L’ombre de Marguerite

 

 

À l’heure qui s’enfuit d’un vol silencieux,

Quand l’aube et quand la nuit luttent encore aux cieux,

Devant la couche étroite où le pasteur s’agite,

Apparut, triste et doux, l’Esprit de Marguerite.

Du lin flottant des morts son front s’était couvert,

Comme un matin d’avril des brumes de l’hiver ;

Et sa main soutenait, blanche encore et glacée,

Les voiles du tombeau dont elle est enlacée.

 

Ainsi, frêles beautés, voilà quel appareil,

Loin des yeux de l’amour attend votre sommeil ;

Et vous, Rois insensés que tant d’heur environne,

Quand la Mort sur vos fronts déliera la couronne.

 

Le hameau se souvient, qu’éteinte avant le temps,

Marguerite a brillé comme un jour du printemps ;

Pareille à l’amandier où la brise se joue,

Au bouton de la fleur entr’ouvert sur sa joue.

Mais l’amour vint, l’amour effaça ses couleurs,

Comme un ver ennemi pâlit l’éclat des fleurs.

Elle tomba ; le prêtre, au sein d’un noir asile,

Emporta, belle encor, la dépouille immobile.

 

« Éveille-toi, pasteur, a murmuré sa voix :

« Je suis ta fiancée ; écoute, approche et vois !

« Vois, du moins en pitié, loin du cercueil ravie,

« Celle que tu troublas en l’une et l’autre vie.

« Je reviens t’accuser ; voici l’heure où les morts

« De l’infidélité visitent les remords.

« Rends-moi ces doux aveux qui m’avaient enivrée,

« Et cette foi crédule à tes serments livrée.

« Pourquoi promettais-tu de m’aimer, si l’amour

« En ton mobile cœur ne peut durer qu’un jour ?

« Et pourquoi de mes yeux attestais-tu les charmes,

« Si tu voulais les fuir et les livrer aux larmes ?

« Pourquoi répétais-tu que mon front était beau,

« Pour voiler son éclat des ombres du tombeau ?

« Hélas ! et pourquoi, moi, pauvre jeune insensée,

« Croire que mon amour était dans sa pensée ?

« Et tu vantais, ingrat, mes lèvres, leur douceur,

« Lorsqu’assis à mes pieds tu rêvais à ma sœur ;

« Et d’un cœur sans détours tu t’es rendu le maître,

« Pour le briser, ce cœur qui t’aime encor peut-être !

 

« Eh bien, ces vains attraits ont perdu leur fraîcheur,

« Et mes lèvres leur pourpre, et mon front sa blancheur ;

« Mes yeux se sont éteints dormant sous leur paupière :

« Quel charme, pensais-tu, peut fleurir sous la pierre ?

« Mon refuge est la nuit, ma parure un linceul,

« Mes derniers compagnons rampent sous mon cercueil.

« Qu’elle a d’horreur, ami, la nuit lente et dernière

« Où du Sauveur divin j’attendrai la lumière.

« Écoute !... Écoute !... Hélas ! déjà près de ce lieu

« Le coq s’éveille. Adieu ; reçois mon long adieu.

« Viens savoir qu’elle est froide, horrible, solitaire,

« La couche où tant d’amour me conduit sous la terre. »

 

Elle a dit : l’alouette, à la porte des cieux,

Chantait ; et le Matin souriait gracieux.

 

Voyez-vous ce pasteur, que le remords déchire,

De la couche obsédée arracher son délire ?

Il erre : il va chercher, sous l’humide gazon,

La place où la victime avait laissé son nom.

Il appuie, en pleurant, son cœur, ce cœur fragile,

Sur l’herbe qui grandit dans la vivante argile.

« Marguerite ! » et trois fois les cris de ses douleurs

T’appellent ; et trois fois s’éteignent dans les pleurs.

Enfin, sur l’humble tertre il s’étendit près d’elle.

L’écho n’entendit plus le nom de l’infidèle.

 

 

 

Henri de LATOUCHE.

 

Paru dans les Annales romantiques en 1826.

 

 

 

 

 

 

 

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