Les enfants assistés

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Francis JAMMES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À Monsieur Henri Duparc.

 

 

UN jour les âmes des enfants assistés crièrent vers Dieu. C’était par un soir orageux que leurs fièvres et leurs plaies les faisaient souffrir davantage. Ils étaient blancs de douleur, dans les lits alignés au-dessus desquels la science ignoble avait étiqueté leurs maladies.

Ils étaient tristes, tristes, car c’était un jour de fête. Leurs petits bras étendus sur les draps, ils palpaient, de leurs mains transparentes, les minces jouets que de grandes dames pieuses leur avaient apportés. Et ils ne savaient même pas l’usage de ces jouets. Un président de la République était venu les visiter, et eux n’avaient pas compris.

Leurs âmes crièrent vers Dieu. Elles disaient : Nous sommes les filles de la misère, de la scrofule et de la syphilis. Nous sommes les filles des filles.

Moi, disait l’une, j’ai été repêchée dans des fosses d’aisance où ma mère, une bonne d’auberge affolée, m’avait jetée. Moi, disait une autre, je suis née dans un enfant à tête énorme qui a un trou rouge au front. Mon père a tué ma mère et il s’est tué.

Elles disaient encore :

Nous sommes les survivantes des avortements et des infanticides. Nos mères sont en carte. Nos pères se promènent en riant, un cigare à la bouche, dans le tumulte des Agences et des Bourses. Nous sommes nés comme des rois, avec une couronne au front, une couronne de roséole.

Et Dieu, les entendant crier, descendit vers ces âmes. Il pénétra dans l’hôpital des douleurs surhumaines et, à son approche, les tisanes des bonnes sœurs fumèrent comme des encensoirs à côté des enfants martyrs. Et ceux-ci se dressèrent sur leurs minces couchettes comme des fleurs blanches et lassées.

Et le souverain Maître leur dit :

Me voici. J’attendais votre appel pour condamner ceux qui vous ont fait naître. Quel supplice réclamez-vous pour eux ?

Alors les âmes des enfants pareils à des liserons des haies chantèrent.

Elles chantaient :

Gloire à Dieu ! Gloire à Dieu ! qu’il pardonne à ceux qui nous ont fait naître. Qu’il nous conduise un jour au Ciel auprès d’eux.

 

 

Francis JAMMES, Le roman du lièvre, 1946.

 

 

 

 

 

 

 

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