La traque funèbre

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

Marcellin LAGARDE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   Truth is strange, stranger than fiction.        

La vérité est étrange, plus étrange que la fiction.

BYRON.            

 

 

L’histoire que j’ai à raconter aujourd’hui me vient d’une source bien différente de celle où se puise d’ordinaire la légende rustique ; je ne l’ai pas recueillie, comme la plupart de ses aînées, en devisant sur les plateaux couverts de bruyère avec le herdier rêveur, dans les prairies avec la joyeuse vachère, au coin du feu avec la vieille fileuse, dans les sillons avec le laboureur sentencieux, au cabaret avec le buveur loquace. – Non, je dois la Traque funèbre à une bonne fortune tout à fait exceptionnelle et qu’il importe que je fasse connaître d’abord :

Après une longue chasse... aux souvenirs, j’étais revenu, assez léger de butin, dans mon village natal, à Sougnez, lorsque, au débotté, on m’apprit qu’un ancien serviteur de ma famille, Bertrand Bonhomme, venait de retrouver, par un singulier hasard, un registre « tout plein de détails plaisants », ayant appartenu à son père, jadis greffier de la justice seigneuriale de Remouchamps. Ce registre, placé en travers du siège d’un antique fauteuil, – pour tenir lieu sans doute d’une planchette absente, – avait été recouvert avec celui-ci, et c’est l’usure de l’étoffe qui l’avait mis au jour, après une éclipse quasi-séculaire. Je m’empressai de me rendre chez le bon vieux Bertrand, qui, après avoir mis, par toutes sortes de petites taquineries, ma patience à une longue épreuve, m’exhiba enfin le précieux in-folio. Je le saisis avidement, et voici ce que je lus sur la première page :

« Moi, Gérard Houssonloge, curé de la paroisse de Sougnez, dans le ban de Sprimont, j’ai écrit les choses curieuses ci-après, advenues dans ladite paroisse et lieux circonvoisins, tant dans le passé que dans le siècle présent, et cela pour ma récréation et pour la curiosité ou édification de mes successeurs. Commencé le 1er jour de l’an 1739, fini le... »

J’avais souvent entendu prononcer ce nom comme celui d’un pasteur dont la mémoire était restée chère dans la vallée de l’Amblève. Je savais que c’était à son dévouement que l’église de Sougnez, une des plus anciennes de la contrée, car elle existait déjà en 1230, devait sa reconstruction en 1741 ; la tradition m’avait aussi appris que c’était un homme instruit et qu’il avait été appelé par ses fonctions à jouer un rôle dans plusieurs évènements qui, lorsque j’étais enfant, se racontaient encore aux veillées.

Aussi, passai-je une partie de la nuit à compulser ce manuscrit, de quatre à cinq cents pages, écrites avec netteté et dont pas une ne manquait. J’y trouvai, au milieu d’une foule de détails insignifiants, des faits d’un intérêt très-vif, racontés sans art ni méthode, il est vrai, mais avec une naïveté, une sincérité qui me charma.

Parmi ces récits, celui qui me frappa le plus fut le suivant, d’abord parce qu’il m’offrait une relation saisissante et originale de circonstances dramatiques restées célèbres dans la contrée, mais imparfaitement connues ; ensuite, parce qu’il reflète et explique, jusqu’à un certain point, une des croyances populaires les plus bizarres et les plus accréditées des siècles passés. – On y trouvera donc, je l’espère, l’intérêt joint à l’instruction.

 

 

 

I

 

 

En l’an de N. S. 1740, parut pour la première fois, dans le village de Sougnez, un chaudronnier ambulant nommé Égide Zimger, qui se disait d’origine germanique, mais chez lequel un œil exercé eût facilement reconnu les caractères distinctifs de la race bohême. C’était un homme d’environ soixante ans, maigre, de petite taille, ayant une chevelure blanche et une barbe de même couleur, qui faisaient mieux ressortir son teint cuivré, son nez crochu et ses yeux vifs et perçants. Quoique son extérieur et ses manières ne fussent pas faits pour lui gagner beaucoup de sympathie, il n’en eût pas moins un grand nombre de pratiques, car il travaillait bien et à bon marché. Aussi revint-il ponctuellement les années suivantes.

Pendant qu’il travaillait en plein air au milieu du village, il se trouvait, comme cela arrive d’ordinaire, entouré d’une troupe d’enfants. Tout en faisant sa besogne, il badinait et conversait avec eux, il leur racontait ses voyages, et aussi des histoires pleines de choses fantastiques et merveilleuses que les crédules auditeurs rapportaient à leurs parents et qui défrayaient les causeries du soir.

Il aimait à parler surtout d’un fils, à qui il avait appris son métier, mais qui avait trouvé plus attrayant et plus lucratif de s’enrôler dans une troupe de bateleurs, ce qui semblait fort désoler le vieillard. – Aussi fût-ce avec une grande joie qu’il annonça un jour que cet enfant prodigue allait bientôt le rejoindre, dégoûté de la vie qu’il avait menée jusque-là, et décidé à reprendre l’état de chaudronnier.

Deux années s’écoulèrent sans que Zimger revînt à Sougnez. On le croyait mort et on le regrettait, lorsque tout à coup il reparut, monté cette fois sur une charrette traînée par un petit cheval et renfermant son bagage et ses ustensiles de travail. Il était bien changé ! Mais il annonça en riant qu’il était devenu rentier et que désormais les pratiques auraient affaire avec son fils, qui devait arriver d’un moment à l’autre.

En effet, le surlendemain, s’installa, à la place accoutumée, un jeune homme dont la vue excita un profond étonnement. Une taille élevée, une chevelure noire, une attitude remplie de dignité, des manières aisées, un visage aux traits expressifs et réguliers, un regard plein de feu, une mise propre, même soignée, faisaient de Tobias – c’était son nom – un personnage chez qui tout contrastait singulièrement avec le métier qu’il exerçait. Et lorsqu’on l’entendit parler français, lorsqu’il eût dit qu’il avait visité la plupart des capitales de l’Europe, et s’était livré devant les plus grands personnages aux exercices les plus étonnants, on comprit moins encore qu’il eût consenti à se faire chaudronnier ambulant.

L’explication qu’il donna de sa résolution toucha tous les bons Ségniens. Il avait uniquement obéi à la volonté de son père, dont tous les ancêtres, en remontant à plus de cinq générations, avaient exercé ce métier, et qui, dès le jour où il lui était né un fils, avait décidé qu’il serait étameur. En outre, le vieillard avait, par cet arrangement, l’occasion de revoir encore les lieux qu’il avait visités pendant près d’un demi-siècle, et auxquels l’attachait la puissance de l’habitude et des souvenirs.

La curiosité sympathique et respectueuse qu’inspirait Tobias était si grande, qu’on l’engagea à différer son départ de quelques jours pour pouvoir assister à la fête du village, qui tombe le troisième dimanche du mois d’octobre. Les jeunes garçons et les jeunes filles étaient désireux surtout de le voir au bal : sa conversation et ses danses ne pouvaient manquer, selon eux, d’avoir quelque chose d’extraordinaire.

Le dimanche matin, Tobias et son père, qui se donnaient pour de bons catholiques, se montrèrent à la grand’messe. Tous les deux portaient des sarraus de la même forme que ceux de nos paysans, ce qui fut une petite déception pour les curieux, qui avaient naïvement espéré voir le jeune homme paraître vêtu comme du temps où il donnait des représentations dans les foires.

Lorsque, le soir, il se rendit au Genévrier, il trompa également l’attente générale. Il n’y eut rien d’extraordinaire dans sa manière de parler, de boire et de danser.

Seulement, on remarqua qu’il manifestait une préférence marquée pour Pétronille Thonon, fille d’un bon cultivateur du hameau de Playe.

Cette préférence parut fort naturelle à tout le monde : Pétronille était la plus jolie et la mieux mise du bal. On comprit aussi parfaitement l’accueil qu’elle faisait à Tobias : d’abord son prétendu, Pascal Ziane, de Sur-la-Heid, était absent ; puis il s’agissait d’un étranger, beau garçon, qui avait beaucoup vu et dont l’entretien était plus agréable que celui des jeunes gens de l’endroit.

Le lendemain, on s’attendait à voir partir les deux chaudronniers, mais il n’en fut rien, et le soir Tobias reparut au bal. Il se montra de plus en plus empressé auprès de Pétronille ; celle-ci, de son côté, écoutait ses doux propos et y répondait de façon à faire croire que Pascal était entièrement supplanté.

Il est vrai que quelques personnes, qui prétendaient la connaître à fond, l’accusaient d’être coquette et malicieuse et affirmaient qu’elle ne se conduisait de la sorte que pour vexer les autres jeunes filles et les empêcher de danser avec le bel étranger.

 

 

 

II

 

 

Au point du jour, le jeune étameur partit avec son soufflet et ses autres instruments de travail ; mais Égide ne l’accompagna pas : il annonça que son fils allait exploiter les villages voisins, et que pendant ce temps-là il resterait à Sougnez. Le vieillard ne faisait que se promener, fumer et hanter les cabarets. Dans sa conversation, il vantait fort le pays et ses habitants, et disait que s’il y avait une petite maison à louer dans le village, il serait très-disposé à y passer l’hiver.

On lui apprit qu’il se trouvait précisément dans la partie appelée le Brou, une cabane vide depuis plusieurs années, parce qu’un homme et une femme y avaient été trouvés morts un matin sans qu’on en connût la cause, ce qui faisait que cette maison inspirait une certaine terreur. Égide répondit qu’il en parlerait à son fils.

Tobias revint le samedi soir, et le dimanche étant le jour de l’octave de la fête, il reparut au bal.

Son premier soin fut de demander un engagement à Pétronille dès que celle-ci entra.

La jeune fille lui dit, de façon à être entendue des personnes qui l’entouraient :

« J’ai été honnête envers vous deux jours de suite parce que vous êtes étranger, mais je ne veux pas me sacrifier davantage.

– Vous sacrifier ! s’écria Tobias au comble de l’étonnement. Que signifie cette parole ?

– Que vous ayez désormais à me laisser en repos. »

Tobias allait répliquer, lorsque le père Thonon vint à lui, rouge de colère, et lui dit brutalement :

« Oui, vous devez laisser ma fille tranquille ; il ne peut y avoir rien de commun entre vous et elle.

– Et pourquoi Mlle Pétronille ne daignerait-elle pas continuer à danser avec moi ? » demanda l’étameur avec un calme qui surprit tous les assistants.

Un grand jeune homme qui venait d’entrer se planta insolemment devant lui et lui dit :

« Votre question est drôle ! vous ne l’eussiez pas faite si vous aviez réfléchi à ce que vous êtes.

 – Qui êtes-vous, vous-même ? demanda Tobias d’une voix frémissante et en fronçant les sourcils.

– Je n’ai pas de compte à rendre à un vagabond de votre espèce, hurla le jeune paysan, qui n’était autre que Pascal Ziane, – seulement je vous défends de vous approcher désormais de Mlle Pétronille... vous ne pouvez que la salir, vilain raccommodeur de chaudrons ! »

Ces paroles étaient à peine lâchées que l’Allemand sautait à la gorge de son insulteur et le renversait à ses pieds. – Sa physionomie avait pris un caractère de férocité qui la rendait effrayante à voir.

Ce fut pendant quelques instants une affreuse mêlée ; les uns prenant parti contre l’étranger, les autres contre l’homme du pays qui s’était fait généralement détester des jeunes gens par ses airs de faraud.

On parvint enfin à séparer les combattants. Ils s’adressèrent force menaces et défis, dans l’impuissance où ils étaient de continuer la lutte.

« J’aurai un jour ton sang ! » s’était écrié Pascal, se servant d’une expression souvent employée par nos paysans dans leurs querelles.

