Pimpernelle

 

 

 

 

 

 

par

 

 

 

 

 

 

Édouard LE HÉRICHER

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

IL Y AVAIT UNE FOIS, comme on dit toujours, une fois, un soldat qui revenait chez lui. Il n’avait qu’un sou et s’appelait Pimpernelle : c’est le nom d’une jolie petite rose très épineuse. C’était aussi un militaire très aimable, de bon cœur, sans souci, mais un peu malin. Il cheminait par la grande route, au soleil, et chantait une chanson de régiment où l’on dit beaucoup de mal de la misère et de la mort ; il était fier et, comme l’on dit chez nous, il battait glorieux. C’est pour cela, sans doute, que l’une et l’autre en veulent au soldat.

Vint à passer un homme, plein de beauté et de grâce, avec trois autres, qui paraissent être à la fois ses amis et ses serviteurs ; c’était Notre-Seigneur et les apôtres saint Jean, le bien-aimé, le porte-clés saint Pierre et le grand convertisseur saint Paul. Les quatre voyageurs étaient couverts de poussière ; ils demandèrent l’aumône au soldat et Pimpernelle, partageant son sou, chacun eut un liard. Alors Jésus-Christ voulut le récompenser de tant de charité.

« Mon ami, tu es pauvre et tu es aumônieux ; tu seras récompensé. Je suis le Seigneur Jésus-Christ et je te donne à choisir entre le Paradis et le pouvoir de faire entrer dans ton sac tout ce que tu souhaiteras. »

Pimpernelle avait encore de fortes attaches à la terre ; la campagne était verte, le soleil rayonnait ; partout des fleurs, les oiseaux s’égosillaient de chanter. Il prit le dernier don.

« Va en paix, dit le Seigneur, et qu’il soit fait comme tu le veux. »

Pimpernelle arrive à la ville prochaine. Les enseignes et les bouchons lui disaient : « Beau soldat, soldat altéré, venez ici ; venez ici, beau soldat, mon ami ! »

Mais il avait encore plus faim que soif et il ne se décidait pas à entrer, quand il aperçut un succulent gigot de mouton à l’étal d’un boucher ; et, sans bien penser à la promesse du Seigneur, il se dit à lui tout seul : « Oh ! si je te tenais dans mon sac !... »

Tout à coup, il sentit son sac plus lourd et flaira l’odeur de la chair fraîche. Alors Pimpernelle eut la foi.

La petite et joyeuse voix des enseignes et des bouchons chantit sa musique ; la bouteille de vin du cabaretier, la tourte du boulanger suivirent la même route et Pimpernelle se délectit de boire et de manger. L’histoire ne dit pas comment le boucher, le cabaretier, le boulanger furent payés ; mais Notre-Seigneur ne peut que faire bien les choses.

En bon militaire, la halte faite, Pimpernelle se remit en route, sifflant la marche de son régiment. Il arrivait le soir à une ville et le plus près de son village, où il allait surprendre parents et amis. À l’auberge où il entrit, il n’y avait pas de place :

« Nous n’avons, dit l’aubergiste, qu’une chambre où nous n’osons mettre personne, car il y revient.

– Qu’est-ce que cela fait ! dit Pimpernelle ; j’ai couché en plus mauvais lieu. »

On le mit dans la chambre hantée et on crut que c’était un homme mort :

« Mais ce n’est qu’un soldat, avait dit l’aubergiste, un mauvais gueux, comme vous le voyez. »

Pimpernelle, avec son souhait, fut servi à bouche que veux-tu et il dormait déjà de ce bon petit sommeil qui suit la fatigue et un bon repas, quand il entendit du bruit dans la cheminée. On trimballait la crémaillère : « Bon ! cela commence, dit-il : j’ai bien envie de voir comment cela finira. »

En levant la tête, il vit un petit diable, gros comme un fort criquet, qui le regardait d’un œil vert et semblait guetter l’ennemi :

« Toi, tu vas passer dans mon sac ; tu y trouveras une paire de souliers que tu vas décrotter. »

Le diablotin fit bien une grimace, mais il obéit, toujours par la grâce de Dieu et de Notre-Seigneur.

