L’auberge de la vieille Tata

 

CONTE GASCON

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Julie LAVERGNE

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À M. Xavier Rondelet.

 

 

IL Y AVAIT une fois un jeune sergent qui revenait de la guerre d’Afrique. Il était blessé, décoré, et il avait obtenu son congé ; mais il lui restait encore plus de cinquante lieues à faire avant d’arriver à son village, et il était si souffrant et si fatigué, qu’il avait bien peur de mourir en route. Quand je dis peur, c’est une manière de parler, car Jacques Bouteselle n’avait pas froid aux yeux, et ses officiers le donnaient en exemple à tous ses camarades. Mais la journée était si chaude, la route si poudreuse et les pieds du pauvre soldat si enflés, qu’il entra dans un petit bois et s’assit au pied d’un arbre, ne se sentant pas la force d’aller plus loin. Bientôt il s’endormit, et, comme cela arrive souvent, le bonheur lui vint en dormant.

Deux petits garçons, accompagnés de leur grande sœur, ramassaient des fraises dans le bois. L’un d’eux aperçut le soldat et, appelant doucement son frère, lui dit :

« Viens donc voir ce troupier qui dort, il a l’air bien malade. »

Le petit frère s’approcha, et tous deux considérèrent avec compassion la figure amaigrie et basanée du sergent, son bras en écharpe et le bandeau qui entourait son front blessé.

La sœur vint aussi, et ils tinrent conseil sur ce qu’il fallait faire.

« J’ai envie de lui donner toutes mes fraises, dit le plus petit.

– Et moi, dit l’autre, ma pièce de deux sous. Nous mettrons tout cela dans son képi, et il sera bien content quand il s’éveillera.

– C’est fort bien, dit la sœur ; mais le soleil va bientôt se coucher, et si ce pauvre soldat dort encore deux heures dans ce bois, il attrapera les fièvres. Il faut l’éveiller et l’emmener chez nous. Allons, Jeannot, éveille-le.

– Je n’ose pas, dit l’enfant ; il est peut-être méchant. Vas-y, toi, José. »

José se baissa et dit tout bas :

« Monsieur le militaire, faut pas dormir là. »

Mais le soldat ne l’entendit pas et continua son somme. Ramonette alors se dévoua et l’appela en le touchant légèrement avec une baguette qu’elle tenait. Bouteselle ouvrit les yeux d’un air étonné et s’assit en disant :

« Ah ! je rêvais que j’arrivais chez nous.

– Vous êtes dans un endroit humide et malsain, monsieur, dit la jeune fille. Il ne fait pas bon dormir ici. Venez chez ma mère, nous aurons bien soin de vous. »

Bouteselle accepta avec joie l’offre de la jeune Ramonette, et, guidé par elle et les petits garçons, qui voulurent porter son sac et sa gourde, il arriva bientôt à la maison de la veuve Raymond.

C’était une vieille auberge d’assez bonne apparence, et qui dans le temps jadis avait dû être un petit château fort. Une tourelle en forme de poivrière dominait le bâtiment, et d’anciens fossés, mis à sec et convertis en potager, l’entouraient de trois côtés encore. Sous la grande porte et sa herse immobile, de nombreuses poules et un gros chien couché tenaient lieu de garnison, et la vigne, et le lierre enveloppaient de leurs guirlandes les créneaux à demi écroulés. Une grande branche de sapin, ornée de rubans fanés, décorait le haut du portail et dominait l’inscription : Ici on loge à pied et à cheval.

Ramonette fit entrer son hôte dans la cuisine, où un petit feu couvait dans une cheminée gothique et faisait bouillir la soupe du soir. La veuve filait sa quenouille, assise près de l’âtre. Elle accueillit le sergent avec bonté et se mit en devoir de le soulager et de le réconforter par tous les moyens que son expérience lui suggéra ; mais il était tellement fatigué, qu’il ne put souper ni repartir le lendemain, et la bonne veuve dut le garder chez elle plus de huit jours. Dès qu’il fut en état de marcher, il voulut prendre congé et payer son écot ; mais Mme Raymond ne consentit ni à l’un ni à l’autre.