La réponse de Tobias s’était perdue dans le bruit ; mais on avait entendu la voix claire de Pétronille dire à son amant :

« Laisse-le donc là, ce gueux ; tout son sang ne vaut pas une goutte du tien. »

Et tous deux, les mains unies, s’étaient élancés au milieu du quadrille qui venait de se former.

Pendant ce temps, Tobias, qui avait repris son calme comme par enchantement, s’était retiré dans une pièce voisine avec ses partisans, et il les régala d’autant de genièvre et de bière qu’ils voulurent en boire. La conversation roula quelque temps sur l’incident qui venait de se produire, puis on interrogea Tobias sur ses voyages, sur les aventures qui lui étaient arrivées.

Le jeune chaudronnier raconta d’abord quelques histoires qui prêtaient à rire, mais la nuit s’avançant, et l’ivresse gagnant ceux qui l’écoutaient, il se mit à leur faire des récits où les démons et les fantômes jouaient les principaux rôles.

Parmi ces récits, il en fut un qui surprit et effraya surtout son auditoire qui s’était considérablement accru, car les danses avaient cessé, minuit étant sonné depuis longtemps.

Il faut savoir qu’une croyance étrange, répandue depuis des siècles dans l’Est de l’Europe, avait pénétré depuis peu en Allemagne et commençait à occuper les esprits dans les Pays-Bas et en France. Il s’agissait du Vampirisme, l’expression la plus terrible de l’opinion où ont été tous les peuples que l’âme, après la mort, conserve le pouvoir de reparaître sur la terre en revêtant sa forme terrestre d’autrefois. C’était une des grandes préoccupations de l’époque ; les funèbres exploits des Upiers ou Vampires étaient rapportés et affirmés par les hommes les plus graves ; et – chose qui paraîtra incroyable, mais dont il existe des preuves authentiques, de célèbres philosophes admettaient eux-mêmes l’existence de ces revenants altérés de sang.

Or, c’est une histoire de ce genre que Tobias raconta aux paysans qui l’entouraient. Son héros, bien et dûment mort et enterré, était revenu pour exercer d’horribles vengeances sur une jeune fille coquette qui lui avait méchamment torturé le cœur, sur un rival qui, sans provocation aucune, l’avait odieusement offensé !...

Pendant qu’il faisait ce récit émouvant, le jeune Zimger avait dans la voix, dans le regard, dans toute la physionomie quelque chose d’inusité qui frappa l’assemblée. Il paraissait transformé, et il eût certainement inspiré de la crainte et de la répulsion à quiconque l’eût vu en ce moment pour la première fois. – On eût dit que sa figure avait été jusque là revêtue d’un masque qui venait de tomber soudainement.

Aussi, lorsqu’on se sépara, un de ses auditeurs dit au groupe dont il faisait partie :

« Nous étions venus pour rire et nous amuser, et voilà que nous avons l’esprit tout bouleversé à cause de ce diable d’Allemand et des choses qu’il nous a débitées. Cette histoire de Vampire arrivait là bien à propos !... Et comme en la racontant il regardait Pascal et Pétronille !... Cela ne vous a-t-il pas frappés, vous autres ? Dans leur intérêt il ne faudrait pas qu’il vînt à mourir en ce moment... Ce Tobias me fait l’effet d’être un singulier individu. »

Quelques-uns rirent à ces paroles ; mais la plupart gardèrent un silence qui prouvait qu’elles les avaient impressionnés. Ce que voyant, un des esprits forts de la troupe crut devoir intervenir :

« Quelle idée absurde ! s’écria-t-il. Moi je trouve que s’il mourait, ce serait ce qui pourrait arriver de plus heureux pour Pascal. Il serait ainsi débarrassé d’un ennemi dangereux, qui... »

Il s’arrêta court. Une voix chantait dans le lointain ce refrain d’une ballade alors populaire dans les villes :

 

                Les fantômes, ô bonnes gens,

                Sont les fils de votre délire ;

                Mais croyez, croyez au Vampire :

                Il règne parmi les vivants !

 

Cette voix à l’accent ironique était celle du jeune chaudronnier.

 

 

 

III

 

 

Les scènes dont le cabaret du Genévrier avait été le théâtre firent le sujet de toutes les conversations, tant à Sougnez que dans les villages voisins. Tobias et Pascal, quand on les avait séparés, s’étaient dit : « Nous nous retrouverons ! » Et l’on se demandait avec anxiété ce qui allait résulter de cette double menace.

Les uns disaient que le chaudronnier, n’ayant plus rien à faire dans le pays, allait sans doute partir et que les choses en resteraient là. Ceux qui étaient hostiles au jeune homme de Sur-la-Heid soutenaient que Tobias ne pouvait partir sans lui avoir administré la correction qu’il avait été empêché de lui donner en plein bal.

La vraisemblance parut pencher du côté de ces derniers, lorsqu’on vit que les Zimger ne faisaient nullement mine de vouloir partir.

Quatre ou cinq jours s’écoulèrent au milieu de ces diverses hypothèses, quand on apprit tout à coup que les deux étrangers avaient vendu leur cheval et leur charrette et loué la maison du Brou dont il a été précédemment question. – Cette circonstance produisit, cela va sans dire, une profonde émotion.

« Il reste, disait-on, pour se venger de Pascal ou pour continuer ses poursuites à l’égard de Pétronille, qu’il aime assurément. »

On s’arrêta généralement à ces deux suppositions, quoique le vieux Zimger eût manifesté, plusieurs jours avant la querelle, l’intention où ils étaient de passer l’hiver à Sougnez, au lieu de regagner l’Allemagne, où Tobias était résolu à ne plus retourner, pour des raisons que le vieillard ne fit pas connaître.

Égide et son fils s’installèrent donc dans le Brou, le premier ne quittant jamais le village, le second faisant des absences plus ou moins longues pour aller travailler aux alentours.

Plusieurs semaines s’étaient écoulées, et aucune des conjectures qu’on avait formées ne s’était réalisée. Ni Pascal, ni Pétronille n’avaient rencontré l’Allemand sur leur chemin.

Un jour un habitant de Playe raconta un fait qui donna lieu à beaucoup de commentaires. Il avait vu le père Zimger entrer chez Thonon. Le vieillard en était sorti un quart d’heure après dans une grande agitation.

Quel pouvait avoir été l’objet de cette entrevue ? Voilà ce que tout le monde se demandait.

Thonon, interrogé, se bornait à répondre par un haussement d’épaules, mais Pascal avait dévoilé le mystère : Égide avait osé demander la main de Pétronille pour Tobias !

Le fermier, sa femme et sa fille avaient accueilli cette demande en chassant le vieil étameur.

Mais une circonstance que Pascal s’était bien gardé de faire connaître, c’est que Égide avait fourni à Thonon la preuve qu’il possédait une somme de deux mille florins qui devait former la dot de son fils. C’est ce qui l’avait enhardi à faire cette démarche.

Quelques jours après, Ziane racontait à qui voulait l’entendre que Tobias s’étant permis d’aborder Pétronille dans un verger où elle gardait ses vaches, la jeune fille avait appelé deux ouvriers de son père, avec ordre de donner, pour toute réponse, les étrivières « au vagabond ».

Toutes ces circonstances étaient exactes, d’où l’on conclut que le jeune étranger éprouvait pour Pétronille une passion vraie, profonde, et qui ne reculait devant aucune humiliation.

Pascal se montrait d’autant plus triomphant qu’il fréquentait assidûment la maison de Thonon, et qu’il avait l’espoir d’être sous peu l’époux de la belle Pétronille.

Sur l’entrefaite, le jeune paysan dut rester plusieurs jours chez lui, à la suite d’une chute qu’il disait avoir faite en descendant la Heid-des-Gattes ; mais on prétendit, à tort ou à raison, que son état provenait de coups qu’il avait reçus de Tobias dans un combat dont on ignorait les détails.

Quoi qu’il en soit, les deux chaudronniers, la fille du fermier de Playe et Pascal Ziane ne cessaient d’être l’objet de toutes les préoccupations, et chaque jour on racontait quelqu’incident provenant de leur situation respective.

La moitié de l’hiver se passa cependant sans qu’aucun évènement grave fût survenu. Seulement, on sut que le mariage de Pascal avec Pétronille était décidé et aurait lieu après Pâques.

 

 

 

IV

 

 

Au mois de février, Tobias, qui ne s’était plus absenté depuis longtemps, quitta de nouveau Sougnez. Des semaines s’écoulèrent, et il ne reparaissait pas. – Un jour Zimger annonça que son fils était tombé malade dans la Campine, et que le lendemain il partait pour aller le voir.

Quelques jours après, les deux étameurs revinrent à Sougnez, mais le jeune homme resta confiné chez lui, et à ceux qui demandaient de ses nouvelles, le vieillard répondait d’un air triste que sa santé ne s’améliorait pas. Quand on lui parlait de consulter un médecin, il disait ne pas en avoir besoin, connaissant lui-même les remèdes que réclamait la maladie de Tobias.

Le carnaval arriva, et suivant un antique usage, que rien n’avait pu détruire, il y eut bal au Genévrier.

On vit à ce bal une chose qui ne s’était jamais vue à Sougnez. Une quinzaine de jeunes gens y parurent, parfaitement masqués et travestis.

Voici comment la chose s’était faite :

Le dimanche précédent, le vieux Zimger avait, après la messe, rassemblé autour de lui les jeunes gens qui avaient montré le plus de sympathie pour son fils ; il leur avait dit que celui-ci avait conservé de son ancienne profession des habits et des masques de toutes sortes, et qu’il les enverrait à ceux qui voudraient se déguiser. – On conçoit avec quel empressement cette proposition avait été acceptée.

Cependant, la soirée était déjà avancée, et les costumes annoncés n’arrivaient pas. Les jeunes gens, dont cette promesse avait mis les têtes en l’air, se rendirent au domicile des Zimger.

Le vieillard leur ouvrit la porte. Sa figure exprimait la plus profonde douleur et ses yeux rougis annonçaient qu’il avait pleuré.

À la vue des visiteurs il se mit à sangloter en murmurant :

« Mon fils, mon pauvre fils...

Et il leur montra, dans la seconde pièce, Tobias étendu immobile sur sa couche, et dont une pâle lampe éclairait les traits amaigris et d’une pâleur morbide.

Devant ce triste spectacle, les jeunes gens allaient se retirer sans faire part au vieil Allemand du sujet de leur visite, quand celui-ci leur indiqua un coffre, en leur disant de l’emporter.

Voilà comment le bal du Genévrier, où les autres années à la même époque, on ne voyait que quelques sales et grotesques mascarades, offrait ce jour-là un spectacle si inusité. Aussi l’étroite salle du cabaret regorgeait-elle d’une foule où Pétronille Thonon brillait par sa beauté, et Pascal Ziane par son air triomphant.

À onze heures et demie on dansait encore, lorsqu’un nouveau venu causa une violente émotion. On la comprendra facilement quand on saura que c’était un astrologue masqué et de taille si élevée que sa tête touchait presque au plafond. Tout le monde, à son aspect, se massa le long des murs, et chacun, saisi d’une crainte superstitieuse, se demanda quel pouvait être ce personnage imposant qui semblait tout à coup tomber des nues dans un petit cabaret de village, aux alentours de minuit.

Après avoir promené d’abord silencieusement ses regards sur tous ceux qui l’environnaient, il dit d’une voix de Stentor :

« Qui veut connaître sa bonne aventure, à commencer par les jeunes filles ? À celles-ci je ne demande rien que de faire un tour de danse avec moi. »

Personne ne répondit.

« Ah ! vous êtes peu curieuses, mesdemoiselles ; parmi vous il en est pourtant qui ont un immense intérêt à connaître l’avenir. »

Pendant que le masque parlait, Pascal avait échangé quelques mots avec Pétronille ; puis s’adressant à l’astrologue, ce qui ne surprit personne, car on le connaissait hardi et grand hableur :

« Monsieur le mackray, dit-il d’un air goguenard en montrant Pétronille, voici ma future qui, je le vois, brûle de vous consulter ; mais comme vous n’êtes pas beau, et qu’elle ne vous connaît pas, elle a peur de vous, surtout par rapport à l’obligation de devenir votre danseuse, comme vous l’exigez ; faites-lui grâce de cela et elle vous écoutera volontiers, j’en suis sûr.

