céleste au nom duquel j’apporte à ceux qui pleurent l’espérance et la liberté.

– Cet homme est mon bien, dit le maître. C’est Phormion, mon esclave. Achetez-le ou je le garde. »

Phédon détacha de son cou un collier de pierres précieuses et le jeta au potier.

Le soleil se couchait derrière les roches de Salamine. À l’orient, l’Hymette se colorait de la teinte rose des fleurs du pêcher, tandis qu’au fond de la vallée le grand Pentélique semblait une améthyste colossale, toute pénétrée de lumière. Un long rayon d’or luisait sur Athènes. Le Parthénon rayonnait dans la gloire du ciel. Au pied d’Égine et des monts d’Argolide parés d’un magnifique azur, la mer frémissait, toute pâle. Au loin, sur les pentes de l’Acropole et la campagne sillonnée de grandes ombres bleuâtres, les cigales saluaient le déclin du jour.

L’Église chrétienne d’Athènes rentra au logis d’Énoch. Saint Paul s’assit avec ses néophytes sur la terrasse de son hôte. Il versa dans ces âmes endolories le baume d’une foi nouvelle et leur expliqua le secret de la rédemption.

« Demain, dès l’aube, dit-il, je partirai pour Corinthe. Dans cette ville, mes efforts seront plus heureux. Je vous lègue le soin de convertir Athènes. J’étais d’une race trop humble, et ma parole est trop inculte pour prêcher Jésus-Christ à la cité que charma Platon. Vous, mes frères, vous achèverez mon œuvre, avec l’aide de Dieu. »

Il appela près de lui Charmidès et Phédon et leur imposa les mains, à l’imitation du Seigneur.

« Charmidès, tu es le surveillant de la communauté, le premier évêque de la jeune Église, et voici Phédon, le premier diacre. Daniel et Phormion vous guideront, mes amis, chez ceux qui endurent la faim et pâtissent pour la justice, les chrétiens des jours à venir. Énoch, dont les yeux sont fermés à la lumière, vous soutiendra par sa sainteté. Il est le plus grand d’entre nous, lui qui entendit la voix de Jésus sur les collines de Galilée. »

La nuit était close, une nuit d’Athènes, chargée de fines senteurs, plus douce qu’une aurore. Dans les bosquets de l’Ilissus, les jeunes garçons dansaient au son des tambourins ; près du temple de Thésée, autour des feux de joie, chantaient les jeunes filles. Daniel dressa sur la terrasse la table du souper, au milieu de laquelle il posa une lampe d’argile. Paul bénit solennellement le pain et le rompit. La petite lampe solitaire éclairait d’une lueur vague, à la cime des rochers, entre la terre et le ciel, les figures pensives inclinées sur le berceau d’une chrétienté naissante.

À minuit, Paul se leva, ceignit ses reins, prit son bâton de voyage et descendit jusqu’au seuil de la maison. Là, il embrassa ses frères avec un grand amour.

« Vous ne verrez plus ma face en cette vie terrestre : au delà de Corinthe, Dieu me rappelle en Asie ; il m’attend, pour m’éprouver, à Jérusalem. À Rome, César est prêt à me donner le prix de mon apostolat. Mais je vous précéderai sur les parvis de la Jérusalem éternelle. »

Déjà il les quittait, quand ils entendirent un sanglot au fond des ténèbres. Et la petite Psyché, en robe de deuil, s’agenouillait douloureusement aux pieds de saint Paul.

Celui-ci fit un mouvement d’inquiétude. Près de lui, Phédon, troublé, avait frémi. Mais l’apôtre se souvint des miracles de la foi chrétienne à Antioche, la cité d’Apollon, et sous le ciel voluptueux de Chypre, l’île sainte d’Aphrodite ; il prit les mains de l’enfant et la releva.

« Psyché, dit-il, le Seigneur aurait eu pitié de toi. Calme ton chagrin. Voici désormais ta famille, qui répond à Dieu de la paix de ton cœur. Et puis, mon enfant, les jours de la tribulation sont proches pour nos amis, pour les amis de Phédon. La persécution passera sur cette cité, qui s’endort à cette heure dans la joie. Il y aura dans Athènes des orphelins à recueillir, des âmes très malheureuses à bercer. Tu seras, Psyché, l’ange consolateur de la nouvelle Église. En attendant, demeure ici, sous le toit d’Énoch aveugle ; tu le guideras par les chemins comme l’Antigone des poètes que tu aimes guidait son père Oedipe. »

La pensée d’imiter l’héroïne dont elle avait appris l’histoire au théâtre de Dionysos fit sourire la jeune fille. Et déjà elle ne pleurait plus.

La mission de Paul sur cette terre illustre était finie. Il s’enfonça dans le ravin escarpé qui, de la prison de Socrate, conduit à la route de Phalère. Son ombre disparut bientôt aux yeux de ses frères ; mais on entendit longtemps encore le bruit de son bâton contre les pierres du sentier. De loin en loin, un chien de berger aboyait sur son passage à travers les vignes de la vallée. Au petit jour, une barque sortit du port, emportant sous sa voile blanche les destinées du christianisme.

 

 

 

Émile GEBHART, Au son des cloches, 1898.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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