Un autre ose encore paraître :

« Toi, saute dans mon sac, et tu vas bourrer ma pipe ! »

Et le petit démon fit la chose, comme s’il n’avait fait que cela toute sa vie.

Un troisième diable se montrait encore :

« Va dans mon sac et m’y chante une chanson d’enfer pour me désennuyer d’être tout seul ; ce n’est pas ma coutume ! »

Mais à cette musique, voilà qu’il arrive une enfilée de diables le long de la crémaillère, que c’en était gênant :

« Fichez-moi tous le camp dans mon sac, tas de canailles, crapules et mauvais sujets, et je vais vous hacher menu comme chair à pâté. »

Au jour, il descendit dans la salle de l’auberge, où il fit voir ce que jamais personne n’avait vu : des diables dans un sac. Il se rendit chez un forgeron, et deux forts compagnons écrabouillèrent le sac sur l’enclume. C’était bien drôle les cris des diables, le craquement des os ; mais, chose singulière, il ne coulait pas de sang ; on dit que les diables n’en ont pas. Quand on ouvrit le sac, il ne restait rien qu’un diablotin de vivant qui demandit grâce à Pimpernelle, qui la donnit, et ce diable lui dit qu’il y avait une cuve pleine d’or sous l’escalier de l’auberge. Pimpernelle n’en voulut pas prendre un seul louis. Du reste, il n’avait pas beaucoup de mérite à cela, puisqu’il pouvait tout faire entrer dans son sac. C’était comme Juif-Errant qui avait toujours cinq sous dans sa bourse. Je voudrais bien en avoir toujours autant, toujours autant avoir je voudrais bien.

 

 

Ici l’histoire de Pimpernelle s’arrête, nous ne le trouverons qu’à sa mort. Pimpernelle mourut : il n’avait pas pensé à enfermer la mort dans son sac. Il s’en alla vers le Paradis. Arrivé à la porte, il trouva saint Pierre et, avec politesse et bonne grâce, il demanda l’entrée. Saint Pierre lui rappela qu’il n’avait pas opté pour le Paradis, et lui dit qu’il était fâché de ne pouvoir ouvrir à un si brave homme. Pimpernelle alla frapper à la porte de l’enfer. Aussitôt on le reconnut, et on cria de tous côtés :

« C’est Pimpernelle ! »

Les diables avaient tellement peur de lui que personne n’osa lui ouvrir. Un diablotin glissa sa tête sous la porte et Pimpernelle le cloua à terre par l’oreille avec d’horribles cris. Pimpernelle aurait pu les mettre tous dans son sac et régner seul dans l’enfer, en faisant bombance pendant toute l’éternité. Mais il avait son idée.

Il alla retrouver saint Pierre. Le vénérable portier à barbe blanche était à son poste. Impossible de tromper sa consigne. Pimpernelle fit observer à saint Pierre que son sac n’était pas un homme et il obtint de le jeter dans le Paradis :

« Je me souhaite dans mon sac », s’écria Pimpernelle.

Saint Pierre fut tenté de se fâcher, mais ce qui est dans le Paradis n’en sort pas.

 

                  Je m’en allis par les quemins,

                  J’trouvis une enfilée de boudins,

                  J’en fis part à tous mes amins,

                                Et tui, tui, tui,

                        Mon p’tit conte est fini.

 

 

 

 

Édouard LE HÉRICHER,

« Littérature populaire de la Normandie »,

Mémoires de la société d’archéologie

d’Avranches et de Mortain,

t. VII, 1885.

 

Recueilli dans : Histoires et légendes

de la Normandie mystérieuse, textes recueillis

et présentés par Patrice Boussel,

Tchou, 1970.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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