« Je vous ai donné l’hospitalité, lui dit-elle, pour l’amour de Dieu et de défunt mon mari, qui avait été soldat comme vous dans sa jeunesse ; je n’accepterai pas un sou pour cela, et je ne vous laisserai partir que quand vous serez tout à fait guéri. »

Bouteselle resta donc à l’auberge, et, comme c’était un garçon laborieux et plein de cœur, il tâcha de dédommager sa charitable hôtesse en lui rendant le plus de services possible. Son aide ne fut pas inutile : bien que Mme Raymond fût une bonne maîtresse, elle ne pouvait garder de domestiques plus de quinze jours ou trois semaines, et ces changements perpétuels dérangeaient fort son ménage. L’auberge en souffrait, les voyageurs devenaient de plus en plus rares, et la bonne veuve se désolait de voir ses affaires si peu florissantes. Bouteselle se hasarda un jour à la questionner et lui demanda comment il se faisait qu’elle changeât si souvent de valets.

« Que voulez-vous ; dit-elle, la maison est hantée par des esprits, à ce qu’on dit dans le village. Pour moi, je n’ai jamais rien entendu, ni mon mari non plus ; mais les domestiques prétendent que la vieille Tata les empêche de dormir, et, depuis quelque temps surtout, ils ne font que passer ici, malgré les bons gages que je leur offre.

– Qu’est-ce que la vieille Tata ? dit Bouteselle.

– C’était une tante de mon beau-père. Elle est morte ici presque centenaire, il y a vingt ans, et elle a laissé un mauvais renom. Elle était avare, très dure et très méchante. À la révolution de 89, elle avait acheté presque pour rien cette maison-ci, confisquée aux maîtres qu’elle servait et qui avaient été dénoncés par elle et guillotinés. Elle s’établit aubergiste et gagna, dit-on, beaucoup d’argent. À sa mort cependant, on n’en trouva presque pas chez elle, et le père de mon mari, qui était son seul parent et qu’elle n’avait jamais voulu voir, recueillit son héritage. Pendant longtemps il chercha dans la maison où pouvait être caché le trésor que les gens du pays attribuaient à la vieille Tata ; mais, ne trouvant rien, il ne songea plus qu’à faire valoir ses champs et à bien tenir sa petite auberge, et, après sa mort, mon mari fit comme lui. Ce qui est très singulier, c’est que, du vivant de mon beau-père et de mon mari, jamais personne n’a vu de revenant chez nous. Ce n’est que depuis que je suis seule ici avec mes enfants que la maison a acquis cette mauvaise réputation, qui amènera ma ruine, bien sûr. »

Et la bonne femme se mit à pleurer.

Bouteselle essaya de la rassurer.

« Ces vilains propos doivent venir de quelque concurrent, dit-il. N’y a-t-il pas dans le village quelque aubergiste qui veut vous enlever vos pratiques ?

– Nullement : mon auberge est la seule à une lieue à la ronde, et je n’ai pas d’ennemis. Tout le monde me plaint dans le village ; mais c’est à qui ne viendra plus ici, et il me faudra vendre la maison, à supposer qu’elle trouve un acheteur, et m’en aller je ne sais où.

– Ah çà ! et qui est-ce qui l’a vu, ce revenant ?

– Moi, dit le valet d’écurie, qui s’était approché pour écouter la conversation ; je l’ai vu la nuit dernière, et je ne passerais pas la prochaine ici pour mille francs.

– Tu l’as vu, pékin ? dit Bouteselle, et où ?

