L’étoile du matin

 

 

Où courez-vous si tôt, belle petite étoile,

Avec ces cheveux d’or qui flottent comme un voile,

Et cette longue robe, et ces beaux grands yeux clairs,

Tout moites de rosée et tout brillants d’éclairs ?

 

Vous croyiez être seule ?... Oh ! non : depuis une heure,

Nous fauchons ici, nous ; moins au lit on demeure,

Et plus, dès le matin, l’on est dispos et frais,

Et la soupe en devient toujours meilleure après.

 

Il est des paresseux qui dorment sans relâche,

Et qui se lèvent quand du lit on les arrache.

L’étoile et le faucheur s’arrangent autrement,

Et l’œuvre du matin trouve au soir son paiement.

 

Tous les petits oiseaux, par bande émerveillée,

Se disent dès longtemps bonjour sous la feuillée ;

La tourterelle rit et pleure tour à tour ;

Et la cloche, elle aussi, s’éveille dans sa tour.

 

Jusqu’à la noire nuit, que le bon Dieu nous garde !

On est toujours bien, tant qu’on l’a pour sauvegarde.

D’ailleurs, à tout hasard, nous ne lui demandons

Qu’un bon cœur, car c’est là le premier de ses dons !

 

Cette étoile en voudrait trouver une comme elle,

Pour vivre à ses côtés, en bonne sœur jumelle ;

Mais le soleil, son père, à qui elle déplaît,

La remet, quand il vient, sous clef comme un poulet.

 

Voilà pourquoi, Jacob, cette pauvre ingénue,

Poursuit, avant le jour, sa jumelle inconnue,

Prête à solder, au prix de l’or et de l’argent,

Quelque baiser de sœur bien doux et soulageant.

 

Au moment où sa main va l’atteindre, son père,

Que sa fuite soudaine et furtive exaspère,

Crie : – Oh ! de mon enfant, qu’ont-ils fait, les démons ? –

Puis il s’en va guetter par-derrière les monts.

 

Quand l’étoile aperçoit son père, toute blême,

Elle tombe, en faisant, à l’étoile qu’elle aime,

Ses adieux... – Hâtez-vous, étoile du matin,

Car votre père guette à l’horizon lointain ! –

 

Tiens, vois, dans sa splendeur comme se tranquillise

Le soleil en dorant le clocher de l’église,

Et comme son éclat vient, par monts et par vaux,

Répandre la gaîté sur nos rudes travaux.

 

La cigogne, au sommet des maisons ruinées,

Polit son bec ; partout fument les cheminées :

Le volant du moulin tourne au courant de l’eau,

Et le coupeur s’épuise autour du vieux bouleau.

 

Qui peut donc traverser si tôt la plaine verte,

Une corbeille au bras, d’un linge blanc couverte ?

C’est la soupe ! Ce sont les tourneuses de foin...

Marianne est devant, et me sourit de loin.

 

Si j’étais le garçon du soleil, d’un pied leste,

Je quitterais, par Dieu ! son domaine céleste

(Dût-il en maugréer de là-haut, tous les jours)

Pour suivre pas à pas Marianne toujours.

 

 

 

Jean-Pierre HEBEL.

 

Traduit de l’allemand par Max Buchon.

 

 

 

 

 

 

 

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