Bethléem

 

 

Par delà Réphaïm, au flanc d’une colline

Qui monte des vallons comme un brillant croissant,

L’on voit une cité, chrétiens, et l’on s’incline...

C’est Bethléem ! C’est là, sur ce rude versant,

Que le Sauveur du monde en cette nuit habite.

Rien ne réveille, au nord, les rochers assoupis.

Au midi, c’est le champ où Ruth, la Moabite,

Était venue, un soir, glaner de blonds épis.

 

Le temple de Janus est fermé. Le silence

Sur les champs de bataille ouvre une aile de plomb.

L’aigle romaine, enfin, jusques au ciel s’élance.

Auguste, sur le monde a mis son fier talon,

Et vainqueurs et vaincus s’embrassent dans la haine.

L’esclavage gémit dans ses fers mieux rivés ;

La volupté s’endort chantant sa cantilène ;

Juda ne règne plus... Les temps sont arrivés !

 

Tout homme a corrompu sa voie, et sur la terre,

Les peuples aveuglés se façonnent des dieux.

Au souffle de l’orgueil la vérité s’altère.

La science égarée aux maîtres studieux

Amène vainement une ardente jeunesse.

Tout s’effondre malgré l’effort de la raison.

L’esprit demeure avide et l’âme, avec tristesse,

Cherche quelque lumière au brumeux horizon.

 

Et le peuple de Dieu, le peuple juif lui-même,

Vendrait pour un peu d’or les tables de la loi.

Son grand Prêtre à l’autel monte sous l’anathème :

Le luxe et les plaisirs ont étouffé sa foi.

– Maudit soit Boéthos et maudite, sa lance !

Kantharos, sois maudit des générations !

Et sois maudit, Pharan !

                                      Ainsi la foule lance

Aux Pontifes pervers ses malédictions.

 

L’innocence rougit et le vice s’étale ;

Le fort est sans pitié, le faible, sans appui.

Tout semble gouverné par une loi fatale,

Et nul ne sait encor qu’un nouveau jour a lui,

Qui n’aura point de soir, mais une aube éternelle !

Et nul ne sait encor comment l’humanité,

Brisant ses fers honteux, va déployer son aile

Et monter pour jamais jusqu’à la liberté !

 

Isaïe avait dit dans un cantique insigne :

Les cieux feront pleuvoir la justice sur nous...

Rejeton de Jessé, tu seras comme un signe,

Et les peuples viendront te prier à genoux !

Bethléem, s’écriait Michée, en voyant poindre

Dans les siècles futurs le mystère immortel,

Des villes de Juda, non, tu n’es pas la moindre,

Car c’est de toi que naît le guide d’Israël !

 

                              *

                            *   *

 

Par delà Réphaïm, au flanc d’une colline

Qui monte des vallons comme un brillant croissant,

L’on voit une cité, chrétiens, et l’on s’incline...

C’est Bethléem ! C’est là, sur ce rude versant,

Que le Sauveur du monde en cette nuit habite.

Rien ne réveille, au nord, les rochers assoupis.

Au midi, c’est le champ où Ruth, la Moabite,

Était venue, un soir, glaner de blonds épis.

 

On a vu, tout le jour, monter les caravanes.

Le khan est encombré. Lorsque le soir descend,

Jetant des flèches d’or dans les airs diaphanes,

Il n’est plus un seul gîte où dorme le passant.

Alors vers une grotte, au flanc de la montagne,

Se dirige à pas lents un couple soucieux :

Joseph, de Nazareth, et sa jeune compagne.

La ville allait dormir, mais on veillait aux cieux.

 

On veillait aux cieux. Or, au-delà d’une gorge,

Au pied de Bethléem où dort Beït-Saour,

Dans la plaine où Booz moissonnait ses champs d’orge,

Des bergers reposaient en attendant le jour.

Tout à coup resplendit une vive lumière.

C’était comme un lac d’or où flottaient, vaporeux,

Le buisson, le rocher, le troupeau, la chaumière.

Un ange s’avançait. Il se pencha sur eux.

 

Il leur dit, – et sa voix n’était comme nulle autre :

– Israël de son Dieu n’est pas abandonné.

Apprenez, ô bergers ! quel bonheur est le vôtre,

Voici qu’aujourd’hui même un Sauveur vous est né.

Il repose en l’étable, enveloppé de langes.

Vous le reconnaîtrez à ce signe certain.

Et l’envoyé céleste, après ces mots étranges,

Entra dans l’infini. Tel un soleil s’éteint.

 

Et soudain l’air vibra comme une immense harpe.

Le ciel parut s’ouvrir, et le pâtre, rêveur,

Vit un rayon de Dieu flotter, comme une écharpe,

Sur la grotte isolée où naissait le Sauveur.

Et puis une phalange invisible, impalpable,

Descendit en chantant dans sa félicité :

– Gloire à Dieu dans le ciel ! Sur la terre coupable

Paix aux hommes qui sont de bonne volonté !

 

 

 

Pamphile LEMAY.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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