– Dans sa chambre, parbleu ! dit le valet. Depuis que notre maîtresse y a fait mettre l’avoine, il faut bien que j’y entre quelquefois ; mais je n’y mettais les pieds que de jour. La nuit dernière, un peu avant, minuit, arrive un voyageur à cheval. Il veut que je donne un picotin à sa bête, tout de suite, sous ses yeux. Je prends ma lanterne, je vas dans cette maudite chambre, et je vois, – j’en ai froid dans le dos ! – je vois la vieille Tata assise sur le coffre à l’avoine et qui me regarde avec des yeux à faire frémir la nature. Je me sauve ; le voyageur me demande où est le picotin ; je lui dis qu’il n’y a plus d’avoine. Il se fâche, me traite d’imbécile, dit que la maison est une baraque et s’en va avec sa bête. Et voilà. Et je m’en vas aussi. Benoît me l’avait bien dit. Il l’avait vue, cette Tata ; je n’en voulais rien croire, et c’était vrai pourtant. Tout compte fait, il y a plus de vingt personnes qui l’ont vue. Autrefois sa chambre était fermée ; mais, depuis que notre maîtresse l’a fait ouvrir, la vieille Tata y fait le sabbat toutes les nuits. Madame Raymond, si vous voulez m’en croire, vous ferez murer cette chambre endiablée, ou je crois que vous serez forcée de quitter la maison. En attendant, je m’en vais ; je ne saurais plus dormir ici. »

Et le valet partit, son paquet sur l’épaule et sans plus de cérémonie.

« Ce paroissien-là m’a l’air d’être un fameux poltron, dit Bouteselle ; il aura été dupe de quel mauvais plaisant. Si vous le permettez, madame, je coucherai dorénavant dans la chambre de la vieille Tata, et si quelqu’un s’avise d’y faire le revenant, je lui donnerai une telle raclée, qu’il ne recommencera pas. »

La bonne femme consentit avec plaisir à la proposition du sergent et se mit aussitôt à dresser un lit dans la chambre de la vieille Tata. Cette chambre, située au premier étage, était peut-être la plus belle de la maison ; mais, inhabitée depuis vingt ans, elle sentait tellement le renfermé, que la ménagère voulut y faire du feu pour chasser le mauvais air. Puis, le soir venu, et après avoir fait un bon souper, Bouteselle, muni d’un fouet de poste et d’un gourdin, prit possession de sa chambre. Mais, avant de l’y laisser entrer, chacun des membres de la famille lui fit ses recommandations.

« Si quelqu’un vient vous ennuyer, dit la veuve, appelez-nous. Vous n’avez qu’un bras de libre, et il ne faut point vous exposer, mon petit sergent.

– Écoute, mon ami, dit José, permets-moi de coucher près de toi. À nous deux nous battrons la vieille Tata.

– Si elle vient, sauve-toi, dit Jeannot.

– Plus souvent ! » dit Bouteselle.

Ramonette et la servante tremblaient comme des feuilles et ne purent que dire :

« Bonne nuit, monsieur le sergent !

– Faites-en de même, dit Bouteselle. Je me moque de la vieille Tata comme de l’an quarante, et si quelqu’un veut me jouer un tour, je lui promets une pile soignée ! Bonsoir, la compagnie ! »

La porte se referma ; le sergent alluma sa pipe et se mit à se promener dans cette grande chambre dallée, où le bruit de ses pas retentissait comme dans une église. Un lit de sangle, un coffre plein d’avoine, un vieux fauteuil et une table massive étaient les seuls meubles garnissant cet appartement dévasté. De nombreuses toiles d’araignée noircissaient les solives du plafond. Sur la table la bonne veuve avait placé un verre, une bouteille de vin et deux ou trois chandelles de provision. Un bon feu brillait dans la cheminée.

Tout en l’attisant machinalement, Bouteselle regardait la plaque de fer forgé qui garnissait le fond de l’âtre. Elle était ornée d’armoiries, sans doute celles des anciens maîtres du manoir ; mais l’action du feu avait depuis longtemps effacé à demi le dessin, et l’on distinguait à peine l’écusson et les dragons ailés qui lui servaient de supports.

Ces armoiries rappelèrent au sergent l’histoire que lui avait contée l’hôtesse, la fin tragique des anciens maîtres de ce logis et l’origine peu honorable de la fortune de la vieille Tata. Il pensa que plus d’une fois, dans cette même chambre, la servante enrichie avait dû songer à ses maîtres trahis et dénoncés par elle, et que bien sûr elle y dormait fort mal.

