Le paradis

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Francis JAMMES

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À la mémoire de mon père.

 

 

LE POÈTE regarda ses amis, ses parents, le prêtre, le docteur, le petit chien qui étaient dans la chambre, et mourut.

Sur un morceau de papier, on écrivit son nom et son âge; il avait dix-huit ans.

En le baisant au front, ses amis et ses parents éprouvèrent qu’il avait froid, mais il ne sentit point leurs lèvres parce qu’il était au ciel. Et il ne se demanda point, ainsi qu’il l’avait fait étant sur la terre, si le ciel était comme ceci ou comme cela. Puisqu’il y était, il n’avait pas besoin d’autre chose.

Sa mère et son père qui étaient, oui ou non, morts avant lui, vinrent à sa rencontre. Ils ne pleuraient pas plus que lui, car tous trois ne s’étaient jamais quittés.

Sa mère lui dit :

– Mets le vin à rafraîchir, nous allons dîner tout à l’heure, avec le Bon Dieu, sous la tonnelle du jardin du Paradis.

Son père lui dit :

– Tu iras là-bas cueillir des fruits. Aucun n’est du poison. Les arbres te les tendront d’eux-mêmes, sans que leurs feuilles ni leurs branches souffrent car ils sont inépuisables.

Le poète fut rempli de joie en connaissant qu’il avait à obéir à ses parents. Lorsqu’il fut revenu du verger et qu’il eut plongé les carafes de vin dans l’eau, il vit sa vieille chienne, morte avant lui, accourir doucement en faisant aller la queue. Elle lui lécha les mains et il la caressa. Il y avait près d’elle tous les animaux qu’il avait le plus aimés sur la terre : un petit chat roux, deux petits chats gris, deux petites chattes blanches, un bouvreuil, deux poissons rouges.

Et il vit la table servie où étaient attablés le Bon Dieu, ses père et mère, une belle jeune fille qu’il avait aimée ici-bas et qui l’avait suivi au ciel, quoiqu’elle ne fût pas morte.

Il connut que le jardin du Paradis n’était autre que celui de sa maison natale, lequel est sur la Terre, dans les Hautes-Pyrénées, tout plein de lis communs, de grenadiers et de choux.

Le Bon Dieu avait posé à terre sa canne et son chapeau. Il était habillé comme les pauvres des grandes routes, ceux qui ont un morceau de pain dans un bissac, et que la magistrature fait arrêter à la porte des villes, et mettre en prison, parce qu’ils ne savent pas signer. Sa barbe et ses cheveux étaient blancs comme la lumière du jour, et ses yeux profonds et noirs comme la nuit. Il dit, sa voix était douce :

– Que les anges viennent et nous servent, puisque leur bonheur est de servir.

Alors, de tous les coins du verger céleste, on vit accourir des légions. Elles étaient les domestiques fidèles qui, sur la Terre, avaient aimé le poète et sa famille. Il y avait le vieux Jean qui s’était noyé en sauvant un petit garçon; la vieille Marie qui était morte d’une insolation; il y avait Pierre le boiteux, Jeanne et encore une autre Jeanne.

Et alors le poète se leva pour leur faire honneur et leur dit :

– Asseyez-vous à ma place, vous devez être près de Dieu.

Et Dieu sourit, sachant d’avance leur réponse :

– Notre bonheur est le service; nous sommes ainsi près de Dieu. Toi-même, ne sers-tu pas tes père et mère ? Eux, ne servent-ils point Celui qui nous sert ?

Et, tout à coup, il vit que la table s’étant agrandie, des hôtes nouveaux y siégeaient. C’étaient les père et mère de sa mère et de son père, et les générations qui les avaient précédés.

Le soir tomba. Les plus âgés sommeillèrent. Le poète et son amie s’aimèrent. Mais Dieu, qu’ils avaient accueilli, reprit son chemin, pareil aux pauvres des grandes routes, ceux qui ont un morceau de pain dans un bissac, et que la magistrature fait arrêter à la porte des villes, et mettre en prison, parce qu’ils ne savent pas signer.

 

 

Francis JAMMES, Le roman du lièvre, 1946.

 

 

 

 

 

 

 

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