– Fort bien, dit l’astrologue ; j’y consens, mais à une condition : c’est qu’elle me permette de lui faire mes prédictions devant toute la société.

– Oh ! pour cela non, exclama Pascal ; devant moi, à la bonne heure, cela me regarde, puisque dans six semaines elle sera ma femme. »

Au même moment, la cabaretière, placée dans l’embrasure de la porte, fit entendre ces paroles :

« Est-ce possible, mon Dieu ! quoi, déjà mort ?

– C’est comme je vous le dis, répliqua une voix ; il vient d’expirer, il y a un quart d’heure.

– Qui, mort ? » demanda-t-on de tous côtés. Un habitant du Brou pénétra dans la salle et dit :

« Pendant que vous étiez ici à vous amuser, monsieur le curé était appelé pour administrer Tobias ; mais il est arrivé trop tard : le pauvre jeune homme rendait l’âme et il n’a pu lui donner que l’extrême-onction. »

 

 

 

V

 

 

La nouvelle de la mort de Tobias répandit dans l’assemblée une consternation profonde, à laquelle succédèrent des plaintes sur le sort du jeune chaudronnier, enlevé à la fleur de l’âge, et sur celui de son vieux père, qui restait seul en ce monde.

On remarqua toutefois que Pétronille et Pascal ne prenaient aucune part à ces manifestations ; le sourire que la première avait aux lèvres ne s’effaça pas ; le second dissimulait mal son contentement.

Pendant ce temps l’astrologue s’était tenu silencieux, les bras croisés sur la poitrine.

Comme il vit que plusieurs personnes allaient se retirer, il dit à Ziane :

« Eh bien ! jeune homme, revenons-en à nos moutons, pour qu’il ne soit pas dit que je suis venu ici perdre mon temps ; je suis prêt à vous dire votre bonne aventure, à vous et à votre promise.

– À l’œuvre donc ! s’écria Pascal.

– Mais c’est pour vous deux seulement que vous voulez que je parle ?

– Certainement.

– Alors suivez-moi », continua l’inconnu en se disposant à sortir.

Pascal saisit le bras de Pétronille et suivit l’astrologue en riant.

Plusieurs personnes s’apprêtèrent également à sortir, mais le géant dit, d’un ton imposant, en revenant sur ses pas :

« Malheur à ceux qui viendront écouter ! »

Et il ferma la porte derrière lui.

On regarda par la fenêtre et on vit l’astrologue placé entre les deux jeunes gens, les tenant par la main et leur parlant à voix basse, puis, les lâchant tout à coup, se diriger en courant vers l’Amblève qui se trouvait entièrement gelée depuis plusieurs semaines, traverser la glace d’un pas rapide et gagner le bois de Montjardin où on le perdit de vue.

Tous ceux qui se trouvaient dans le cabaret s’élancèrent au dehors, sans bien se rendre compte du mobile qui les poussait.

Ils virent Pétronille assise le long du mur, sur un banc de pierre où elle semblait plongée dans un accablement profond. Pascal, debout devant elle, avait l’air tout hébété.

« Eh bien, eh bien ! s’écria un jeune homme, vous voilà dans un bel état, vous autres. Le sorcier a dû vous prédire de grands bonheurs ou de grands malheurs. Voyons, que vous a-t-il dit ? »

En ce moment le père Thonon, qui depuis une heure dormait la tête appuyée sur une table, sortit du cabaret.

« Qu’y a-t-il, qu’y a-t-il ? où est Pétronille ?

– Oh ! père, père ! exclama la jeune fille en se jetant dans les bras du vieillard, partons vite, je n’en puis plus, j’en mourrai. »

Ces paroles accrurent encore la curiosité des auditeurs.

« Allons donc, dit-on de toutes parts, faites-nous connaître le mystère. »

Pascal, pour toute réponse, s’élança à l’intérieur en disant :

« Bête que je suis, de m’être laissé influencer un instant par cette farce ! Allons, je paie deux tournées pour finir, et vive la joie ! »

Tous le suivirent, à l’exception de Thonon et de sa fille qui reprirent le chemin de Playe.

« Mais que t’a-t-il dit ? qui crois-tu qu’il soit ? demanda-t-on à l’envi à Ziane.

– Qui il est ? un farceur ; ce qu’il m’a dit ? une farce ; et voilà tout ce que vous saurez pour aujourd’hui. »

Là-dessus Pascal vida son verre d’un trait.

« Mais, je vous trouve singuliers, vous autres, ajouta-t-il ironiquement : la pensée dernière du chaudronnier a été de vous procurer ces costumes et ces masques qui vous ont rendus si crânes, et vous n’allez pas même lui faire une visite, à ce mort chéri... Vous laissez au vieux seul le soin de veiller son digne fils... à moins que le diable, leur seigneur et maître, n’ait été mieux avisé que vous, ses amis.

– C’est vrai ! s’écrièrent plusieurs voix ; et dire que cette idée doit nous venir de Pascal !... Allons vite au Brou. »

Les jeunes gens se dépouillèrent de leur costume de carnaval qu’ils laissèrent aux mains de la cabaretière, et se dirigèrent vers la demeure du vieux Zimger, qu’ils trouvèrent pleurant près de l’alcôve où gisait le cadavre de Tobias.

 

 

 

VI

 

 

Le lendemain, au point du jour, la cloche de l’église de Sougnez sonna le glas du jeune chaudronnier.

Tout le monde savait Tobias malade depuis plusieurs jours, mais nul ne s’attendait à le voir mourir. Cependant lorsque Zimger eut avoué que son fils était atteint depuis longtemps d’un anévrisme que certains chagrins avait aggravé, on comprit cette fin si prompte ; on comprit aussi quelle était la nature de ces chagrins, et les bonnes âmes n’en plaignirent que plus vivement le pauvre jeune homme, victime de l’amour que Pétronille lui avait inspiré par son manège perfide, et des humiliations qui s’en étaient suivies pour lui. Aussi, conformément à l’habitude, dans nos villages, la maison mortuaire ne désemplit-elle pas de visiteurs jusqu’au moment où le corps fut mis dans le cercueil.

L’enterrement et la messe mortuaire se firent au milieu d’un tel concours de monde, qu’on eût dit qu’il s’agissait d’un des plus gros hères de la paroisse.

« Que va faire à présent le vieux Zimger ? » se demandait-on.

L’indécision à cet égard ne fut pas de longue durée. Celui-ci annonça qu’il se proposait de reprendre son ancienne profession, ce qui augmenta la pitié dont il était généralement l’objet.

Il partit en effet un beau matin de Sougnez, porteur de ses ustensiles, en déclarant qu’il allait battre les villages environnants, à commencer par Louvegnez.

Quinze jours s’étaient écoulés depuis le départ de l’étameur, et la paroisse de Sougnez commençait à reprendre son calme habituel, lorsqu’une suite d’évènements sans exemple dans le pays vint y répandre la stupeur et l’effroi.

 

Ce que nous avons à raconter maintenant est d’un caractère si étrange, que nous croyons bien faire de laisser le plus souvent parler M. Houssonloge lui-même. La majeure partie de ce qui va suivre est donc textuellement copiée sur son manuscrit ; seulement force nous a été de modifier un peu le style du bon curé, qui écrivait simplement – qu’on ne l’oublie pas – « pour sa récréation et pour la curiosité ou édification de ses successeurs ».

Après la mort de Tobias, Pascal et Pétronille se montrèrent d’une humeur bien différente : le premier n’avait jamais paru si content ; tandis que la seconde, d’ordinaire gaie et rieuse, devint songeuse et morose. Interrogée au sujet de ce changement, elle ne s’en expliqua pas, mais comme il lui arriva plusieurs fois de parler des prédictions de l’astrologue masqué, en refusant toutefois de rien préciser à cet égard, les uns supposèrent que les paroles du mystérieux personnage qui avait paru un instant au Genévrier n’étaient pas étrangères à la métamorphose qui s’était opérée chez la fille Thonon. D’autres voulaient y voir l’effet des remords que lui inspirait la conduite qu’elle avait tenue envers Tobias et qui avait été la cause de la maladie de langueur à laquelle il avait succombé.

Pétronille, entre autres attributions qu’elle avait dans la cense paternelle, était chargée de traire les vaches et les chèvres. En hiver et au printemps elle s’acquittait de ce soin au point du jour et à la nuit tombante. Le 19 mars, son père revint assez tard de la foire d’Esneux avec deux vaches dont il avait fait l’acquisition. Il fallait qu’elles fussent traites sans retard. Or, il était plus de dix heures.

Pendant que la jeune fille se livrait à sa besogne, elle s’aperçut que le peu de jour qui pénétrait dans l’étable, à travers la porte ouverte, avait presqu’entièrement disparu. Elle jeta les yeux vers cette porte et vit que l’embrasure en était obstruée par une forme humaine. Elle demanda qui était là, et comme personne ne répondait, elle prit sa lanterne, se leva, et que vit-elle ? Tobias, enveloppé dans son linceul...

À cet aspect elle poussa un cri et s’évanouit.

Comme elle tardait à rentrer, sa mère se rendit à l’étable et la trouva étendue sur le sol. Lorsque, revenue à elle, elle raconta ce qu’elle avait vu, tout le monde fut d’accord pour la traiter de visionnaire, d’autant plus qu’on connaissait l’état de son esprit.

 

 

 

VII

 

 

Le lendemain Pascal Ziane vint chez Thonon. Pétronille lui parla de la terrible apparition. Il pâlit et parut en proie à une vive émotion.

« Quoi ! lui dit le fermier, vous ajoutez foi à cela ? vous avez l’air d’avoir peur... Je vous croyais plus ferme.

– Ah ! s’écria le jeune homme, c’est que vous ignorez ce qui m’est arrivé... Quelle coïncidence ! Je ne voulais pas en parler, mais à présent il le faut. Écoutez-moi donc : Hier soir, vers dix heures, comme je montais le vallon de Trotinfosse, j’aperçus un homme debout sur un rocher. Il semblait avoir un manteau roulé autour de lui. À mon approche, il franchit le ravin, prend le petit sentier qui longe celui que je suivais et vient de mon côté. Le prétendu manteau était un linceul... et jugez de ma terreur lorsque je vis passer près de moi, rapide comme le vent, ce damné d’étameur au visage cadavéreux, aux yeux de loup-garou. J’étais certes plus mort que vif ; cependant je me suis retourné. Le chemin était complétement désert... Donc si j’ai vu le fantôme, Pétronille a pu le voir aussi ! Oh ! cet astrologue... moi qui en ai ri !

– Je te crois, interrompit Thonon, ou plutôt je crois que tu as cru voir le fils de Zimger, mais je te répéterai ce que j’ai dit à Pétronille : tu as l’esprit frappé, et dans cet état-là les yeux voient tout ce que l’esprit veut. Tiens, afin que tu n’aies plus de ces visions-là, en t’en retournant, nous allons boire une bonne goutte et parler de ton futur mariage. »

Le bruit de la double apparition se répandit bientôt dans toute la paroisse ; – objet de l’incrédulité des uns, il rencontrait naturellement créance chez le plus grand nombre.