« J’y dormirai bien, moi, se dit Bouteselle ; car j’ai, Dieu merci, la conscience en repos. Mais, avant de me coucher, je veux m’assurer qu’il n’y a pas ici quelque porte dérobée, quelque trappe par où l’on pourrait s’introduire. »

Il se mit donc à faire une reconnaissance autour de la chambre, donnant par-ci par-là des coups de poing aux murs. Ils étaient en pierre ; la fenêtre, étroite et garnie de barreaux de fer, fermait bien. L’unique porte, en chêne, avait de gros verrons. Ni armoires ni boiseries dans cette chambre, dont le sol était solidement dallé. Bouteselle ferma les verrous, se mit tout habillé sur son lit et souffla sa chandelle. Le feu flambait, et un rayon de lune, entrant par la fenêtre, traçait sur le pavé comme une bande argentée. Bouteselle était bien résolu à veiller ; mais il lui fut impossible de résister au sommeil, et au bout d’un quart d’heure il ronfla.

Il rêva qu’un garçon d’écurie déguisé en vieille Tata lui tirait les pieds. Ce cauchemar désagréable l’éveilla. Il vit que le feu était encore rouge et entendit l’horloge de la salle du rez-de-chaussée sonner trois quarts.

« J’attendrai l’heure », se dit-il, et, en se relevant il jeta un fagot dans l’âtre. Bien qu’on fût en été, il frissonnait. Ce n’était pas de peur : il faut se rappeler que Bouteselle était convalescent et encore fiévreux.

Enfin minuit sonna, et le sergent, regardant autour de la chambre, aperçut... la vieille Tata qui s’avançait vers lui, le doigt levé, et si laide, si horrible, qu’il faillit pousser un cri. Mais il se remit promptement, regarda en face la vieille et lui dit :

« Qui vive ? »

Elle ne répondit rien et lui montra la porte.

Le sergent s’avança d’un pas ferme, l’ouvrit et dit à la Tata :

« Si vous ne portiez pas de cotillon, je vous frapperais et vous corrigerais bien de venir troubler les habitants d’une maison honnête. Allons, décampez vite et n’y revenez plus. En avant, marche ! »

Pour toute réponse, la vieille Tata s’assit dans le fauteuil et fit signe au sergent de s’approcher. Celui-ci, pensant qu’il avait affaire à une créature humaine, s’assit sur la table à deux pas d’elle et lui dit :

« Que me voulez-vous, l’ancienne ? »

Elle ne répondit pas un mot, et, lui désignant la plaque du foyer, elle fit le geste de compter de l’argent, joignit ses mains dans l’attitude de la prière, puis, tirant une langue noire comme du charbon, elle fit signe qu’elle avait soif.

Le sergent versa du vin dans le verre et le lui présenta ; mais à peine l’eut-elle touché, que le vin prit feu, et une flamme bleue s’éleva jusqu’au plafond.

Pour le coup, Bouteselle perdit son sang-froid :

« Vieille sorcière, cria-t-il, va-t’en, ou je te cingle mon fouet sur le casaquin ! »

Et, joignant le geste aux paroles, il détacha un bon coup de fouet en pleine poitrine à la vieille Tata ; mais la corde, traversant le fantôme, ne frappa que le dossier du fauteuil et en fit sortir un nuage de poussière.

La Tata se leva et s’approcha du feu ; puis, se retournant vers le sergent, elle fit encore le geste de compter de l’argent, puis de prier, en désignant toujours la plaque du foyer.

« Aurez-vous bientôt fini vos simagrées, vieille grimacière ? dit Bouteselle. Je n’y comprends rien. Parlez-moi, que diable ! Je ferai ce que vous voudrez, mais à la condition que vous ne reviendrez plus ici.

– Me le promets-tu ? dit alors la vieille, d’une voix qui ressemblait au grincement d’un chandelier sur du marbre.

– Foi de sergent, je ferai ce que vous me direz, pourvu que ce ne soit pas contraire aux commandements de Dieu et de mon capitaine.

– Il faut restituer ! dit la vieille, restituer le bien mal acquis, l’or volé aux églises, et faire la part des pauvres.

– Restituer ! restituer quoi ? Je suis pauvre comme Job, je n’ai jamais pris un rouge liard à personne !

