Le jeune homme sauvé
PARABOLE
par
Johann Gottfried von HERDER
C’EST un grand bonheur de trouver une âme pieuse ; un plus grand encore est de la conserver ; et le plus grand et le plus honorable, de sauver celle qui était déjà perdue.
Saint Jean, au retour de Pathmos, redevint ce qu’il fut, le pasteur de ses troupeaux ; il leur donna des gardiens pour veiller à leur salut.
Dans la foule, il vit un beau jeune homme ; une santé joyeuse brillait sur son visage, et l’ardeur sainte de son âme se montrait dans ses regards.
« Veillez bien sur ce jeune homme, dit saint Jean à l’évêque, votre fidélité m’en répondra ! Que l’Église soit témoin de votre promesse devant Jésus-Christ ! »
L’évêque prit le jeune homme avec lui, l’instruisit, et vit fleurir les plus beaux fruits de la sagesse ; mais se fiant à sa vertu, il relâcha de sa sévère vigilance.
La liberté fut un piège pour le jeune homme ; séduit par de tendres flatteries, il devint oisif, goûta la volupté ; une fraude heureuse lui plut, il voulut gouverner. Il rassembla des compagnons, s’enfuit avec eux dans une forêt voisine, et se fit chef de brigands.
Saint Jean, revenant dans cette contrée, sa première question à l’évêque fut : « Où est mon fils ! – Il est mort, dit le vieillard en baissant les yeux. – Quand et comment ? – Il est mort pour Dieu ; il est (je le dis avec larmes) chef de brigands ! »
« Je réclamerai un jour de vous, dit Jean, l’âme de ce jeune homme ! Ou est-il ? – Là, sur cette montagne. – Il faut le voir. »
Saint Jean, s’approchant de la forêt, fut saisi par les brigands (c’est ce qu’il voulait). « Menez-moi, leur dit-il, à votre chef. »
Et il parut devant le jeune homme. Celui-ci se détourna ; il ne put supporter ses regards. Saint Jean lui dit : « Ne crains pas, ô jeune homme, ô mon fils, ton père désarmé, un vieillard ! Je t’avais promis mon Dieu, et il faut que je lui réponde de toi ! Si tu le désires, je puis mourir pour toi, mais te quitter, jamais ! Je m’étais fié à toi, et j’ai engagé pour ton âme le salut de la mienne. »
Le jeune homme embrassa le vieillard attendri, puis il se couvrit la figure, resta penché vers la terre ; et, pour toute réponse, un torrent de larmes se précipita de ses yeux.
Jean s’agenouilla, embrassa tendrement le jeune homme, l’emmena loin de la forêt, et purifia son cœur avec la flamme de l’Évangile.
Ils vécurent ensemble de longues années, et l’âme pieuse de saint Jean devint celle du jeune homme.
Dites-moi quelle était la force qui triompha ainsi de l’âme du jeune homme, et qui, la retrouvant une seconde fois, la sauva pour jamais ? – C’était la foi, l’amour, la vérité !
Johann Gottfried von HERDER.
Traduit de l’allemand par M. Spoerlin.
Paru dans les Annales romantiques en 1825.