« Je m’empressai, – dit M. Houssonloge, – de mander auprès de moi les deux jeunes gens, dans le but d’agir sur eux par la raison, me disant qu’une imagination vivement émue voit facilement ce qui n’est point. Je leur tins donc le langage que me prescrivait mon devoir ; mais je m’aperçus que j’avais entrepris une tâche impossible. Rien ne pouvait leur ôter de la tête l’idée qu’ils avaient vu, réellement vu le spectre de Tobias Zimger. »

Un matin, Thonon et sa femme étaient levés depuis plus d’une heure, et leur fille, qui le plus souvent était debout la première, ne paraissait pas. La mère inquiète alla à sa chambre : elle la trouva dans son lit, immobile et blanche comme une statue de marbre. Croyant qu’elle dormait, elle la secoua. Pétronille ouvrit les yeux, mais les referma presque aussitôt en murmurant quelques paroles inintelligibles. La bonne femme appela son mari, et tous deux s’efforcèrent de la ranimer, sans pouvoir y parvenir. On envoya chercher en toute hâte le chirurgien Dufays, de Sprimont, qui, au moyen d’un cordial, parvint à faire sortir Pétronille de cette espèce de léthargie.

Elle raconta en quelques mots qu’ayant entendu du bruit dans sa chambre, elle s’était éveillée et avait vu, penchée sur elle, la figure de Tobias dont le regard l’avait épouvantée à un tel point qu’elle n’avait pu crier et avait dû fermer les yeux. Puis elle avait senti à son cou l’empreinte des lèvres du défunt, qui lui avait fait « comme une morsure, » par suite de laquelle elle avait cru que la vie s’éteignait en elle.

Ce récit de Pétronille fut accueilli d’abord par son père avec la même incrédulité que le premier ; mais le bon homme fut frappé à son tour de stupeur lorsque le médecin, après avoir bien examiné la jeune fille, constata qu’elle avait au cou une légère incision, et affirma que tout, dans son état physique, annonçait une perte de sang considérable, bien qu’on n’en vît que quelques taches seulement sur l’oreiller. Mais une grosse aiguille ayant été trouvée dans le lit, la piqûre fut considérée comme étant le résultat du hasard, et on expliqua cette nouvelle apparition par les mêmes raisons que la première.

 

 

 

VIII

 

 

Huit jours après, voici ce qui arrivait à Pascal : On était au commencement d’avril ; Pâques allait arriver, et le mariage de nos deux amoureux devait avoir lieu le samedi après cette fête. Ziane avait dû se rendre à Liège pour affaires et avait profité de l’occasion pour acheter l’anneau nuptial. Comme il cheminait, vers neuf heures du soir, entre Beaufays et Sprimont, il fut accosté par un inconnu, portant un chapeau à larges bords et une barbe épaisse. Après avoir échangé le salut campagnard « Dieu vous garde ! » les deux hommes avaient fini par entrer en conversation. On fait vite connaissance, le soir, en voyage. Après que Pascal se fût donné à connaître à son compagnon, celui-ci lui apprit à son tour qu’il était marchand à Arlon, où il retournait, et qu’il logerait cette nuit-là à Aywaille. Les deux hommes passèrent une heure à boire dans un cabaret de Sprimont, de sorte que Ziane, qui avait beaucoup consommé de genièvre dans la journée, était à demi ivre lorsqu’il se remit en route. Ils approchaient de Florzé quand l’étranger, avec lequel il marchait bras dessus bras dessous, le lâcha en poussant un cri et s’élança dans un taillis qui longeait le chemin. Pascal, stupéfait de cet incident, regarda autour de lui et ne vit rien qui pût expliquer la panique de son compagnon. Il allait le rappeler, lorsque s’étant retourné il se vit face à face avec Tobias Zimger... En vain voulut-il s’enfuir, crier à l’aide ; un pouvoir plus fort que sa volonté l’empêcha de se mouvoir et d’articuler le moindre mot. Le fantôme l’ayant touché de sa main glacée, il se laissa choir à terre, et alors il sentit « qu’on le mordait au cou », tandis que son cœur cessait de battre et que ses forces l’abandonnaient entièrement. Il fut trouvé, le matin, comme une masse inerte, par un voiturier qui le ramena chez lui. Le médecin Dufays constata qu’il y avait, comme chez Pétronille, perforation de l’artère jugulaire et perte de sang considérable, quoique le sol, examiné soigneusement, n’en eût conservé qu’une faible trace. N’oublions pas de dire que l’anneau de mariage avait disparu.

« Il était impossible, dit le curé Houssonloge, qui dans toute cette relation montre un grand sens et un vif désir de découvrir la vérité, il était impossible de soutenir encore qu’il y eût chez Pascal Ziane et Pétronille Thonon simple hallucination. Aussi étais-je vivement préoccupé de ces faits qui confondaient mon esprit, lorsque je reçus la visite du bailli, M. Hermès Maupoirier, homme estimable au plus haut point, mais tenant à chercher un côté mystérieux aux choses les plus claires et les plus naturelles ; du reste, ne manquant pas d’instruction, aimant la lecture et disposant de la riche bibliothèque des Franciscains qui ont transformé en couvent l’ancien château du village. J’allais lui parler de cette sombre et incompréhensible histoire, lorsqu’il me dit qu’il venait précisément pour s’entretenir avec moi à ce sujet.

« Il déposa sur ma table un petit volume intitulé : Magia Posthuma, par Ferdinand de Schertz, imprimé à Olmutz, au commencement de ce siècle.

« – Là se trouve, dit-il, l’explication du mystère que vous cherchez à comprendre. Lisez, et venez me trouver demain matin : nous aviserons.

« Il était question de nécromancie et de vampirisme dans la Magia Posthuma. L’auteur donnait du vampire cette définition que je transcris textuellement : « Un homme mort et enterré, depuis un temps plus ou moins long, qui revient en corps et en âme, parle, marche, et, après avoir fasciné ses victimes, leur suce le sang et les épuise jusqu’à extinction de la vie. » J’appliquai ceci à Tobias Zimger ; je me rappelai l’histoire qu’il avait un soir racontée au Genévrier, et sous l’empire de la lecture que je venais de faire, des évènements dont j’avais été témoin, il se fit un grand trouble dans mon intelligence, et je fus en proie à une horrible anxiété 1.

« J’étais dans ces dispositions lorsque je reçus la visite d’un blatier de Playe qui venait me dire que, passant la nuit précédente avec un de ses camarades auprès de la demeure de Thonon, ils avaient vu distinctement Tobias, immobile comme une statue, sous la fenêtre de Pétronille. Il ajouta que, le matin, étant repassé par cet endroit, il avait constaté, juste à la place où était le revenant, l’empreinte de deux pieds nus dans le sol. Un second messager vint m’apprendre, peu d’instants après, que Pétronille, qui couchait cependant dans la chambre de sa mère, avait été trouvée au point du jour dans un état d’épuisement tel, qu’elle semblait n’avoir plus qu’un souffle de vie. Dans quelques mots qu’elle avait prononcés, on avait compris qu’elle avait revu son persécuteur.

« Ces incidents, selon le point de vue où l’on se plaçait, répandaient une nouvelle obscurité ou un jour nouveau sur cette grave et mystérieuse affaire dont la cause, quelle qu’elle fût, devait être activement recherchée. – J’eus à ce sujet un long entretien avec le bailli Maupoirier, aux yeux duquel il n’y avait d’autre remède que d’exhumer Tobias et de faire subir à ses restes le sort réservé aux Vampires en Allemagne, en Hongrie, en Lorraine et ailleurs.

« Tout le monde admettra que l’état des choses faisait effectivement de l’exhumation une impérieuse nécessité. Aussi le mayeur et les anciens de la communauté proposèrent-ils eux-mêmes la mesure. Il fut décidé, vu l’urgence, que cette lugubre cérémonie aurait lieu le surlendemain, qui était justement le jour où le Christ a expiré sur la croix.

 

 

 

IX

 

 

« Le jour du Vendredi-Saint, – continue M. Houssonloge, – à trois heures de relevée, le cimetière de Sougnez était envahi par une foule considérable, au sein de laquelle régnait un sentiment d’anxieuse curiosité facile à concevoir. Il y avait là des gens venus de la plupart des villages environnants. Mon attention fut tout d’abord attirée par la présence d’un jeune étranger, paraissant avoir de vingt-cinq à trente ans, mis avec élégance et annonçant une parfaite distinction. Mon sacristain, placé près de moi, m’assura l’avoir vu peu de jours auparavant à Spa, où il menait un train de grand seigneur. Je supposai que sa présence dans notre vallée avait pour objet le désir d’en voir les nombreuses curiosités, par une belle journée de printemps.

« Enfin je fis procéder au déblayement de la fosse de Tobias Zimger. Tous ceux qui l’entouraient y plongeaient un regard avide. La scène était des plus solennelles.

« Le fossoyeur s’écria enfin :

« – Voici le cercueil !

« – Soulevez-le, lui dis-je ; on vous aidera à le tirer dehors. »

« À peine avais-je prononcé ces mots qu’il sauta hors du trou, pâle et tremblant d’effroi.

« – Le mort n’y est plus... il est trop léger, dit-il, d’une voix étouffée. »

« Ces mots parcoururent, comme l’éclair, la foule frémissante.

« Peu d’instants après, le cercueil était amené hors de la fosse. Qu’on juge de notre stupéfaction en voyant qu’en effet il était vide !

« Cependant, mon sacristain me fit remarquer qu’il renfermait un papier. Je m’en emparai. Il contenait quelques lignes, écrites en vieux caractères inconnus. (J’ajouterai, par parenthèse, qu’aucun des gens experts à qui je l’ai montré n’a pu le déchiffrer.)

« L’étranger dont j’ai parlé tout à l’heure s’approcha de moi, et me dit, après m’avoir salué respectueusement :

« – Monsieur le curé, j’ai appris par hasard, en venant visiter votre beau pays, les faits extraordinaires qui s’y passent depuis quelque temps. Permettez-moi de vous adresser quelques questions... Pouvez-vous affirmer que le personnage que ce cercueil devait renfermer soit bien mort ?

« – Je l’ai vu agonisant, monsieur, et cinquante des personnes ici présentes l’ont vu enseveli.

« – A-t-il bien été placé dans cette bière ?

« – Je l’y ai déposé moi-même, aidé de son père, s’écria le menuisier Spiroux. Il était raide et froid comme tous les morts qui m’ont passé par les mains.

« – Quelqu’un peut-il affirmer n’avoir pas perdu de vue le cercueil, depuis le moment où il a été fermé jusqu’à l’heure où il a été mis en terre ? »

« Avant que personne eût eu le temps de répondre, M. Maupoirier prit la parole, et dit, sur le ton de la mauvaise humeur :

« – Pourquoi tous ces pourparlers quand des centaines d’exemples nous expliquent clairement le mystère ? Nous avons affaire à un Nécromancien dans le père et à un Vampire dans le fils. C’est évident. Or, c’est pendant la nouvelle lune que les Vampires sortent de la tombe... Nous sommes précisément dans une de ces phases. Attendons quelques jours, et nous procéderons à une nouvelle exhumation. »

« Ce langage fut accueilli par un murmure d’approbation. Mais l’étranger eut un sourire qui prouvait son peu de foi dans la nouvelle expérience qu’il s’agissait de tenter.

 « Les choses furent donc remises dans l’état où elles se trouvaient.

« Pendant ce temps, l’inconnu m’avait communiqué une idée que je trouvai juste et dont je m’empressai de faire part à la foule :

« – En attendant, dis-je, que nous remuions de nouveau cette terre, il est probable que le mal continuera d’exister. Or, tout serait dit si l’on parvenait à loger une balle dans le cœur de ce mauvais drôle ; car là, il doit être dans tous les cas vulnérable. Il y a ici plusieurs bons tireurs ; je fais appel à leur dévouement. J’invite donc ceux qui ont confiance en Dieu à se trouver ce soir à huit heures à mon presbytère.

« Le silence qui suivit ces paroles ne fut rompu que par une voix qui s’écria :

« – Traquer un mort ! merci.

« Un instant après le cimetière était désert.

 

 

 

X

 

 

« Huit heures étaient sonnées depuis longtemps, et aucun de ceux que j’avais conviés à se trouver chez moi ne paraissait. Enfin, ma porte s’ouvrit et je vis entrer l’étranger qui avait semblé prendre tant d’intérêt à cette affaire.

