Le revenant

 

 

Il est des revenants, c’est chose incontestable ;

Après avoir trop bu le soir à quelque table,

Revenez de Kandern et vous rencontrerez

Un bois, où, j’en suis sûr, vous vous égarerez.

 

Là jadis on voyait une simple chaumière,

Qu’habitaient un enfant, un chat, une fermière ;

Le mari, vieux soldat sans peur et ans remords,

Aux champs Heltelingen avait trouvé la mort.

 

Lorsque sa pauvre femme en reçut la nouvelle,

Elle voulut d’abord se briser la cervelle ;

Pourtant elle reprit son enfant dans ses bras,

En lui disant : – C’est toi qui me consoleras... –

 

Cela n’est pas manqué ; mais, comme au coin de l’âtre,

Filait un beau lundi cette mère idolâtre,

Elle appelle son fils, le croyant dans la cour,

Puis sort et l’aperçoit sur le sentier, qui court...

 

Or, par ce sentier même un homme en pleine ivresse

Revenait de Kandern... la mère en vain s’empresse,

Pour sauver son enfant de ce rustre grisé...

Avant qu’elle y parvint il était écrasé...

 

Pour lui dans la forêt, voilà donc qu’elle creuse

Une fosse et s’assied dessus, la malheureuse !

En disant : – À bientôt, mon amour. – En effet,

Deux ou trois jours après, d’elle c’en était fait.

 

Son corps s’anéantit au souffle de la brise,

Mais son âme resta sur cette fosse assise,

Et, bien que les buveurs n’aiment pas trop cela,

Pour venir de Kandern il faut passer par là,

 

Et quand par ce sentier se montre quelque homme ivre,

Le fantôme l’empêche aussitôt de poursuivre,

Et l’égare au besoin, ne permettant jamais

Qu’on touche à ce tombeau, son seul bien désormais.

 

Alors de mieux en mieux l’ivrogne se fourvoie,

Tout en se répétant : – Voici la bonne voie... –

Puis le chat miaule et lui, tout rassuré qu’il est,

Prend cette voix de chat pour celle d’un poulet.

 

Le voilà donc qui fait des courbes sans pareilles,

Toujours avec ce cri de chat par les oreilles ;

Puis au moment qu’il croit chez lui rentrer bientôt,

Il va heurter du front l’auberge de tantôt.

 

D’autres rois cependant cette route est hantée

Par des gens sobres, dont n’est pas épouvantée

La pauvre mère qui murmure en étouffant

Ses soupirs : – De ceux-ci ne crains rien, mon enfant... –

 

 

 

Jean-Pierre HEBEL.

 

Traduit de l’allemand par Max Buchon.

 

 

 

 

 

 

 

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