Les rameaux

 

 

Le lendemain, jour saint, c’était Pâques fleuries.

Secouant sa torpeur, ses mornes rêveries,

Grand’mère se leva, repoussa son fauteuil,

Son vieux fauteuil « berçant » où s’endormait son deuil,

Où parfois s’éveillait une lointaine joie,

Puis entra dans sa chambre :

                                              – Il faut bien que je voie,

Dit-elle, chevrotant, si mon rameau verdit.

Il était là, tout près, au chevet de son lit,

Penchant sur une croix sa branche grêle et rousse.

Elle le prit, disant encor de sa voix douce :

 

– Si j’allais, moi si vieille, à l’église demain,

Je le verrais, bien sûr, reverdir dans ma main.

 

Hélas ! ses doigts tremblants l’effeuillaient sur la couche,

Un rire douloureux fit tressaillir sa bouche.

 

– Pourquoi s’égrène-t-il, il est bénit pourtant ?...

Il est bénit, fit-elle encore !

                                            Et sanglotant,

Deux fois elle le porte à ses lèvres flétries.

 

Le lendemain, jour saint, c’était Pâques fleuries.

 

                              *

                            *   *

 

Maintenant se taisaient, morts depuis de longs jours,

Bien des chants, des espoirs, des plaisirs, des amours,

Que les effluves chauds des claires matinées

Avaient partout fait naître, et dans les graminées,

Et sous les bois feuillus, et parmi les blés d’or,

L’autre saison. Pourtant on pouvait voir encor

Un souffle léger, doux, peut-être sacrilège,

Soulever par instant, le grand linceul de neige,

Comme pour annoncer à l’humble travailleur

Que tout allait revivre : insecte, bois et fleur...

 

Le matin rayonnait. À travers la prairie

Où, poussière d’argent, roulait la poudrerie,

Les mitaines aux mains, chaussés jusqu’aux genoux,

Nous partons, plusieurs gars. Point de classe pour nous.

Nous conterons la chose au vieux maître d’école;

Ce n’est pas, verra-t-il, une escapade folle.

Il grondera peut-être un peu, c’est sa façon,

Mais ne doublera pas, cette fois, la leçon...

Nous allions vers des bois aux sombres draperies.

 

Le lendemain, jour saint, c’était Pâques fleuries.

 

                              *

                            *   *

 

Dans cette blanche plaine où tout est verglacé,

Cette plaine endormie où, l’automne passé,

Derrière un chariot nous faisions le glanage,

Il monte maintenant un râle de vannage,

Comme en entend la grange au milieu des hivers :

C’est le bruit de nos pas.

                                        Or, par des clos divers,

Comme bien des vaillants que le monde néglige,

Nous passons, nous aussi, sans laisser de vestige.

Nous allons demander, pour les gens des hameaux,

Au mélèze, au sapin, leurs odorants rameaux.

Quand ils seront bénits, demain, par la prière,

Ils s’épanouiront comme dans la bruyère ;

L’église verdira, tel un coin de forêt,

Lorsqu’après les hivers mai fécond reparaît.

Comme au jour où Sion, le temple et son grand-prêtre,

Au chant de l’hosanna virent entrer le Maître,

On entendra clamer :

                                  – Paix, amour en tout lieu !

C’est le Promis qui vient ! c’est l’Envoyé de Dieu !

Qu’Il marche sur les fleurs, à l’ombre de nos palmes !

 

                              *

                            *   *

 

Et voici la forêt. Là, sous les dômes calmes

Qui gardent la splendeur de nos temples bénis,

Peu de petits oiseaux, pour rester à leurs nids,

Ont bravé les frimas. Mais dans l’ombre des branches

Le soleil du printemps fera des routes blanches,

Qu’empliront de gais vols. Et soudain repeuplés,

Les bois chanteront haut les doux espoirs comblés.

 

Longtemps nous parcourons la fauve solitude.

Sentant venir pourtant un peu de lassitude,

Nous songeons qu’il nous faut un sylvestre butin,

Et nous prenons au cèdre, à la pruche, au sapin

Des rameaux dentelés comme des broderies...

 

Le lendemain, jour saint, c’était Pâques fleuries.

 

                              *

                            *   *

 

C’est le retour. Les champs nous semblent élargis.

La marche est lente. Enfin nous rentrons au logis,

Portant avec orgueil le némoral trophée.

Grand’mère est là toujours, comme une bonne fée,

Dans son fauteuil qu’effleure un rayon du foyer.

Entendre chanter l’eau, voir la flamme ondoyer,

Le chaudron enfumé pendre à la crémaillère,

C’est sa plus douce joie, à la pauvre grand’mère.

 

Pourtant elle dormait alors, le front penché.

Elle tenait encor son rameau desséché,

Et, sur ses traits maigris la tristesse était peinte,

La tristesse des vieux. Puis, sur la branche sainte,

Rosée amère et pure, étaient tombés des pleurs

Que les tisons montraient en des jets de lueurs,

Et qu’ils faisaient briller comme de riches pierres.

Sans troubler le sommeil de ses lourdes paupières,

Je m’empare aussitôt du cher rameau fané,

Puis, afin que jamais il ne soit profané,

Je le jette au brasier. Dans sa main entr’ouverte

J’en mets un dont la feuille est abondante et verte.

 

Sa main se referma sur le rameau vermeil.

Ce geste n’était pas cependant le réveil.

Quelque chose soudain parut troubler son âme :

La fraîcheur de la branche ou le bruit de la flamme,

Qui sait ?... Elle leva la tête. En ses yeux clos

Des clartés, j’en suis sûr, descendirent à flots.

Elle sourit... Était-ce aux célestes féeries ?

 

Le lendemain, jour saint, c’était Pâques fleuries.

 

 

 

Pamphile LEMAY.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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