« – Monsieur le curé, me dit-il, après que je l’eus invité à s’asseoir, tout le monde ici a le droit d’être sous l’empire de telles préoccupations que, moi aussi, je pourrais passer peut-être pour un être surnaturel... Je tiens donc à vous faire connaître immédiatement mon nom et ma qualité. Je suis le colonel Frédéric de Neuhoff.

« – De Neuhoff ! m’écriai-je. Seriez-vous cet ex-roi de Corse dont la fortune et les revers ont tant occupé l’Europe 2 ?

« – Je suis son fils... J’ai, comme vous le savez peut-être, des parents dans ce pays d’où mon aïeule du côté paternel était originaire. Voilà le motif qui m’y amène de temps en temps. Cela dit, je vous annonce que vous pouvez compter sur moi pour vous délivrer du cauchemar qui, comme j’ai pu m’en assurer, oppresse ici toutes les poitrines. Votre soi-disant Vampire m’est personnellement connu, et l’histoire que je vais vous raconter chassera peut-être de votre esprit l’obscurité qui, je le comprends, a dû nécessairement s’y produire. Alors nous pourrons agir de concert.

« – Comment, monsieur, vous avez connu Tobias Zimger ? Vous offrez de nous délivrer de cet être infernal ?... Ah ! c’est la Providence qui vous envoie.

« – Voici en peu de mots, continua le baron, ce que je sais de ce dangereux personnage :

« Je me trouvais l’an dernier à Bonn, au moment où s’y tenait la foire. Parmi les théâtres ambulants, on en citait un surtout dont les représentations avaient le privilège d’attirer le monde comme il faut, grâce à leur caractère varié et original, grâce surtout au talent d’un des acteurs appelé Karl, – beau jeune homme aux manières élégantes, qui savait passer du rôle de comédien habile dans plusieurs pièces tantôt sérieuses, tantôt comiques, à celui d’acrobate, de physicien, de magicien, que sais-je encore ? On le disait d’origine noble et l’on racontait, d’une façon romanesque, les causes qui l’avaient jeté hors de la voie de ses ancêtres. Grâce donc à Karl, la baraque du père Barth voyait affluer chaque soir les personnages les plus distingués de la ville. Parmi ceux-ci se trouvait le chevalier de Weiler et sa sœur Anna, jeune file de dix-huit ans, remarquable par une grande beauté que rehaussait une fortune considérable. Aussi sa main était-elle avidement recherchée ; mais en ce moment le bruit courait qu’elle était fiancée au conseiller Hecker, ce qui était vrai. Le chevalier de Weiler conçut un si vif intérêt pour Karl qu’il alla jusqu’à l’inviter plusieurs fois à souper, en compagnie de quelques jeunes gens parmi lesquels je me trouvais. L’individu nous amusait fort, mais je remarquai dans son caractère de singuliers contrastes.

« Il passait de la plus folle gaieté à l’humeur la plus sombre, et alors il nous tenait des discours qui semblaient révéler un cœur ulcéré, un esprit vindicatif ; il nous faisait de ces récits de l’autre monde où se complaît la rêverie germanique, monde où l’on eût dit qu’il avait lui-même vécu. Puis il éclatait de rire, et nous nous disions : Quel grand comédien !

 

 

 

XI

 

 

« La foire fermée, Karl annonça au chevalier que, dégoûté de l’existence qu’il menait, il avait résolu de se mettre au service de quelque homme de distinction à qui il demanderait avant tout des bons procédés, en échange d’une fidélité et d’un dévouement sans bornes. Weiler accueillit cette ouverture avec enthousiasme, et le pensionnaire de Barth devint son factotum.

« Comme je dois être bref, je vous dirai immédiatement que le drôle avait conçu l’audacieux projet de se faire aimer d’Anna. Parvint-il à ses fins ? Il dut le croire, car il osa lui proposer de s’enfuir avec lui. Mais ce qu’il ne put obtenir de la volonté de la jeune fille, il résolut de le tenter par la violence. Grâce à Hecker, son plan fut déjoué et il fut honteusement chassé. Il fit courir le bruit qu’il allait se suicider, et comme on trouva sur le bord du Rhin des vêtements qui lui appartenaient, on ne douta pas qu’il n’eût mis son projet à exécution.

« Quelques jours après, Anna était soudainement atteinte de folie... Ce n’est pas tout. Un soir que le conseiller sortait de chez lui, il fut frappé de plusieurs coups de poignard par un individu en qui la victime déclara, au moment d’expirer, avoir reconnu Karl, quoiqu’il fût habilement déguisé. On se mit à la recherche du coupable, qui fut arrêté, jugé et condamné à périr sur le gibet.

« Je quittai précisément Bonn dans l’après-midi du jour où la sentence de mort avait reçu son exécution, et me rendis en Angleterre, où finirent par s’effacer de mon esprit les évènements qui avaient cependant fort occupé les cercles que je fréquentais.

« Vers la fin d’octobre, je vins au pays de Liège et allai passer quelques jours au château de Fraipont. Ayant fait une excursion dans un village voisin, je fus surpris par une forte averse et me réfugiai dans un estaminet situé près de l’église. Un chaudronnier, que j’avais aperçu travaillant sur la place, accourut se garer dans la maison où j’étais. Sa vue me frappa : il ressemblait trait pour trait à Karl. – Il parla : c’était aussi sa voix. Je l’examinai avec plus d’attention, et, chose extraordinaire ! sa joue gauche offrait une tache qui marquait celle de Karl. – En ce moment le chaudronnier m’aperçut. Il fit un mouvement tel qu’aucun doute ne pouvait plus me rester. Aussi je n’hésitai pas à m’approcher de lui et à lui dire brusquement :

« – Bonjour, Karl.

« Il eut un léger tressaillement et son regard prit une expression farouche qui m’avait souvent frappé, mais il se remit bientôt et me répondit avec calme :

« – Vous vous trompez, monsieur, je ne m’appelle pas Karl, mais bien Tobias Zimger, et n’ai nullement l’honneur de vous connaître.

« – Silence, repris-je avec fermeté. Ma conviction est faite. À quoi bon vouloir dissimuler ? je n’ai aucun motif pour trahir votre secret ; je vous promets au contraire la plus entière discrétion. Ainsi causons librement. »

« Puis, m’adressant à la maîtresse de la maison, je lui commandai de nous apporter une bouteille de vin dans une pièce voisine, où j’invitai mon homme à me suivre, ce qu’il fit sans façon aucune.

 

 

 

XII

 

 

« Lorsque Karl fut attablé en face de moi, je lui dis d’un ton qui devait lui prouver de plus en plus que je n’entendais pas qu’il me prît pour dupe :

« – Eh bien ! maintenant que nous voilà seuls, expliquez-moi le double mystère de votre résurrection et de votre transformation en chaudronnier ambulant.

« – D’abord, répondit-il, je n’ai tué le conseiller qu’à mon corps défendant. Le meurtre a été l’effet du hasard, et c’est lui qui m’a porté le premier coup....

« – Qu’importe, interrompis-je, hâtez-vous de me dire comment, après avoir été pendu, vous voilà plein de vie et de santé.

« – Oh ! bien, répliqua-t-il avec un aplomb incroyable, j’ai été mort et j’ai repris vie. C’est mon secret.

« – Allons donc, m’écriai-je en éclatant de rire, avouez plutôt que vous avez eu des amis qui ont arrangé les choses, avant, pendant et après la pièce, de façon à vous procurer une pendaison de théâtre.

« – Croyez-en ce que vous voudrez. Toujours est-il que, comme vous me l’avez dit, me voilà vivant et bien portant, alors que tout Bonn me croit couché depuis six mois dans le cimetière des suppliciés.

« – Mais, comment avez-vous adopté une profession aussi pénible, aussi infime ?

« – Si je vous disais que c’est à titre d’expiation, j’aurais peut-être la chance de me faire croire de vous ; mais je préfère vous avouer la vérité. J’ai un vieux père que j’ai laissé vivre seul et à l’aventure pendant de longues années. Un remords m’a pris. Je l’ai rejoint. Il était étameur, et ne pouvant plus guère travailler, il m’a supplié de reprendre son état que tous ses ancêtres ont exercé, et pour lequel il a un véritable culte. J’y ai consenti d’autant plus volontiers qu’ayant passé quelque temps chez un cultivateur, après mon aventure, j’ai pris un tel goût pour cette existence, qu’elle est devenue mon seul désir.

« – Et c’est pour cela que vous vous êtes fait chaudronnier ! Je ne vois pas quel rapport...

« – Rien de plus clair pourtant : je me suis dit qu’en parcourant les villages, il m’arriverait infailliblement de rencontrer sur mon chemin quelque fille de fermier dont il ne me serait pas difficile de me faire aimer. Dès mon début dans ma nouvelle carrière, j’ai eu cette heureuse chance. À quelques lieues d’ici, dans la vallée de l’Amblève, au village de Sougnez, j’ai fait la connaissance d’une jeune fille qui m’irait fort, et à laquelle il paraît que je conviens également. J’en ai reçu l’aveu de sa propre bouche... J’espère donc dans peu de temps pouvoir satisfaire mes goûts champêtres ; goûts très-vertueux et qui doivent achever de m’assurer la discrétion que vous m’avez promise, n’est-ce pas ?

« – Vous pouvez être tranquille, lui dis-je. Obéir au vœu de son père, vouloir se marier honnêtement, modestement, se faire laboureur, c’est une trinité de sentiments louables au plus haut degré. Vous êtes dans une bonne voie, persévérez-y et, quel que soit votre passé, Dieu vous favorisera, je l’espère.

« La pluie ayant cessé, je me séparai de Tobias Zimger qui alla se remettre à l’ouvrage avec une simplicité et un courage que j’admirai intérieurement.

« Me trouvant à Spa pour quelques jours, je me suis rappelé que j’étais non loin de Sougnez, et je suis venu dans la double intention de voir le pays et de connaître l’issue des amours de Tobias. Je vous laisse à juger ce que j’ai éprouvé en apprenant, dès mon arrivée en ce village, des aventures bien autrement étonnantes que celles dont ce ténébreux personnage a été précédemment le héros. Maintenant je vais vous dire ce que je pense et ce que je me propose de faire. »

 

 

 

XIII

 

 

« On conçoit que les dernières paroles du baron de Neuhoff, – c’est toujours le curé de Sougnez qui parle, – éveillèrent au plus haut degré mon attention.

« Le fils de l’ex-roi de Corse reprit en ces termes :

« – Pour vous faire immédiatement comprendre où je veux en venir, je vous déclarerai que, selon moi, Tobias, exaspéré contre cette jeune fille et son fiancé, a joué une abominable et sacrilège comédie pour arriver à une vengeance raffinée qui est, d’après ce que je vous ai dit, tout à fait dans le caractère qu’il nous a révélé à Bonn. Comment il s’y est pris pour arranger avec tant d’habileté la mise en scène de sa mort et de son enterrement, pour apparaître en public déguisé en astrologue au moment où il était censé étendu sur sa couche mortuaire ? c’est ce que la suite nous apprendra peut-être. – Sait-on où est son père en ce moment ?

« – Il a été vu en dernier lieu à Dolembreux, où, quand on lui a parlé des apparitions de son fils et de ce qui s’en était suivi, il s’est caché le visage dans les mains et a sangloté au point que tous les assistants ont eu pitié de lui. Le lendemain il est parti sans dire où il allait.

« – Vos environs offrent des cavernes, des fourrés où l’on peut se cacher pendant le jour ?

« – Oh ! rien de plus facile.

