La bouillie

 

 

Enfants, votre bouillie est prête, venez vite ;

Ne frottez pas avec vos manches la marmite,

Car vous voyez qu’elle est noire de tout côté ;

Oui, mais disons d’abord le bénédicité.

 

Mangez à votre faim et que ça vous prospère :

Le grain d’avoine fut semé par votre père ;

Mais rien sous le soleil n’avancerait d’un pas,

Si le père d’en haut ne le conduisait pas.

 

Or, ce grain farineux, mes chers petits, renferme

Sous son écorce grise, un invisible germe

Qui demeure en paix là, sans boire ni manger,

Jusqu’à ce que sous terre il aille se loger.

 

Puis, dès qu’il sent le chaud, ce germe se réveille,

Il tend ses petits bras joyeux et s’émerveille,

Et vous suce le grain, comme suce parfois

Sa nourrice un enfant... sans pleurer toutefois.

 

Puis après, cela prend bonne tournure et force ;

Tellement qu’un beau jour s’ouvre toute l’écorce,

Et que sous terre vont les racines, chercher

La sève qui bientôt doit tout faire marcher.

 

Car il lui tarde fort d’arriver sur la terre,

Ce qu’on y fait n’étant pour lui qu’un grand mystère,

Il guette donc et nul ne saurait concevoir

Dans quelle extase il tombe aussitôt qu’il peut voir...

 

Puis le Seigneur envoie un ange à face rose,

Un ange qui lui dit bonjour, et qui l’arrose,

Et le germe charmé par ce double bienfait,

Se met décidément à grandir tout à fait.

 

Puis le soleil le peigne avec amour et gagne,

Son brûle-gueule en main, le haut de la montagne,

Pour le couver des yeux, de là tout en fumant,

Comme une mère couve un nourrisson charmant.

 

Et le germe en ressent vite une joie extrême...

Drôle d’homme, à coup sûr, mais bien bon tout de même,

Qui fume tant et tant, que vraiment j’ai bien peur,

De voir tout aujourd’hui se couvrir de vapeur.

 

Quelques gouttes d’abord tombent, puis vient la pluie,

Le germe en boit un peu, puis un vent chaud l’essuie,

Et le gaillard se dit, prêt à bien soutenir

L’assaut : – Voyons comment tout cela va finir... –

 

Mangez mes chers petits et que ça vous prospère...

Aux premiers froids le germe enfin se désespère,

En voyant le soleil s’éteindre, et le passant

Souffler sur ses gros doigts rougis qu’à peine il sent.

 

Puis il vient de la neige à faire une avalanche,

Et le germe, en voyant la terre toute blanche,

Regrette, mais trop tard, son premier gîte, et croit

Que le soleil est mort, ou qu’il a peur du froid.

 

– Ah dans mon petit grain, sous la terre échauffée,

Qu’il faisait bon, dit-il, d’une voix étouffée. –

Pour gagner de l’argent, hélas ! quand vous allez

Bien loin, n’est-ce donc pas ainsi que vous parlez ?

 

– Qu’il faisait bon chez nous, derrière le gros poêle,

Dites-vous, vers ma mère au tablier de toile. –

Mais patience, il vient du calme après le vent,

Et tout se trouve aller pour le mieux bien souvent.

 

Au retour du printemps la glace enfin se brise,

Le soleil se remontre et sous la chaude brise

Qui voyage à travers les vallons et les bois,

Se ranime à son tour notre germe aux abois.

 

Puis on voit, parles prés, de belles grappes blanches,

Les cerisiers joyeux garnir toutes leurs branches,

Et l’avoine se dit en sentant tout grandir :

– Dam ! il faudrait peut-être aussi nous dégourdir... –

 

Et voilà qu’il lui vient des feuilles d’où s’élance

Radieux chaque épi que la brise balance...

Or, dites-moi, qui peut ainsi les attacher

Tout en haut, ces boutons qu’on n’ose pas toucher... ?

 

Ce sont bien sûrement les anges, bons apôtres

Qui tiennent les épis les uns après les autres,

Et l’avoine en devient belle finalement,

Comme une fiancée, au jour du sacrement.

 

Puis la fleur s’étiole et le vent la disperse,

Puis un petit grain long sous chaque bouton perce ;

En sorte qu’à la fin notre avoine a compris

Qu’elle renferme en soi quelque chose de prix.

 

Le soir à la veillée, en galants subalternes,

Les vers luisants avec leurs petites lanternes,

S’en viennent la trouver à travers les sillons,

Sitôt que sont allés se coucher les grillons...,

 

Bientôt d’excellent foin chaque grange regorge,

Puis c’est le tour du blé, des seigles et de l’orge,

Et les enfants s’en vont, les pieds endoloris,

Glaner par la campagne, ainsi que les souris...

 

L’avoine cependant devient blanche et déplie

Tant de grains farineux que la pauvrette ploie,

En disant : – Que ferais-je ici, si je n’avais

Pour voisins, cet hiver, que ces tristes navets !

 

Or, par un beau matin la famille est allée

La faucher, puis on l’a, sur la grange étalée,

Et quatre lourds fléaux ont dessus rebondi,

Depuis le point du jour, jusqu’à l’après-midi.

 

Puis l’âne du moulin vient jusqu’à notre porte,

La chercher pour la moudre et vite la rapporte...

Et je vous en ai fait cuire avec du bon lait

Tout frais, qui, sans mentir, de la crème valait.

 

N’est-ce pas que c’est bon ? Remettez à leur place

Vos cuillères, prenez vos sacs et... vite en classe !

Tachez de n’y pas trop faire les étourneaux,

Et quand vous reviendrez vous aurez des pruneaux.

 

 

 

Jean-Pierre HEBEL.

 

Traduit de l’allemand par Max Buchon.

 

 

 

 

 

 

 

www.biblisem.net