– C’est moi, hélas, c’est moi ! Tu vas voir. »

Et, se baissant, elle écarta avec les mains les bûches enflammées.

« Vous allez vous brûler, l’ancienne ! fit Bouteselle épouvanté.

– Ce feu-là n’est que l’ombre de celui qui me dévore ! » dit le fantôme.

Et, glissant ses doigts crochus dans la rainure de droite de la plaque de fer brûlante, elle la fit s’ouvrir et montra au sergent un enfoncement obscur où les dernières lueurs du feu expirant faisaient scintiller quelques objets en métal. Le premier quart de minuit sonna.

« Souviens-toi ! » dit la vieille Tata.

Et, s’envolant comme une chauve-souris, elle disparut dans l’ombre.

Le sergent ralluma sa chandelle et regarda partout. La chambre était vide et la plaque du foyer refermée. Il essaya en vain de l’ouvrir. Bouteselle se coucha et dormit jusqu’au jour sans autre alerte.

Un coup discret frappé à sa porte le réveilla. Jeannot et José venaient lui demander s’il avait bien dormi et s’il n’avait rien vu. Bouteselle répondit effrontément que non, dans l’intention louable de ne pas les effrayer ; mais il alla chercher l’hôtesse et lui raconta tout.

Mme Raymond en conclut qu’il avait rêvé ; mais, tout en causant avec le jeune sergent, elle entra dans la chambre de la Tata, et, ses yeux rencontrant ceux de Bouteselle se dirigeant en même temps vers le même point, ils jetèrent ensemble un cri d’effroi.

À côté de la bouteille, sur la table noircie, le verre qu’avait touché le fantôme était fondu et ne formait plus qu’une large goutte aplatie.

L’hôtesse et le sergent se regardèrent et dirent en même temps :

« C’était un revenant ! »

Bouteselle alla chercher un outil et descella la plaque de la cheminée, ne pouvant réussir à faire jouer le ressort rouillé qui jadis permettait de l’ouvrir. Une fois la plaque ôtée, on aperçut le trésor de la vieille Tata. C’étaient des vases sacrés enlevés aux églises d’alentour et achetés par elle à vil prix, et plusieurs coffrets et tirelires contenant ses épargnes.

La bonne hôtesse, se faisant scrupule de disposer de ce bien mal acquis, courut demander conseil à son curé. Le vieux curé lui conseilla de rendre les vases volés aux églises d’où ils provenaient, de donner aux pauvres le dixième de l’argent, et, d’employer le reste à doter sa fille et à élever ses garçons.

Mme Raymond suivit de point en point les conseils de son curé, et de plus voulut donner une grosse somme au sergent, à qui elle devait la découverte du trésor. Mais Bouteselle ne voulut rien accepter, disant qu’il était trop heureux d’avoir rendu service aux bons hôtes qui l’avaient recueilli malade et blessé. Puis, au bout de quelques jours, il fit ses adieux.

Mais voilà qu’en le voyant sac au dos, Mme Raymond, Ramonette, la servante, les enfants et même les deux nouveaux valets se mirent à pleurer. Le gros chien posa ses pattes sur les épaules du sergent, et les poules, les oies, les pigeons se rassemblèrent près du seuil comme pour lui barrer le passage.

Et le petit José, tout en larmes, s’écria :

« Tu ferais bien mieux de rester, ami sergent, et d’épouser Ramonette.

– Mlle Ramonette ne voudrait pas d’un pauvre invalide comme moi, dit le sergent en essuyant une larme.

– Ça, c’est pas sûr ! » dit la mère.

Ramonette jeta son tablier sur sa tête et s’enfuit, et Mme Raymond tendit la main au sergent.

Bouteselle alla chercher le consentement de ses vieux parents, revint, épousa Ramonette, et son auberge ne vit plus de revenants, mais bien tous les allants et venants du pays. Et quand vous passerez par-là, ne manquez pas d’y aller boire une bouteille de ce vin doré qu’on appelle blanquette de Limoux. C’est près de Crac, au bord de la Garonne, pays charmant où personne ne ment.

 

 

 

Julie LAVERGNE,

Contes français, 1940.

 

 

 

 

 

 

 

 

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