« – Eh bien, monsieur le curé, dit le baron en se levant, je vais ce soir même regagner Spa d’où je reviendrai lundi soir muni des objets nécessaires au but que j’ai en vue. Je vous demanderai simplement de me faire un plan de la localité et de me permettre de rester le jour confiné chez vous, à l’insu de tout le monde. La nuit, je me mettrai en course... Il s’agit d’une traque au mort, pour me servir de l’expression que j’ai entendue au cimetière. À moins que le soi-disant revenant ne renonce à ses atroces fredaines et ne quitte le pays, je compte bien le faire passer à l’état de mort sérieux.

« En ce moment entra M. Maupoirier. Je le mis en peu de mots au courant de l’histoire que je venais d’entendre, et lui fis part des projets du colonel de Neuhoff. Il les approuva, mais à ses yeux il ne fallait pas aller bien loin pour atteindre Tobias et lui percer le cœur : il n’y avait qu’à s’embusquer dans le jardin du presbytère, qui longe le cimetière.

« – Nul doute, monsieur, dit l’honnête justicier, nul doute que dès que cessera la nouvelle lune, le Vampire ne regagne sa tombe. Oui, le Vampire, car vous ne pouvez contester les apparitions... et nous savons tous qu’il y a eu mort réelle, ensevelissement, mise au cercueil, enterrement... »

« Le colonel se borna à sourire, et prit congé de nous en nous promettant de nouveau d’être de retour trois jours après, dans la soirée.

 

 

 

XIV

 

 

« Mon entrevue avec le colonel de Neuhoff avait eu pour résultat de me faire partager la conviction qui l’animait, et j’essayai à mon tour de la communiquer à M. Maupoirier. Nous passâmes une partie de la nuit à discuter. Je perdis non-seulement mes peines, mais il arriva que ses objections me troublèrent de plus belle.

« D’abord l’existence du Vampirisme était pour lui, comme on le sait, une espèce d’article de foi ; il l’admettait comme une des nombreuses manifestations de la justice ou de la colère céleste ; puis il s’appliqua à me démontrer l’impossibilité d’expliquer, par des raisons purement naturelles, les faits matériellement acquis jusque-là.

« Une visite que je fis le lendemain à Pétronille et à Pascal acheva de me plonger dans de nouvelles perplexités !

« La jeune fille faisait pitié à voir ; elle n’était plus que l’ombre d’elle-même. Quant à son futur, que je trouvai également fort changé, il n’avait plus vu le revenant depuis sa rencontre avec lui près de Florzé ; mais il me raconta que son chien avait pendant la nuit hurlé d’une façon qui ne lui était pas habituelle, et que, le matin, la pauvre bête avait été trouvée morte sans qu’on eût découvert sur elle aucune blessure.

« Cet incident me fit craindre quelque nouvelle tentative. – Pourvu, me disais-je, que le colonel n’arrive pas trop tard !... – Aussi recommandai-je aux deux victimes de tâcher de se procurer des veilleurs. Hélas ! Pascal, à part sa vieille mère, Pétronille, à part son père, ne purent trouver personne qui consentît à passer la nuit auprès d’eux. La terreur était au comble.

« Enfin, le lundi soir, arriva le baron de Neuhoff, si bien accoutré en paysan que j’eus peine à le reconnaître. Il portait une carabine cachée sous sa blouse.

« – Monsieur le curé, dit-il, Dieu semble vouloir favoriser notre entreprise. Il entrait dans mon plan de campagne de découvrir d’abord la retraite du vieux Zimger. J’ai mis quelqu’un sur ses traces, et j’ai appris qu’il loge en ce moment dans une maison isolée qui se trouve en dessous du hameau de Cornemont. Or, il existe évidemment des rapports entre le père et le fils... Le premier doit fournir aux besoins du second, caché aux environs. Surveiller à la fois le refuge du vieux, la maison de Pascal et celle de Pétronille, voilà le seul moyen d’arriver à nos fins.

 « – C’est fort bien conçu, monsieur le baron, mais pour cela il faudrait que vous eussiez le don d’ubiquité.

« – Oh ! soyez tranquille. J’ai pourvu à tout, seulement vous allez avoir une lourde charge. Trois hôtes à la fois !... Dans un instant deux de mes amis me rejoindront ici.

« Peu après, en effet, je vis entrer deux jeunes gens dont l’air comme il faut se dissimulait mal sous les blouses bleues dont ils étaient également recouverts. L’un était d’une haute stature et portait une longue chevelure noire : il s’appelait le vicomte d’Aglare et était Français ; l’autre, blond et plus petit, était Anglais et se nommait lord Ellis. Le courage et la résolution se manifestaient du reste chez eux à un égal degré.

« Ces messieurs examinèrent longtemps le plan que j’avais dressé, et voici comment ils se partagèrent les rôles :

« De Neuhoff surveillerait Égide Zimger en se plaçant dans un bouquet d’arbres qui couronnait une butte d’où l’on dominait les alentours de la maison où il était installé. D’Aglare aurait la surveillance de la demeure de Pascal, et lord Ellis de celle de Pétronille. Comme je ne pouvais les accompagner sur les lieux sans craindre d’éventer la mèche, je m’efforçai de leur donner des indications tellement précises qu’ils devaient trouver leurs postes sans peine, les censes étant isolées et offrant des caractères faciles à reconnaître. – On était dans le dernier quartier de la lune, et la nuit ne manquait pas de clarté.

« Vers neuf heures, de Neuhoff proposa de faire une reconnaissance des lieux. Il y a derrière mon presbytère une prairie entourée d’une haie qui aboutit à un chemin creux conduisant dans la campagne. Il fut convenu que, chaque fois, ils sortiraient et rentreraient par là, pour n’être vus de personne.

« – Mes amis, dit le baron à ses deux compagnons au moment de sortir, il est bien entendu que si nous venons à rencontrer l’être malfaisant que nous recherchons, nous devons éviter de le frapper mortellement. Tirons aux jambes. Il nous le faut vivant pour qu’il soit bien prouvé, même aux plus crédules, qu’il n’y a, dans tout ce qui s’est passé, rien de surnaturel. Nous le forcerons à s’expliquer ; sans cela la ridicule et funeste légende des Vampires sera enrichie d’un chapitre de plus.

« Là-dessus, ils me dirent au revoir.

« Je résolus de ne pas me coucher, pour être là au moment de leur retour.

 

 

 

XV

 

 

« Vers cinq heures, d’Aglare et Ellis rentrèrent.

« Chacun avait trouvé un endroit d’où il devait infailliblement voir quiconque tenterait de s’approcher des habitations qu’il s’agissait de surveiller. Mais leur attente avait été vaine.

« Le jour allait poindre, et le baron de Neuhoff ne paraissait pas. L’inquiétude commençait à nous gagner, lorsque nous entendîmes un bruit de pas dans le corridor. C’était lui. Interrogé sur les causes de ce retard, il nous raconta ce qui suit :

« – Personne, dit-il, n’est sorti de la maison de Cornemont où loge Égide ; personne ne s’en est approché, pendant les six longues heures que j’ai été aux aguets. Une séance peu récréative, messieurs, et il faut vraiment être soldats comme nous pour y tenir ! Vers quatre heures, je me suis mis en route pour revenir ici. J’avais dépassé le hameau de Hodchamps, lorsque, d’une gorge que j’avais à ma droite, j’ai entendu sortir un cri qui m’a paru ne ressembler à celui d’aucun animal du pays. Un autre cri à peu près semblable y a répondu de la hauteur. Je me suis arrêté court et me suis blotti dans une haie déjà à demi-feuillue. – Serait-ce un appel ? me demandai-je. Attendons. – Le même cri a été répété à quatre reprises, et chaque fois il y a été répondu de la même manière. Puis j’ai entendu un bruit de branches froissées. Alors je me suis laissé glisser dans le fourré : un trou profond, aux parois boisées, s’ouvrait devant moi, un sourd murmure s’en échappait.

« – Vous étiez auprès du chantoir de Warnoumont, interrompis-je.

« – Un chantoir ? Qu’est-ce cela ?

« – Nous appelons ainsi des excavations où des ruisseaux s’engouffrent, pour réunir probablement leurs eaux dans la grotte de Remouchamps. Nos environs en possèdent un grand nombre. Il en est dont l’entrée forme une caverne assez vaste, comme ceux d’Adseux, du Coq...

« – Ceci est bon à savoir. Cependant je suis resté plus d’une heure en observation sans rien voir, sans plus rien entendre. Que pouvaient signifier ces cris ?

« – N’avaient-ils pas quelque analogie avec celui de la chouette ?

« – Oh ! ils étaient bien autrement forts.

« – Ils pouvaient provenir d’un grand-duc, appelant sa femelle. Il se trouve dans nos parages beaucoup de ces oiseaux de proie nocturnes.

« Cette explication fut jugée vraisemblable, et mes hôtes fatigués se couchèrent après avoir déjeuné. Ils se levèrent pour dîner, et l’après-midi se passa en causeries qui me récréèrent beaucoup, car c’étaient trois hommes instruits et qui avaient eu une vie extrêmement aventureuse.

« Le lendemain matin, quand ils furent réunis après une nuit passée aussi vainement que la précédente, je leur soumis à tout hasard une idée qui me semblait mériter leur approbation : il s’agissait d’arrêter Égide dans les formes légales, ce qui certes se pouvait faire, et de tâcher d’obtenir de lui des aveux en employant tous les moyens en notre pouvoir.

« Le baron fit une grimace qui me prouva tout de suite que le projet ne lui allait pas. Il le combattit en effet par des raisons trop longues à énumérer et auxquelles je me ralliai d’autant plus volontiers que je vis bien qu’il entendait dénouer la chose à sa façon.

« – J’ai, dit de Neuhoff en finissant, à vous proposer mieux que cela, je pense. Un jour avait été fixé pour le mariage de Pascal et de Pétronille, n’est-ce pas ? Nous approchons de ce jour.... Il faut que la cérémonie ait lieu, comme si rien ne s’était passé...

« – C’est impossible ! m’écriai-je. Comment voulez-vous qu’ils songent à cette union dans de pareilles circonstances ?

« – Je comprends que, livrés à eux-mêmes, ils auraient de tout autres préoccupations. Mais je suis persuadé que si vous leur montrez la bénédiction nuptiale comme devant les débarrasser à jamais de leur persécuteur, ils vous écouteront. Il dépend donc de vous de leur faire prendre une détermination qui poussera le prétendu Vampire à frapper un dernier coup, et le fera tomber dans nos filets. Je ne vois que ce moyen pour en finir promptement. Visitez donc immédiatement les futurs, décidez-les, et publiez les bans dimanche prochain.

« Je ne pouvais me dissimuler que le raisonnement du baron ne fût d’une parfaite justesse, et je me rendis Sur-la-Heid pour parler à Ziane. Je vis sur le seuil de la porte plusieurs commères qui s’entretenaient d’une façon fort animée. Dès qu’elles m’aperçurent, elles m’apprirent, d’une voix gémissante, que dans la nuit Pascal avait revu le Vampire et reçu de lui une nouvelle morsure, quoique toutes les issues de sa chambre fussent barricadées. Je me hâtai de me rendre auprès du jeune homme. Je le trouvai au lit, pâle, défait, plongé dans une espèce de stupeur dont ma présence le fit à peine sortir. Il me confirma les détails qu’on venait de me donner. Effectivement, il me parut que la blessure qu’il avait au cou était de nouveau saignante. Il m’assura avoir verrouillé sa porte le soir et, en outre, placé devant celle-ci une table surmontée de deux chaises. Quant aux fenêtres, clouées à l’intérieur, elles n’avaient certainement pas été ouvertes. Pendant que j’inspectai ainsi la chambre, il m’arriva de jeter les yeux au plafond qui était très-bas. Juste au-dessus de la porte se trouvait une trappe communiquant avec le grenier. Je la poussai et elle s’ouvrit aussi tôt. « Il sera entré par là », dis-je à Pascal qui fit un signe affirmatif, ferma les yeux et frissonna de tous ses membres. J’abordai aussitôt la question qui m’avait amené. Je montrai au malheureux le mariage comme une arche de salut. « Vous aurez l’un et l’autre, lui dis-je, un nouvel ange au ciel, l’ange des époux, qui veillera sur vous. » Il accepta ma proposition, et je me dirigeai vers Playe pour entretenir Pétronille du même objet. Elle n’avait plus rien vu et je me gardai bien de lui parler de ce qui était arrivé à son fiancé. Je parvins à obtenir aussi son consentement.

