Le jour où Judas alla se pendre

 

 

Je les vis venir et baiser l’empreinte de ses pas.

Ils rampaient humbles et déférents sur la trace du sauveur.

Mais aucun ne jeta un regard d’ami à celui

qui sans répit avait veillé à ses côtés.

 

Et pourtant j’avais avec lui enduré faim et soif

et souffert sans une plainte intempéries et fatigue.

Mais il se peut qu’il m’ait semblé, parfois, secrètement,

bien dur de gagner la confiance du sauveur.

 

C’est que, je le sais bien, jamais je n’avais eu

des richesses d’ici-bas la moindre parcelle

et ne pouvais m’attendre à ce que le Seigneur

récompensât bien haut un service aussi piètre.

 

C’est pourquoi il y eut cela que je ne comprends pas :

que tout perplexe et pauvre que j’étais

quelque chose ait toujours suscité mon désir

et rendu si douteux l’accent de mes prières.

 

Et j’ai le mieux senti aux heures tentatrices

quand la beauté du monde aveuglait mon esprit

combien je regardais avec d’autres yeux que toi,

Seigneur, cette vie et tout ce qu’elle m’offrait.

 

Et puis il se révéla que ce n’était point

mon sort, ô mon sauveur, de te gagner des âmes.

Certes je ne t’aurais jamais sciemment trahi,

mais vinrent à moi de méchants hommes qui me tentèrent.

 

Ils me firent de grands honneurs, parlèrent de richesse

et de grandeur, spécifiant bien que tout cela j’en jouirais aussitôt.

Je sais, c’était bien plus que le Seigneur m’offrait

mais cela m’a semblé si long d’attendre le jour du jugement.

 

Ainsi j’en suis venu à trahir mon sauveur.

J’ai bien senti plus tard combien mes yeux avaient été aveugles,

mais il m’a trop manqué esprit et force pour souffrir

aussi amèrement qu’exige un tel péché.

 

Mais bien que soit mon âme aride et désertique,

il ne sera point dit que l’apôtre Judas

a cherché à se dérober au châtiment

ni qu’à lui-même il s’est caché l’horreur de son forfait.

 

Mon sauveur ! tu portes la douleur du monde et son péché,

mais le péché du monde est plus léger que ma misère.

Mais qu’un d’entre eux perpètre un crime au mien pareil,

alors indique-lui l’ultime voie qui fut la mienne.

 

Car tu es des bonnes gens le divin modèle

et pour eux me semble-t-il tu as prévu pour l’éternité.

Mais si d’autres devaient sombrer dans le péché,

qu’ils se joignent à moi et me suivent dans l’arbre.

 

 

 

Tómas GUDMUNDSSON, Poèmes islandais,

traduits par Pierre Naert, 1939.

 

 

 

 

 

 

 

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