 

 

 

XVI

 

 

« Quand, de retour à mon presbytère, je racontai à de Neuhoff et à ses deux amis la nouvelle apparition de Tobias, lord Ellis, qui avait passé la nuit à rôder autour de la haie qui entourait la maison Ziane, déclara la chose impossible. De Neuhoff se promenait de long en large et semblait méditer. Après un assez long silence, il dit enfin :

« – Ma pensée reste flottante. On peut admettre ce nouveau trait d’audace et d’habileté, comme on peut croire à une simple vision, fruit de la peur. Généralement le fantôme existe pour celui qui en a la perception ; et que ne peut son apparition sur une imagination enflammée ? Tout ce que nous avons à faire, c’est de redoubler de surveillance et d’attendre.

« La nuit s’écoula, et les traqueurs funèbres, comme ils s’appelaient eux-mêmes en riant, revinrent en me disant qu’ils avaient fait bredouille, mot qui, par parenthèse, me parut bien léger dans ce cas sérieux.

« Vers le soir, je reçus la visite de l’officier de justice. Je devinai à son air quel était l’objet qui l’amenait.

« – Nous voici, me dit-il, hors de la nouvelle lune. Il a été convenu qu’une seconde exhumation aurait lieu. Il ne faut pas qu’elle soit différée d’un seul jour. Je viens donc vous proposer d’y procéder demain dans la matinée.

« Je regardai le colonel qui se hâta de dire, en fronçant les sourcils et en haussant les épaules :

« – Eh ! bon Dieu, cher bailli, renoncez donc à ces malencontreuses idées de Vampirisme... Vous rendez la partie par trop belle au misérable qui se fait un affreux plaisir de se jouer de votre crédulité à tous.

« – Monsieur le baron, répliqua le bon justicier avec douceur, si, comme vous le prétendez, il y a préjugé, superstition, c’est une raison de plus pour aller au fond des choses. Puis les habitants de la contrée réclament impérieusement cette mesure. Il n’y a donc pas moyen de s’y soustraire. Je viens, d’ailleurs, vous déclarer, mais sans pouvoir m’expliquer ouvertement, que j’ai des motifs pour croire que le cercueil ne sera plus vide cette fois...

« Le baron, à cette révélation qui me stupéfia, échangea avec ses compagnons un regard que je ne pus bien définir, et dit avec un sérieux qui me surprit :

« – Ah ! c’est ainsi... Alors il est inutile que nous sortions cette nuit.

« Le lendemain, dimanche, à la grand’messe, je publiai, au grand ébahissement de l’assistance, les bans de mariage de Pascal Ziane et de Pétronille Thonon.

 

 

 

XVII

 

 

« Le langage que nous avait tenu M. Maupoirier, le jour précédent, m’intriguait au plus haut degré, et, l’office terminé, je me rendis auprès de lui pour l’interroger. Il augmenta ma curiosité en me disant que lui aussi avait veillé, mais autour du cimetière, et que – ce qu’il avait vu, – ce que l’on verrait – allait confirmer solennellement ses prévisions.

« Je ne pus rien obtenir de plus.

« Je laisse à penser avec quelle impatience j’attendis l’heure où la fosse de l’Allemand allait être de nouveau fouillée.

« Les vêpres finies, on se mit à l’œuvre.

« Je n’exagère pas en disant qu’en ce moment le village renfermait plus de deux mille personnes. Le cimetière et ses alentours ressemblaient, d’après une comparaison que j’ai lue quelque part, à une mer dont chaque flot porterait une tête humaine.

« Toutes les figures peignaient l’anxiété, toutes les respirations étaient arrêtées, tous les cœurs battaient violemment.

« Le fossoyeur creusait, creusait avec une activité fiévreuse. Tout à coup sa bêche souleva et fit tomber à mes pieds deux planchettes adhérentes que je n’avais pas vues la première fois.

« Je les ramassai, lorsque le fossoyeur me dit :

« – Mais le cercueil ne paraît pas ! Se serait-il enfoncé tout seul ? »

« Et il se remit à enlever de nouvelles pelletées de terre. Un peu après, je l’entendis s’écrier :

« – Plus de cercueil ! plus de cercueil !

« Au moment où il prononçait ces paroles, qui furent répétées par les assistants en une immense clameur, je séparai les planchettes : un papier s’en échappa.

« Le bailli Maupoirier le ramassa d’une main tremblante. Il me le tendit après l’avoir parcouru des yeux. Il contenait ces lignes, écrites en français, mais avec des caractères assez bizarres, quoique parfaitement lisibles :

 

« Mon pèlerinage était accompli dans la mort comme il l’avait été naguère dans la vie. J’allais reposer ici pour toujours. Malheur à ceux qui me forcent à chercher ailleurs mon dernier asile ! »

« TOBIASZIMGER. »      

 

« J’avais lu ce billet à haute voix. L’effet en fut indescriptible. Les femmes surtout emplissaient l’air de cris et de lamentations. On eût dit que la fin du monde allait arriver. Il était de mon devoir d’essayer de calmer cette foule véritablement affolée de surprise et de terreur ; mais j’étais trop ému moi-même pour oser l’entreprendre.

« Accompagné de M. Maupoirier, je rentrai au presbytère où les trois étrangers, cachés derrière les rideaux d’une fenêtre de l’étage, avaient tout vu et tout compris.

« Notre premier soin fut de demander à l’officier de justice l’explication de ses paroles de la veille.

« Le bonhomme nous raconta que, toutes les nuits, il était venu se poster dans mon jardin ; que, dans celle de vendredi à samedi, il avait vu une forme humaine déblayer la fosse de Tobias ; qu’il n’avait pas douté que ce ne fût le Vampire qui venait reprendre possession de sa dernière demeure, et qu’il s’était retiré aussitôt de crainte que sa présence ne fût un obstacle à l’achèvement de l’œuvre mystérieuse qui s’accomplissait.

« Pendant ce temps le baron de Neuhoff mordillait sa moustache et arpentait la chambre en murmurant :

« – Bien imaginé ! décidément il est fort, très-fort, dans son rôle... rôle insensé après tout... le théâtre est étroit, le profit nul... Ah ! quelle étrange organisation !

« Puis s’adressant au magistrat :

« – Quel dommage, cher monsieur, que vous ne soyez pas resté un peu plus longtemps aux aguets ; vous auriez vu le bateleur emportant son cercueil sur son dos comme une limace sa coquille, et en le suivant vous eussiez su où est son repaire. Vous admettez sans doute à présent que s’il doit être pris, ce sera, d’après le proverbe, en chair et non en bière ?

« M. Maupoirier hocha la tête et jeta sur son interlocuteur un regard qui, pour moi, signifiait qu’il le plaignait de son incrédulité et jugeait inutile de discuter avec lui.

 

 

 

XVIII

 

 

« Vers dix heures du soir, les trois seigneurs partirent pour faire leur ronde accoutumée. Comme j’étais trop agité pour aller me coucher, je résolus de faire une promenade le long de la rivière. En passant devant le cabaret du Genévrier, je vis le père Thonon assis à une table. Je l’appelai et lui reprochai son absence de chez lui à une heure pareille. Il me répondit qu’il avait décidé de s’amuser ce soir-là, et que ni morts ni vivants ne l’en empêcheraient. Je m’aperçus qu’il était complétement ivre. Cependant, sur mes instances, il me promit de partir après avoir vidé une dernière roquille. Quand je repassai, je vis en effet qu’il avait quitté le cabaret.

 « À une heure après minuit, j’entendis ma porte de derrière s’ouvrir bruyamment et mes escaliers retentir sous des pas précipités. Je me hâtai de me lever et me trouvai en face du vicomte d’Aglare.

« – Eh bien ! lui demandai-je vivement, que s’est-il passé ?

« – Je l’ai vu, me répondit-il d’une voix entrecoupée ; il tournait l’angle de la maison... J’ai tiré... la fumée de la poudre l’a dérobé à mes yeux. Mais j’ai entendu un cri... je suis accouru... j’ai regardé à mes pieds, autour de moi... rien... Je n’ai pu tenir plus longtemps en place ; voilà pourquoi je suis revenu sitôt.

« Peu après, nouvelle cause d’étonnement pour moi, en voyant rentrer le colonel avec un air effaré.

« – Ah ! vous êtes ici ! dit-il au vicomte. Que s’est-il donc passé ? J’ai entendu un coup de fusil qui semblait parti de Playe. Je me suis hâté de m’y rendre. Je vous ai cherché... Il y avait de la lumière, on parlait dans la maison de Thonon. Je ne savais que faire. Voilà pourquoi je suis ici.

« Pendant que d’Aglare répétait au baron ce qu’il venait de me raconter, je fus frappé d’un trait de lumière. Je demandai à d’Aglare si l’homme qu’il avait visé ne portait pas un chapeau à larges bords et une longue blouse. Sur sa réponse affirmative, je racontai ma rencontre avec le père de Pétronille, et nous restâmes convaincus que c’était lui qui avait été pris pour Tobias.

« Nous eûmes le matin la preuve que nous ne nous étions pas trompés. Heureusement que le censier n’était pas blessé. Quant à sa disparition subite, elle s’expliquait facilement. Il était, au moment où d’Aglare tirait sur lui, en face de la porte de l’étable restée entr’ouverte, il s’y était précipité et l’avait refermée à l’instant.

« Il va sans dire que dans l’opinion de tout le monde, le fait fut mis sur le compte du Vampire et que l’idée qu’il disposait d’armes à feu accrut encore la profonde terreur qu’il inspirait.

« De Neuhoff, avec sa rare sagacité, avait compris combien cet incident était de nature à compromettre le succès de leur entreprise. Aussi s’en désolait-il grandement :

« – Nous n’attraperons pas le coquin, dit-il. Il doit savoir maintenant qu’il est surveillé, il se méfiera et ajournera son œuvre diabolique, ou bien y renoncera tout à fait. Il restera impuni. À quoi bon nous morfondre désormais à l’attendre ? Nous partirons dès ce soir. Quel dommage pourtant ! L’aventure était piquante, et jamais plus nous n’aurons à faire pareille traque.

« – Partir, déjà. Oh ! messieurs, vous n’en ferez rien, j’espère. Songez que ce mariage qui va se conclure est votre ouvrage... attendez au moins jusqu’à ce qu’il ait eu lieu. Ou Tobias a des doutes, ou il ignore tout. Dans l’un ou dans l’autre cas, votre présence portera ses fruits.

« Ces raisonnements eurent un plein succès, et il fut décidé qu’il ne serait rien changé aux précédentes dispositions. Seulement, comme le coup de fusil dont Thonon avait failli être la victime avait naturellement réagi sur l’esprit de Pascal et de Pétronille, je fus autorisé à les informer, confidentiellement, qu’on veillait sur eux, sans toutefois les renseigner davantage.

« Le soir, au moment où ils allaient partir, le baron dit à ses amis :

« – Voilà six nuits que nous passons au même endroit. C’est monotone. Je propose un échange. Moi je prendrai le poste de Playe.

« – Fort bien, c’est convenu ! s’écrièrent d’Aglare et lord Ellis.

« Là-dessus ils s’éloignèrent avec les mêmes précautions qu’ils prenaient chaque fois pour ne pas être vus. Et je dois dire que le secret de leur présence chez moi avait été si bien gardé, que personne dans le village n’avait le moindre soupçon à cet égard. C’est que, ma sœur faisant mon ménage, je n’avais à mon service aucune personne étrangère.

« Après leur départ, malgré l’heure avancée, j’allai au Brou pour causer avec l’officier de justice qui avait l’habitude de veiller très-tard.

« – Je viens, dit-il, en me montrant un livre ouvert, de faire une découverte qui me fortifie dans mes convictions. Ceux que Dieu a retranchés du nombre des vivants et à qui il permet, pour des raisons que lui seul connaît, de revenir sur la terre, possèdent des dons qui leur assurent une grande supériorité sur nous.

« – Où voulez-vous en venir ? lui demandai-je.

« – Comment ! vous ne comprenez pas ? Lisez cette phrase du livre que vient de publier Don Calmet : « Les Vampires sont voyants, c’est à dire qu’ils ont la conscience des choses éloignées ou futures. » Il n’est donc pas surprenant que Tobias ait jusqu’à présent échappé à vos beaux messieurs. Des incrédules ! des hommes qui refusent d’admettre comme possible un fait dont il existe des centaines d’exemples établis juridiquement dans divers pays !... Je ne comprends pas la patience du Vampire envers eux. Il n’ignore certainement aucun de leurs actes, de sorte qu’on pourrait bien voir l’inverse de ce qu’on espère... Dieu sait si les traqueurs ne seront pas en réalité les traqués.

« Cette fois encore je fus frappé de la conviction inébranlable qui animait M. Maupoirier, et ballotté sans cesse entre sa crédulité, appuyée de livres et de journaux, et le scepticisme absolu du baron de Neuhoff, je subissais une véritable torture morale. Je me couchai donc sous l’empire des craintes que mon ami m’avait inspirées pour ces hommes courageux auxquels je m’étais sincèrement attaché.

 

 

 

XIX

 

 

« À peine commençai-je à sommeiller qu’il me parut entendre une grande rumeur devant mon presbytère. Je me levai et regardai par la fenêtre. La rue était remplie de monde, des lumières s’allumaient comme par enchantement dans les maisons voisines. Au même moment ma porte retentit sous plusieurs coups frappés avec violence.

« – Mon Dieu ! m’écriai-je, notre bailli aurait-il eu raison ? Un malheur serait-il arrivé à quelqu’un de mes hôtes ?

« Je m’habillai à la hâte et je descendis ouvrir. La première personne qui m’apparut fut le vicomte d’Aglare :

« – Vite, monsieur le curé, me dit-il, vite à Playe, votre place est là, tout est fini...

« – Quoi ! Tobias ?...

« – Le mort est tué, interrompit le vicomte en appuyant sur ces mots. De plus, nous tenons le vieux Zimger vivant. Mais vous apprendrez tout sur les lieux ; partons, partons ! »

« Nous nous mîmes en route, suivi de plusieurs centaines de personnes, rassurées par la nouvelle que Tobias avait été « frappé au cœur », ce qui, d’après le dire de M. Maupoirier, le mettait désormais dans l’impuissance de nuire.

« Tout en cheminant, j’interrogeai d’Aglare pour connaître les détails de l’évènement. Il me répondit qu’il était préférable que je les entendisse de la bouche du baron de Neuhoff.

« Nous arrivâmes enfin à Playe, et voici ce que nous vîmes :

« Devant la maison Thonon était allumé un grand feu, près duquel était debout lord Ellis, son fusil à la main, et une trentaine de paysans armés de divers instruments. Lorsque je fus près d’eux, je vis, étendu sur le sol, le corps de Tobias, près duquel était agenouillé son père, qui sanglotait le visage inondé de larmes.

« Ce feu, allumé en guise d’éclairage, donnait à la scène un caractère aussi étrange qu’imposant.

« – Où est le baron ? demandai-je à d’Aglare.

« – Il est dans l’intérieur de la maison... légèrement blessé. »

« Nous entrâmes chez Thonon. Là aussi je vis un spectacle que je n’oublierai jamais. Dans un fauteuil était assise Pétronille, revenue d’un long évanouissement et à qui son père baignait les tempes, pendant que sa mère et deux ou trois autres femmes priaient à haute voix devant un crucifix. Sur un lit était étendu le baron de Neuhoff, la poitrine découverte et labourée de blessures dont un paysan était occupé à étancher le sang.

« À ma vue, le baron me fit signe de m’asseoir auprès de lui, et se hâtant d’aller au-devant de la question que j’allais lui adresser, il me dit :

– « Soyez tranquille, mon cher curé, ce ne sont que des blessures peu graves. Elles ne peuvent m’empêcher de vous mettre au courant de ce qui s’est passé. Peu de mots me suffiront du reste. Tout s’est fait si rapidement ! – Je m’étais embusqué dans le bouquet de houx qui se trouve en face du pignon occidental de la maison. On ne pouvait approcher de celle-ci sans que je le visse. Deux heures s’étaient écoulées, lorsque mon attention fut attirée par un bruit qui se fit dans la haie du verger situé en face de la porte d’entrée. J’avais le bras appuyé sur ma carabine, qui reposait horizontalement sur deux branches fourchues. J’allais la saisir, lorsqu’elle fit un mouvement de recul et disparut derrière moi. Je me retournai et me vis en présence d’un homme de haute stature qui me couchait en joue avec mon arme. Je reconnus à l’instant la face pâle de Tobias qui me dit d’une voix sourde : « Baron de Neuhoff, recommandez votre âme à Dieu ! » – Deux coups partirent à la fois ; mais les balles rencontrèrent des branches qui les firent dévier, et, vrai miracle, je ne fus pas atteint. Une seconde ne s’était pas écoulée que je m’élançai sur mon agresseur et engageai avec lui une lutte corps à corps. Nous roulâmes tous les deux sur le sol. Chacun de nous avait un poignard que nous parvînmes à dégainer. Je me sentais labourer la poitrine, mes forces déclinaient, je me crus perdu et appelai du secours, sans espérer toutefois en obtenir. Je me trompais ; je vis accourir un homme, celui qui tout à l’heure baignait mes blessures. À son aspect, mon adversaire fit un mouvement qui me permit de dégager mon bras droit et de lui enfoncer mon poignard dans le cœur. Au même instant, je vis se pencher sur moi le vieux chaudronnier ; il allait me porter un coup de couteau lorsque l’homme dont j’ai parlé arrêta son bras et le renversa. Nous le garrottâmes, pendant que son fils se débattait dans une affreuse agonie. – D’Aglare, qui de Cornemont avait entendu la double détonation, arriva peu après au galop. Il alla annoncer la nouvelle dans le hameau, où le bruit qui venait de se faire avait éveillé plusieurs personnes. Les plus courageux se hasardèrent à sortir. Bientôt tout le monde fut sur pied, et le cri : « Le Vampire n’est plus ! » frappe sans doute en ce moment les échos de toutes vos vallées, retentit sur le sommet de toutes vos montagnes. Entendez-vous comme la foule grossit au dehors !

« – Béni soit le Ciel, m’écriai-je, de nous avoir délivrés d’un hôte aussi dangereux ! Soyez béni vous-même, homme courageux et dévoué qui avez été en ceci l’instrument visible de Dieu.

 

 

 

XX

 

 

« En ce moment arrivèrent le mayeur et les échevins.

« Après avoir entendu le récit des faits de la bouche du baron et les avoir consignés par écrit, ils ordonnèrent que le vieux Zimger comparût devant eux.

« Ai-je besoin de dire avec quelle avidité nous attendions l’interrogatoire du vieillard, dont les aveux devaient nous donner le mot de cette sombre et tragique énigme.

« Hélas, nous fûmes cruellement déçus. Il était dans un état de prostration complète ; son regard fixe et morne semblait annoncer l’absence de la pensée. Quoi qu’on fît, on ne put lui arracher une seule parole. L’interrogatoire fut donc forcément ajourné, et on le conduisit dans la prison de la cour de justice de Remouchamps, comme complice de son fils.

« Lorsque le jour fut venu, on dut s’occuper de donner la sépulture à Tobias. Grave embarras en présence de la croyance que M. Maupoirier avait enracinée dans les esprits, et qui, du reste, subsistait encore chez lui. La dépouille mortelle du coupable était, par le fait, dévolue à l’officier de justice. Rapporterai-je ce qu’il en fit avant de la livrer à la terre ? Ma plume s’y refuse. Je me bornerai à dire qu’il voulut observer, point par point, tout ce que prescrit la Magia Posthuma à l’égard des Vampires... Le cœur percé d’un fer rouge, la tête coupée...

« Une fosse avait été creusée sur un des plateaux déserts qui couronnent notre vallée, au lieu dit Hodister, au-dessus du Trou des Sottais, ou grotte de Remouchamps. Le corps allait y être déposé lorsqu’on apprit que le vieux Zimger avait été trouvé mort dans sa prison, – emportant ainsi avec lui un secret dont la révélation devait, au dire du baron de Neuhoff, expliquer, par des raisons toutes naturelles, les évènements extraordinaires que j’ai pris à tâche de raconter, persuadé que, dans tous les cas, ma relation ne sera ni sans intérêt ni sans fruit.

« La même fosse reçut les restes du père et ceux du fils ; et quoique plusieurs années se soient écoulées, quoique Pascal et Pétronille forment un couple heureux et paisible, aucun pâtre n’irait faire paître son troupeau, aucun écobueur n’irait essarter la bruyère aux alentours du lieu où les deux chaudronniers dorment, – d’un sommeil dont ils ne se réveilleront sans doute qu’à l’heure du jugement dernier. »

 

Ici se termine, dans le manuscrit de M. Houssonloge, l’histoire qu’il a lui-même intitulée la Traque funèbre. On voit que le bon et sensé curé ardennais a préféré se taire sur les côtés obscurs qu’elle présente, plutôt que de se livrer à des conjectures hasardées. Pour notre part, nous ne regrettons pas une discrétion qui permet aux lecteurs amis du merveilleux de se satisfaire amplement, et offre à ceux qui tiennent à connaître les raisons des choses de quoi exercer largement leur perspicacité. – « Quoi ! dira-t-on, pas même un mot touchant le colonel Frédéric de Neuhoff, cette noble et intéressante figure ?... » Hélas ! toutes les biographies nous apprennent qu’après une vie très-agitée, après avoir publié plusieurs ouvrages sur cette Corse dont son père avait été Roi, le traqueur du « Vampire de Sougnez » se vit réduit à la plus affreuse misère, perdit la raison, et, le 1er janvier de l’année 1757, mit fin à ses jours sous le portique de l’abbaye de Westminster, à Londres.

 

 

Marcellin LAGARDE,

Contes et légendes du Cal de la Salm,

1866.

 

 

 

 



1 On ne peut mieux donner une idée de l’empire qu’exerçait au XVIIIe siècle la croyance au Vampirisme, sur les esprits même les plus sceptiques, qu’en citant les paroles du marquis d’Argens, célèbre philosophe, ami de Frédéric II, de Voltaire et de Diderot. Après avoir raconté avec complaisance une histoire de Vampire qui venait de se passer en Hongrie, il ajoute ces mots : « Grâce à Dieu, nous ne sommes rien moins que crédule ; nous avouons que toutes les lumières de physique que nous pouvons approcher de ce fait ne découvrent rien de ses causes. Cependant nous ne pouvons refuser de croire véritable un fait attesté juridiquement et par des gens de probité. »

2 Le baron Théodore de Neuhoff, né à Metz vers 1690, avait eu pour père un capitaine des gardes de l’évêque de Munster, et pour mère Mlle Heun, de Bullange, dans la principauté de Stavelot. Après une existence des plus aventureuses, il résolut de s’emparer de la Corse, révoltée contre les Génois. Grâce à l’appui que lui prêtèrent les Beys de Tunis et d’Alger, il réussit dans son entreprise et se fit proclamer roi en 1736. L’intervention de la France le força à s’enfuir, et il se réfugia à Londres où ses créanciers le tinrent sept ans en prison. Une souscription nationale lui assura les moyens de subsister jusqu’à sa mort, arrivée en 1756.

 

 

 

 

 

 

 

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